Terre de Liens : Préserver de plus en plus de terres au bénéfice de l’agriculture paysanne

Bergerie Bosc avril 2022 Photo : Olivier @LPitois

Pas moins de 45 % des agriculteurs vont cesser leur activité d’ici 2026. Cette statistique justifie à elle seule de bousculer la politique de soutien aux transmissions agricoles et l’urgence d’une nouvelle loi. Le concept de foncière agricole, tel que Terre de Liens le conçoit, avec l’épargne des particuliers, est une solution qui a du sens. Avec, déjà, 55 fermes en Occitanie sauvées de la spéculation. Avec sa propre foncière, la Région Occitanie a déjà aidé une douzaine de néo-paysans.

“Nous sommes peut-être le premier propriétaire de terres bio en Occitanie qui est la première région bio de France et peut-être d’Europe” : c’est Le Toulousain Vincent Boyer qui le revendique sans forfanterie. Il est le coprésident bénévole de Terre de Liens en Occitanie, un mouvement – à la fois foncière (société commandite par actions), fondation et fédération d’associations au nombre de dix-neuf dont Midi-Pyrénées et Languedoc-Roussillon – qui fête ses vingt ans et qui veut désormais “changer d’échelle”. Le mantra : “La terre n’est pas une marchandise.” L’organisation lance une campagne de communication “spatiale” et un appel à “revenir sur Terre”.

L’Occitanie a perdu 14 000 fermes en dix ans

Ferme de la Fumade, à Ambeyrac, en Aveyron. Ph. Gaëlle Lacaze

Même si, dans notre région, il y a davantage d’emplois agricoles directs que dans l’aéronautique et l’ensemble de ses sous-traitants, les terres agricoles “sont en danger”. Entre 2010 et 2020, selon le recensement agricole, l’Occitanie a perdu 14 000 fermes. À cause du manque d’agriculteurs capables de reprendre les exploitations à reprendre. Et, pour sauver les restantes, il faut combattre la “spéculation“. Comment ? En faisant appel à l’épargne citoyenne des particuliers et en installant des (néo)paysans à la tête des exploitations achetées suivant un bail rural et environnemental. Avec un cahier des charges où il est “obligatoire de cultiver en bio, de respecter les infrastructures agro-écologiques, ne pas couper les haies, etc. Il y a une quinzaine de points que l’on ne fait pas tous signer forcément”.

“La foncière, c’est 340 fermes dont 55 en Occitanie”

Vincent Boyer. Ph. VB.

Avec des garde-fous : “On ne revendra jamais le foncier ; on en restera propriétaires ad vitam aeternam. Les gens peuvent récupérer leur épargne quand ils le veulent. Mais il n’y aucune rémunération du capital. La foncière représente 340 fermes en France – dont 30 appartenant à la fondation –  dont 55 en Occitanie ; c’est deux fois plus qu’il y a trois ans. Et peut-être que demain on en aura 400 ou 450.” Avec le but, en tout cas, de croître dans les prochaines années. “Le capital de la foncière représente environ 145 M€. Nos fermes sont de tous types : maraichage, élevage, viticulture… Et nous avons beaucoup de collectifs qui sont porteurs de projets, qui sont par ailleurs absolument libres de leurs choix de culture. Ils amènent du positif : ils permettent de combattre l’isolement.

En Occitanie, Terre de Liens a protégé 3 000 hectares de terres, acquis 55 fermes et installé 120 paysannes et paysans en agriculture biologique”

Le mouvement – fort de 1 000 adhérents, 120 bénévoles actifs et 13 salariés en Occitanie – achète du foncier agricole avec de l’épargne populaire en y installant des porteurs de projets en agriculture biologique. “En France, chaque semaine, 200 fermes disparaissent, proclame le mouvement. Chaque année, 50 000 hectares de terres agricoles sont bétonnés, tandis que 300 000 emplois agricoles ont disparu ces trente dernières années.”

Face à ces chiffres vertigineux, des citoyens s’unissent “pour préserver les terres agricoles et notre alimentation à tous et toutes. En Occitanie, Terre de Liens a ainsi protégé 3 000 hectares de terres, acquis 55 fermes et installé 120 paysannes et paysans en agriculture biologique. Et le mouvement se poursuit. Le souci n’est pas de trouver des terres mais des porteurs de projets.”

