Pyrénées-Orientales : Pourquoi l’État coupe les pattes du viaduc de Céret

Une vue numérisée du projet de viaduc de Céret dans les P.-O. DR.

On l’appelle le viaduc de Céret, censé, pour ses promoteurs, désenclaver le Vallespir et le Haut-Vallespir. Un projet important, porté par le conseil départemental, que la préfecture vient de refuser. Arguant du fait qu’il ne démontre pas son utilité et que son impact environnemental n’est pas anodin.

Un pont ça relie ou ça divise. En janvier 2022, c’était la première option qui s’était concrétisée : le département des P.-O. avait organisé avec un certain succès une votation citoyenne. Les samedi 29 et dimanche 30 janvier, sur 25 000 inscrits (issus de 24 communes du Vallespir et du Haut-Vallespir), 4 900 personnes avaient pris part au vote, comme Dis-Leur vous l’avait expliqué ICI.

Résultat : 2 736 habitants (56,27 %) ont voté “Oui” à la construction d’un pont de 330 mètres de long et 17,5 mètres de haut ; et 2 126 (43,73 %) avaient glissé un bulletin “Non” dans l’urne. Le taux de participation peut paraître bas (19,12 %) mais pour ce “genre de votation, c’est un bon résultat”, indiquait-on au département des Pyrénées-Orientales.

Viaduc, trois giratoires, voies cyclables, aires de covoiturage, pôle d’échanges multimodal…

Ph. DR

Ces aménagements entre la RD 115 et la RD 618, dont ce pont sur le Tech, étaient envisagés d’ici 2025. Ou plutôt devaient être construits… La préfecture ne l’a pas entendu de cette oreille pour cette infrastructure censée soulager l’accès au Vallespir et au Haut-Vallespir où il n’est pas rare d’enregistrer plus de 20 000 véhicules quotidiens. Le viaduc devait être accompagné de trois giratoires, voies cyclables, aires de covoiturage et d’un pôle d’échanges multimodal pour se connecter à la voie ferrée – que le département aimerait voir arriver jusqu’à Céret- pour participer à la création du fameux “RER” catalan, appelé de ses voeux par la présidente du département, comme Dis-Leur vous l’a expliqué ICI.

Avis défavorable de la préfecture

Dans son arrêté, la préfecture argumente en s’appuyant sur les avis défavorables émis par le Conseil national de protection de la nature (CNPN) en date du 10 août 2022 et du 15 décembre 2022 ; de l’avis tout aussi défavorable du ministre de la Transition écologique le 7 août 2024. De plus cette zone naturelle est habitée par la loutre d’Europe et l’Emyde lépreuse, espèces protégées.

Efficacité du pont “n’est pas démontrée”

La préfecture souligne également que “la condition d’une dérogation liée à la raison impérative d’intérêt public majeur n’est pas suffisamment justifiée, en particulier au regard de la saturation du réseau actuel qui n’est pas démontrée et du gain de temps de parcours aux heures de pointe qui n’apporte pas de plus-value justifiant le caractère majeur de l’infrastructure”. Ce n’est pas tout : le préfet estime “qu’il ressort de ces avis que la stratégie de compensation pour la loutre d’Europe et l’Emyde lépreuse ne garantit pas une équivalence écologique des mesures compensatoires et qu’en conséquence l’absence de perte nette de biodiversité n’est pas garantie.” Et encore : “Les solutions alternatives pour la sécurité notamment sur le pont actuel ne sont pas présentées.”

“Le préfet valide tous les arguments que nous défendons depuis des années”

Ph DR.

Hervé Bazia, de l’association Bien Vivre en Vallespir (150 adhérents), se réjouit de cette décision préfectorale : “Le préfet valide tous les arguments que nous défendons depuis des années : rien ne justifie ce 4e pont dans ce territoire et le projet présentait trop d’insuffisances ; présentait trop d’impact en matière environnementale et n’aurait eu aucun bénéfice pour fluidifier la circulation.” Sans parler du coût : “Il y a dix ans, on parlait de 30 M€… En fait, ce viaduc préparait le terrain pour des projets immobiliers et une urbanisation de luxe”, avance Hervé Bazia. Ce que le département des P.-O. a toujours nié.

Hermeline Malherbe va réunir les élus pour savoir si le département fait ou non appel de la décision

Hermeline Malherbe, présidente du conseil départemental des Pyrénées-Orientales voeux 2024, Maison de la Catalanité. Ph. Olivier SCHLAMA

Le département des Pyrénées-Orientales explique par communiqué que la présidente Hermeline Malherbe va réunir et consulter les élus du territoire concerné pour savoir s’il sera fait appel de cette décision ou non. “Le département a pris connaissance du refus par le gouvernement démissionnaire d’accorder les autorisations nécessaires à la construction du nouvel accès à Céret et Maureillas-Las-Illas par la réalisation d’un pont sur le Tech et le désenclavement du Haut-Vallespir. Hermeline Malherbe, présidente du département, en lien avec Michel Coste, maire de Céret et président de la communauté de commune du Vallespir, et Claude Ferrer, maire de Prats-de-Mollo et président de la communauté de communes du Haut-Vallespir, va réunir prochainement les élus et les acteurs du territoire pour déterminer les suites à donner sur ce dossier.”

Contacté le vice-président du département et maire PS de Saint-Jean-Pla-de-Corts, Robert Garrabé dit de son côté : “J’ai toujours dit que l’on doit se donner les moyens d’un développement à moyen et long terme de ce territoire. C’est comme quand on s’était opposés au tuyau d’eau venant du Rhône : on se rend compte, aujourd’hui, que c’était une bêtise. C’est ce qui va arriver à ce pont. Qui, pourtant, résoudrait des problèmes de circulation et d’accès.”

“Pont de Céret : la raison doit l’emporter”

De leur côté, les écologistes – par la voix de Liliane Mas, Hervé Bazia, Nicolas Berjoan, David Berrué – soulignent : “Le verdict est tombé. Un quatrième pont à Céret n’est d’aucun intérêt pour le Vallespir, il ne fera gagner aucun temps aux automobilistes, son impact sur des zones naturelles fragiles sera lourd. La préfecture des P.-O. a reconnu la valeur des arguments portés par Les Écologistes et les associations de défense de l’environnement depuis plusieurs années. Elle a rejeté la demande d’autorisation de construction.”

David Berrué, EELV. DR

Et d’indiquer que “la balle est désormais dans le camp de la majorité départementale, qui défend ce projet depuis longtemps et a la possibilité de faire appel de la décision préfectorale. Sauf que la situation a changé. Nous avons mené des combats communs lors de la campagne des dernières élections législatives. Nous avons porté ensemble le programme du Nouveau front populaire, qui prévoit expressément un moratoire sur les projets autoroutiers et les infrastructures climaticides.”

Et de conclure : “C’est pourquoi nous appelons les élus départementaux à ne pas faire appel de la décision du préfet, et à faire preuve de cohérence. Notre département est dans une situation critique, tant sur le plan économique qu’environnemental. L’abandon de ce projet est une bonne nouvelle pour les finances publiques, pour la biodiversité, pour l’ensemble des habitantes et habitants du Pays catalan. La raison, la lucidité doivent l’emporter.”

Olivier SCHLAMA

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