“Ils sont rares les événements qui durent sans que l’on en ressente la fatigue” : à l’occasion de ce grand chapiteau commun où se dérouleront partout en Occitanie 157 événements, Benjamin Assié explique en quoi nos cultures sont vivaces, y compris auprès des nouveaux habitants. La politique volontariste de la région occitanie y joue pleinement sa part.
Concerts, spectacles, ateliers, lectures, jeux, sports, balades, gastronomie : rien qu’en 2024, on a enregistré plus de 70 000 participants dans ce qui est la plus grande fête célébrant les cultures occitane et catalane : Total Festum. Pas moins de 157 événements, 900 artistes professionnels et 1 200 spectacles proposés cette année du 16 mai au 6 juillet ! La 20e édition du festival Total Festum se déroulera partout en Occitanie. Et sur Dis-Leur ! où vous pouvez retrouver nos chroniques occitanes ICI.
Bize-Minervois, Saint-Girons, Uzès, Soulane… “En Occitanie, nos cultures et nos langues ne sont pas des souvenirs : elles portent notre identité, racontent d’où nous venons, et ce que nous voulons léguer. Le catalan et l’occitan sont des trésors vivants, ancrés dans nos racines mais résolument tournés vers l’avenir”, pose Carole Delga (…) “Faire vivre nos particularités régionales, c’est faire rayonner l’âme de l’Occitanie et offrir de sérieux atouts à notre République” a déclaré la présidente de la Région Occitanie, Carole Delga.
Sur la présidente de Région, le conseiller régional d’Occitanie, chargé de ce dossier, Benjamin Assié renchérit, lui qui avait imaginé un kit pour que les communes reprennent langue avec l’occitan ! (Lire ICI). Dans l’entretien qu’il nous a donné, Benjamin Assié explique que nos langues régionales se portent de mieux en mieux même si elles ne sont pas encore sauvées du déclin.
Quelle définition donneriez-vous de Total Festum à un étranger ?

Benjamin Assié : Alors, déjà c’est un mot qui n’existe pas. le suffixe “um” signifie le concept de… La tristesse, c’est la tristesse ; le tristum, c’est le concept de tristesse. Avec Total Festum c’est le concept de la fête totale. L’Occitanie est une fête. On le prononce fes-tum en occitan et “Festoum” en catalan.
C’est l’occasion ouverte à tous de faire l’expérience de ce que sont les cultures occitane et catalane aujourd’hui. C’est la possibilité, que les gens soient d’ici ou d’ailleurs, jeunes ou vieux, de se retrouver et de vivre une expérience, celle de la fête. Et ils sont rares les événements qui durent sans que l’on en ressente la fatigue.
Quels événements retenez-vous parmi les 157 prévus ?
Benjamin Assié : Par exemple, la fête du Pois Chiche à Uzès, c’est délirant ; il faut y aller au moins une fois. On est justement en pleine tradition-modernité. Ce sont des collectifs locaux avec des habitants, des artistes, etc., qui sont allés rechercher ce qu’il y avait de plus enraciné dans leur culture et ont décidé de faire une fête complètement décalée autour de ça ; dont le personnage est un… pois chiche masqué ! C’est entre carnaval, animal totémique… C’est une belle synthèse de la fête avec beaucoup de références actuelles.
J’ai bien envie de promouvoir d’un petit nouveau, c’est aussi ce qui est bien dans une programmation comme Total Festum : c’est une toute petite commune, Sorbs (Hérault), dans les Hauts Cantons, vers le Larzac, qui a monté un événement autour de la culture occitane mais aussi autour de l’éducation à l’environnement.
Il y a aussi de chouettes rendez-vous plus intellectuels. Autour de l’actualité littéraire, où viennent beaucoup d’auteurs et des éditeurs, il y a les Rencontres de Salinelles, proche de Sommières, dans le Gard, par exemple. Cela se passe dans le parc d’un ancien château. Et ça marche bien. Depuis quelques années, dans le cadre de Total Festum, ils y proposent durant deux jours 100 % littérature mais c’est aussi très festif : le samedi soir, cela se termine par un grand concert, une fête de village. On voit que même pour la littérature, qui est l’une des passions les plus difficiles quand on ne maîtrise pas la langue, on peut trouver une vraie dynamique. Il y a beaucoup de monde. Il y a un vrai public. La programmation est chouette.