C’est ainsi que Terre de Liens possède 340 fermes en France. Chaque année, Terre de Liens reçoit en Occitanie 360 porteurs de projets, paysans ou collectifs. Ce sont des personnes qui sont à divers stades d’un projet ; certains ont juste une idée ; d’autres sont bien engagés, etc. Nous les conseillons, les orientons parfois vers des partenaires comme le Civam, et même les chambres d’agriculture.”

360 porteurs de projets et 80 vendeurs

La Bleymie @TDLMidiPy

Dans le même temps, l’organisationreçoit 80 cédants, des gens qui veulent qui veulent vendre leurs terres à Terre de Liens pour que ça reste en bio ; que ça ne parte pas à l’agrandissement, c’est le cas de deux-tiers des exploitations. En ce moment, en Occitanie, nous en sommes à dix ou douze acquisitions par an. Quand on achète une ferme, entre en jeu une alchimie qui peut prendre un peu de temps : on achète quand ses caractéristiques (surface, son potentiel de production…) et le ou les porteurs de projets correspondent. Là, on va à la Safer et on essaie de se porter acquéreurs.

Quatre millions de propriétaires fonciers en France

Et la tendance s’accentue. Terre de Liens publie un rapport national chaque année. Dans sa dernière livraison, révèle par la voix de Vincent Boyer : “Il y a quatre millions de particuliers propriétaires fonciers en France, y compris par héritage ; moi-même j’ai hérité de deux hectares en Haute-Vienne. Et au niveau de l’Occitanie, en moyenne, chaque agriculteur a neuf propriétaires différents ! (Lire ci-dessous) La plupart de ces propriétaires n’ont pas eux-mêmes de lien direct avec l’agriculture. Et quand ils sont plusieurs au sein d’une même famille, ce n’est pas facile de s’entendre pour décider de garder ou de vendre.”

Comme on nous le répète depuis tout petit : il faudra changer de métier trois ou quatre fois dans notre vie. Dans l’agriculture c’est pareil”

Qui sont les “porteurs de projet” ? “L’agriculture a changé, les porteurs aussi. Certains sortent de l’école ; d’autres sont des personnes en reconversion… Ils ne sont pas tous sur le travail de leur vie ; ils sont peut-être dans l’idée de faire ce métier pour cinq ou dix ans. Comme on nous le répète depuis tout petit : il faudra changer de métier trois ou quatre fois dans notre vie, dans l’agriculture c’est pareil.” Du coup, ces néo-paysans trouvent l’idée d’un bail rural intéressante, notamment pour ne pas avoir à s’endetter pour acheter du foncier. C’est un espoir pour la transmission mais ce n’est pas gagné d’avance.

L’effet pervers des sociétés financières

“On voit aussi arriver une nouvelle forme de sociétaires : des sociétés financières extra-agricoles qui investissent dans la terre et pas que pour de bonnes raisons. Car qui dit agrandissement dit fermes de plus en plus capitalisées, avec plus de bâtiments, de machineries, etc. qui ne collent pas forcément avec les profils de nos candidats. Les gens que l’on accompagne, à plus de 90 %, ne sont pas issus du monde agricole. Et ils n’ont pas nécessairement l’argent pour s’endetter. Quand on passe devant la Safer, c’est un atout d’avoir Terre de Liens comme partenaire face à ces sociétés financières.”

Ce qui est en phase avec la future loi agricole, à laquelle participe Terre de Liens, qui vise à favoriser l’installation de paysans. Avec une donnée à prendre en compte : “La plupart des propriétaires sont âgés de 60 ans et plus. Comme le dit Jean-Louis Cazaubon, vice-président de la Région Occitanie, un million d’hectares en Occitanie vont changer de main dans les dix ans qui viennent. Cela va poser des problèmes”, décrypte Vincent Boyer.

Guichounat 2022 @LPitois

Version moderne de David contre Goliath

Le président de Terre de Liens expose encore sur une version moderne de David contre Goliath : “Sur une vente, on peut avoir le propriétaire d’une ferme de 50 hectares et un méthaniseur installé, lui, sur plusieurs centaines d’hectares. Ce dernier va renchérir sur le prix du foncier parce qu’il a des débouchés importants. Rien que ça, ça fait augmenter mécaniquement le prix du foncier. Ce qui se passe souvent : la Safer, (Société d’aménagement foncier et d’établissement rural) dit ok mais pour cinq ou dix hectares au final pour le méthaniseur mais au final, le prix aura augmenté sur toute la surface. Et sur toutes les prochaines acquisitions autour. Ensuite, il n’est pas sûr que pour l’agriculteur qui veut acheter 50 hectares que son projet soit viable sur une surface inférieure. Alors, soit on abandonne le projet soit on trouve des solutions…”

Vincent Boyer remet en perspective : “L’Hexagone compte quelque 350 000 à 400 000 fermes. À Terre de Liens, nous en représentons 0,1 %. C’est rien mais 340 fermes c’est quand même quelque chose. Au départ, ce sont des particuliers installés dans la Drôme, connue comme terre de bio, qui ont eu cette idée de foncière agricole. Personnellement, j’avais quatre sous et je ne voulait pas aller les mettre dans une Sicav anonyme d’une banque ; je voulais que cet argent ait du sens.”

Nous sommes comme les Restos du Coeur : on aimerait qu’il n’y en ait plus, cela montrerait que l’on n’en a plus besoin”

Cap d’armas 2022@C.Martelet

Après un reportage TV qui montrait qu’après le départ à la retraite d’un agriculteur de 80 ans, son exploitation avait été reprise par… onze personnes, sa conviction est faite : il investira dans Terre de Liens dans la foncière, une société par commandite par actions. C’était il y a cinq ans. Cette foncière sert à “préserver le foncier agricole et son caractère nourricier, combattre l’artificialisation et la spéculation et installer des porteurs de projets avec des emplois locaux. Nous sommes comme les Restos du Coeur : on aimerait qu’il n’y en ait plus, cela montrerait que l’on n’en a plus besoin. Terre de Liens, c’est un moyen.”

Des propos qui interviennent trois semaines après un mouvement de ras-le-bol pacifique qui s’était auto-surnommé On marche sur la tête”. Il s’agissait d’une opération, née en Occitanie, de retournement des panneaux à l’entrée des villes par des agriculteurs en colère, désorientés qu’ils sont par des injonctions contradictoires du gouvernement.

Avec sa foncière, la Région Occitanie a aidé douze porteurs de projets et acquis 300 hectares

Il existe plusieurs autres foncières en France. Et même une foncière créée en 2022 par la Région Occitanie. Créée il y a dix-huit mois, elle pourrait s’apparenter à une sorte de location de terres avec option d’achat. Après une période normale de rodage, douze néo-paysans ont été aidés dans le portage de leur projet. “Notre foncière a déjà acquis quelque 300 hectares dans la région grâce à un budget de 1,6 M€ (1,2 M€ de la région Occitanie et la Chambre régionale des jeunes agriculteurs, des banques…) Notre solution commence à être connue. On va faire un point d’étape mi-janvier et se projeter vers l’avenir. Comment on évolue.”

Comme une location d’une voiture avec option d’achat

Photo Région Occitanie.

Les écueils ? “La foncière a été imaginée pour aider les dossiers de reprise d’exploitation un peu juste, en panne de financements. Typiquement, un jeune qui voulait s’installer mais n’avait pas suffisamment d’argent. La banque ne lui suivait pas jusqu’au bout ; et notre foncière se propose de prendre la dernière partie de cette somme en charge et faire de la location comme pour les voitures : une sorte de location avec option d’achat pendant neuf ans. Et, au bout des neufs ans, l’acquéreur pouvait acheter aux conditions de départ.”

Terres de Liens, Jean-Louis Cazaubon connaît bien : “Nous nous sommes rencontrés la semaine dernière et nous allons travailler ensemble sur un gros dossier. Ils ont une philosophie différente : ils achètent et louent les terres ; nous, on les porte et, au final, on ne les garde pas. Ils ont des fermes entières, en bio ; cela correspond à une certaine catégorie de projets. Sur ce gros projet dont il est question, on va même travailler avec d’autres foncières. Financièrement, on n’a pas la capacité de répondre à tout. Notre foncière est un effet de levier qui permet d’emprunter…” Lire également ci-dessous (1).

Olivier SCHLAMA

Qui sont les propriétaires en Occitanie ?

Selon Terre de Liens qui a publié une étude avec le Céréma, en Occitanie, la terre agricole appartient très majoritairement à des personnes physiques : ainsi, plus de 477 000 propriétaires privés possèdent 78 % de la surface agricole utile (Sau). Néanmoins, ce pourcentage est moins élevé qu’au niveau national, où il atteint 85 %. Spécificité de notre région, la propriété publique (État, région, départements, collectivités territoriales…) y est deux fois plus développée : 10 % de la Sau en Occitanie, contre 5 % au niveau national.