Quel est le budget de Total Festum ?
Benjamin Assié : C’est 300 000 €. Et cela a un effet levier extrêmement important pour toute l’économie artistique en occitan et catalan : selon une étude que nous avons faite il y a deux ans, en tout, cela génère 800 000 € de budget pour les artistes. Chaque porteur de projet va aller chercher des cofinancements, s’autofinancera. Autour des 157 événements, cela montre l’importance de Total Festum. L’autre enjeu, c’est de maintenir, proposer des choses pour que les artistes vivent de leurs créations. Et Total Festum crée, enfin, des opportunités de rencontrer de nouveaux publics.
Total Festum, dont c’est la 19e édition, fête ses 20 ans l’an prochain. Comment tout cela a-t-il commencé ?

Benjamin Assié : Total Festum a été l’une des premières actions dite nouvelle formule de la région Languedoc-Roussillon, après l’élection de Georges Frêche à sa tête. Frêche, qui avait vraiment voulu porter une vraie politique en faveur de l’occitan et du catalan, avait organisé ce qu’ils avaient appelé la “Consulte”, sorte de grands états généraux ; c’était la première fois que cela se faisait de la part d’une collectivité. Il y avait eu des centaines de participants tous milieux confondus : enseignants, milieux associatifs, etc.
Conclusion, des projets d’échelle régionale avaient émergé. La région elle-même porte un certain nombre d’actions. C’est ce qui a permis le développement du Cirdoc (Institut de la langue occitane) qui vivotait. Et il y a eu l’idée d’un grand événement annuel d’ampleur régionale pour mettre en valeur tout le monde et le côté vivant des cultures catalane et occitane. Cela permet d’écouter des artistes en concert ; de voir des spectacles, etc.
Et avec l’arrivée de Carole Delga et la fusion des deux régions ?
Benjamin Assié : Cela a été aussi l’une des première actions, non seulement conservée mais aussi développée, dans l’idée, justement, qu’avec cette nouvelle grande région, avec un événement comme Total Festum, elle allait faire commun. C’est une sorte de totem. Cela a donné une nouvelle dynamique.
L’objectif, c’est d’atteindre 25 % de locuteurs d’occitan. Pourquoi ? Parce que c’est à partir de ce seuil qu’une langue est considérée par l’Unesco comme sortie du déclin”
Les locuteurs de nos langues régionales sont-il moins nombreux ?
Benjamin Assié : Cela dépend comment on le regarde. Nous avons des enquêtes socio-linguistiques menées à la demande de la région. C’est assez disparate. Si on lisse le résultat sur toute la région, on est à peu près à 10 % de locuteurs d’occitan actifs (qui ont la compétence de la langue et qui l’utilisent). Cela fait quand même plus de 500 000 personnes en Occitanie. Ce n’est pas rien. Et si on englobe ceux qui ont appris la langue, sans avoir de compétence, cela fait davantage de monde.
Il faut ajouter à cela 55 000 enfants qui suivent un apprentissage de l’occitan ou du catalan. Si on élargit à ceux pour lesquels l’occitan est familier parce que la langue était parlée dans la famille ou parce qu’ils l’ont appris à l’école, cela concerne encore davantage de monde. Ce que l’on sait, c’est que là où il y a des politiques publiques volontaristes, la courbe peut s’inverser et commencer à regagner les locuteurs.
L’objectif, c’est d’atteindre 25 % de locuteurs d’occitan. Pourquoi ? Parce que c’est à partir de ce seuil qu’une langue est considérée par l’Unesco comme sortie du déclin. L’Unesco classe les langues et à partir de 25 % d’une classe d’âge, naturellement, c’est comme un écosystème, une langue va retrouver une dynamique parce que quand un quart d’une classe d’âge l’utilise, du coup, elle se retrouve dans une dynamique de socialisation.
Quel enseignement tirez-vous de 20 ans de politique publique en faveur de nos langues minoritaires ?