Une propriété publique importante…

Les entités publiques sont des propriétaires fonciers relativement importants en Occitanie. Parmi elles, ce sont surtout les collectivités territoriales (communes, communautés de communes, EPCI…) qui détiennent des terres agricoles, avec plus de 250 000 hectares.

… mais très variable selon les territoires

En Ariège et dans les Pyrénées-Orientales, la forte présence de lʼOffice National des Forêts (ONF) mais aussi des collectivités territoriales, et dans une moindre mesure de l’État, explique ces pourcentages de SAU très significatifs comparativement aux autres départements. Pour les Hautes- Pyrénées, la propriété publique est quasi exclusivement du fait des collectivités territoriales.

Le profil des propriétaires privés

Ferme de la Fumade, à Ambeyrac, en Aveyron. Ph. Gaëlle Lacaze

La plupart des 477 000 propriétaires privés dʼOccitanie ne sont pas agriculteurs, puisque la région ne compte que 77 500 chefs dʼexploitations. Ces propriétaires détiennent en moyenne des parcelles de 5,5 hectares, une surface qui peut sembler dérisoire comparée à la taille moyenne des fermes en Occitanie, 49 hectares. Ainsi, un agriculteur occitan qui travaille ses terres en location loue des terres à neuf propriétaires en moyenne, soit trois fois plus que dans les années 1980.

Le propriétaire agricole type en Occitanie : un homme de plus de 50 ans qui habite la même commune que le bien

La propriété des terres s’est donc morcelée par rapport à la taille des fermes, même si lʼOccitanie semble relativement moins touchée par ce phénomène comparée à dʼautres régions. La propriété privée par des personnes physiques et très largement majoritaire. Elle est même hégémonique dans le Lot (95 % de la Sau), le Tarn (93 %), le Tarn-et-Garonne (93 %) et le Gers (90 %).

Le propriétaire agricole type en Occitanie : un homme de plus de 50 ans qui habite la même commune que le bien. En Occitanie, 48 % des surfaces agricoles détenues par des personnes physiques sont la propriété de personnes qui ont plus de 65 ans.

Succès de la 1ère foncière agricole régionale

En 2022, la Région a créé la première foncière agricole régionale de France pour faciliter l’acquisition de foncier agricole en se portant acquéreur du terrain agricole, permettant ainsi au producteur de prioriser les investissements matériels.
Cette création répond aux enjeux de l’installation de nouveaux agriculteurs sur les territoires.

Un outil unique en France pour des installations agricoles durables
La foncière agricole achète le foncier à la place d’un agriculteur qui s’installe, et porte ce foncier pendant une durée de 4 à 9 ans maximum. L’agriculteur est alors locataire pendant la durée de portage et achète son foncier à la fin de la durée de portage.

La foncière agricole a comme priorité de réaliser du portage foncier pour des projets d’installation s’inscrivant notamment dans la politique globale en matière d’alimentation durable et de sa relocalisation, mais également en lien direct avec la stratégie agriculture durable et la transition agro-écologique.

Chiffres bilan de la Foncière Agricole d’Occitanie

Fin 2023, 8 dossiers de portage concernant 9 agriculteurs ont été validés sur l’ensemble du territoire régional. 6 acquisitions ont été réalisées à ce jour. Les 2 autres sont prévues fin décembre 2023 et courant janvier 2024.
La répartition des acquisitions se fait de la manière suivante sur le territoire : 1 projet en Lozère, 3 en Ariège (09), 1 en Haute-Garonne (31), 1 dans l’Hérault (34), 2 dans le Tarn-et-Garonne (82) et 1 dans le Tarn (81).

Au total fin 2023, ce sont près de 300 ha de surfaces portées par la Foncière agricole d’Occitanie pour un montant total d’acquisition de près d’1,1 M€ avec un montant moyen d’acquisition de 120 K€ et une durée de portage moyenne de 6 ans.
L’intervention de la Foncière a rendu possible l’installation de 7 jeunes et à pérenniser l’installation de 2 jeunes.

Avec des acquisitions à hauteur de près d’1,1M€, la Foncière Agricole a permis un investissement total sur les exploitations concernées de plus de 2,8M€.
Les portages concernent majoritairement les filières d’élevage (7/8). Un premier dossier viticole a été accompagné dans l’Hérault.

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