Benjamin Assié : Total Festum a retrouvé une dynamique sur cette mandature puisque Carole Delga avait souhaité justement au regard de nos enquêtes socio-linguistiques que nous y allions beaucoup plus fort, plus loin avec nos actions envers ces langues, notamment auprès de la jeunesse. C’est pour cela nous avons élaboré en 2022 un plan de politique linguistique qui n’existait pas qui s’appelle Parlem una cultura viva – Parlons une culture vivante. Nous avons fait une très large concertation au niveau de la région : plus de 5 000 personnes avaient contribué.
En assemblée plénière, nous avons voté ce plan avec des actes forts où nous-mêmes région on s’engage à être exemplaire sur la question du pluri-linguisme où toutes les directions administratives de la collectivité sont engagées. Sur les transports, la formation professionnelle, les sports, etc. Au bout de la 3e année de ce plan, 80 % des actions sont soit réalisées soit en cours. Et elles portent leurs fruits : elles servent de moteurs pour d’autres collectivités qui viennent également s’engager sur des signalétiques, des initiatives pour la langue, nous aider pour l’ouverture de cursus bilingues ; pour que la langue existe pour les enfants en dehors de l’école : c’est un gros souci. On y travaille pour reconstruire des écosystèmes pour ces deux langues.
Là non plus il n’y a pas de “grand remplacement”. C’est le contraire. Les populations qui arrivent sur un territoire se “bouturent” comme des plantes”
Peut-on parler de renouveau des cultures occitanes ?
La population émet le souhait de les parler et de transmettre ces langues. Là non plus il n’y a pas de “grand remplacement”. C’est le contraire. Les populations qui arrivent sur un territoire se “bouturent” comme des plantes : on relève dans nos enquêtes 90 % d’adhésion. Et dans les cursus bilingues, on voit beaucoup d’enfants de nouveaux arrivants qui ont sans doute moins de préjugés aussi. Nos populations héritent inconsciemment du mépris qui a concerné de nombreuses générations. On est clairement dans un renouveau des cultures occitane et catalane. Comme on le voit culturellement : il y a eu un renouveau complet dans la création artistique : ce sont des gens jeunes, d’horizons très divers et qui vont aller sur des esthétiques et des choses très originales. On n’est plus dans l’idée du “folk” telle qu’on la vécue.
Comment l’expliquez-vous ?
On est dans un mouvement où après les années folles de la globalisation, c’est important de se dire que l’on ne mange pas partout pareil, que l’on ne voit pas partout la même culture, etc. C’est rassurant aussi. De se dire que la diversité culturelle de l’humanité reste même si on a vécu une période où l’on pensait qu’elle pouvait s’effacer. Face à la globalisation, le local c’est important. Et ce n’est pas antinomique avec l’ouverture. C’est l’inverse. Plus on s’intéresse à notre propre culture, plus on va s’intéresser à la culture des autres. Je suis content que les habitants de la région le perçoivent comme cela.
Nous avons une enquête intéressante sur la perception des habitants sur leur région Occitanie. Les deux termes les plus utilisés c’est identité et modernité. Pour eux, la région, son originalité, c’est cette articulation-là. Elle s’assume comme moderne. Elle est pleine d’innovation, d’industries de pointe et, en même temps, elle a une identité très forte et fière de ses traditions. Les deux ne s’opposent pas.
Ouvrir chaque année de nouveaux cursus bilingues dans le public et de continuer à soutenir l’enseignement immersif associatif, calendreta et bressola”
L’arrivée, importante, chaque année, de 50 000 néo-occitans ne dilue-t-elle pas cet effort ?
Benjamin Assié : Ces arrivées, c’est plutôt une chance. On le voit dans nos enquêtes et via les inscriptions dans les écoles : les nouveaux arrivants sont les plus en adhésion. Pourquoi ? Il y a une volonté de faire du commun, d’intégration. En arrivant on est beaucoup plus militant de cela parce que on ne l’a pas eu par tradition familiale. Cela permet de s’inclure dans une culture et une histoire communes.
Mais à Sète, par exemple, la ville de Valéry, Brassens, où l’on se bâtit jadis pour l’apprentissage, pas un seul cours d’occitan au collège Paul-Valéry !

Benjamin Assié : Sur l’enseignement, nous travaillons avec les deux rectorats et les deux offices publics des langues catalane et occitane avec l’objectif de mettre en place la nouvelle loi Molac.
Sur un territoire où, historiquement, il existe une langue minoritaire, la règle devrait être que tous les enfants y aient accès à l’école. La marche est haute pour le faire d’un coup, mais on discute, on négocie…
La loi conforte la convention que nous avions signée avec l’Education nationale en 2010. Pour le catalan, on a signé, il y a deux ans, avec le rectorat de Montpellier, un objectif de généralisation parce qu’il est plus facile à atteindre : on est sur 30 % de locuteurs “actifs” en ce qui concerne cette langue. On est en pleine négociation avec l’Education nationale pour mettre en place une première dynamique : ouvrir chaque année de nouveaux cursus bilingues dans le public et de continuer à soutenir l’enseignement immersif associatif, calendreta et bressola.
L’ex-rectrice Sophie Béjean disait que ces options étaient à la discrétion des proviseurs…
Benjamin Assié : Ce qui est à la discrétion des proviseurs, ce n’est pas tant de choisir ou pas l’occitan, c’est le fléchage des dotations. Et à la fin il n’en reste pas forcément pour l’occitan. Dans notre discussion avec l’Education nationale, la région occitanie a toujours tenu un discours modèle : on dit il y a une inégalité républicaine parce que les dotations horaires fléchées, ce sont les mêmes dans toute la France. Mais toute la France n’est pas concernée par l’enseignement des langues régionales. Nous avons des enseignements en plus et donc la concurrence est plus forte avec les autres enseignements. Nous plaidons pour que lorsqu’un territoire a une langue qu’elle ait un bonus de dotations. C’est pour cela que c’est difficile pour nos proviseurs.
Il faut aussi et surtout que des collèges soient en capacité de proposer nos langues régionales…?
Benjamin Assié : Oui. Ce qui est bien avec cette première dynamique, c’est qu’il y a une obligation de continuité : quand on ouvre une nouvelle école bilingue, comme cela a été le cas à Narbonne, la première année, c’est en maternelle et primaire, puis, ce sera normalement progressivement jusqu’au bac. Nos lycées proposaient quasiment partout il n’y a pas si longtemps catalan et occitan. C’est la réforme Blanquer qui a tout foutu en l’air ! Avec ces histoires de “spécialités”, les options, notamment de langues, n’étaient plus intégrables. Il faut tout reconstruire. On a bon espoir : on travaille très bien avec les équipes académiques qui partagent nos objectifs.
Propos recueillis par Olivier SCHLAMA
Programme FR - WEBParlem una cultura viva : 30 mesures pour soutenir les langues régionales
Depuis 2023, le plan de soutien aux langues et cultures catalane et occitane Parlem una cultura viva s’appuie sur 30 actions concrètes qui visent notamment à :

Ph. Olivier SCHLAMA
– Développer la présence des langues régionales dans la société (signalétique des lycées, SNCF et bâtiments régionaux, espace numérique, communication, PNR) ;
– Renforcer la place des langues et des cultures régionales dans l’enseignement (convention Région / Education Nationale, ouverture de sections bilingues) ;
– Encourager les outils numériques d’apprentissage (projets éducatifs et outils pédagogiques) ;
– Accompagner les communes dans leurs projets ;
– Poursuivre le soutien aux opérateurs régionaux (réaménagement du CIRDOC pour l’accueil des scolaires, nouvelles conventions avec l’Office Public de la langue occitane et l’Office public de la langue catalane pour développer l’enseignement de la maternelle au lycée etc.).
Afin de mesurer l’impact des actions mises en place et ainsi répondre aux enjeux de transmission et de valorisation des cultures régionales, la Région Occitanie réalise chaque année un bilan des avancées et des initiatives portées. À ce jour, plus de 80% des mesures prévues dans le cadre de ce plan sont déjà réalisées ou engagées dans différents domaines : enseignement, formation, attractivité du territoire, recherche ou encore innovation…
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