C’est un pan de l’histoire de l’humanité, un site exceptionnel comme il n’en existe qu’une poignée dans le monde. Agnès Langevine, vice-présidente de la Région, maître d’ouvrage d’un projet de reconstruction à 20 M€, dit : “C’est l’un des projets-phare de notre mandat.” Sa collègue, Claire Fita, renchérit, enthousiaste : “Nous sommes tous de Tautavel !”
C’est un livre ouvert sur l’histoire de l’humanité. Accrochée à une colline antédiluvienne en calcaire qui surveille le village de Tautavel, la Caune de l’Arago, dans les Pyrénées-Orientales, témoigne de la préhistoire. La grotte renferme, à portée de main, de spatules et truelles, un trésor fait principalement d’ossements humains que le temps a fait prisonniers de strates de terre et que les archéologues s’emploient à déterrer avec un trésor de patience depuis soixante ans ! En bas, coule le Verdouble, une rivière qui n’a pas toujours été sage et où le touriste aime à se rafraichir, l’été, sans se soucier de la présence posthume de ses ancêtres…
“Point de départ de notre identité commune”
On a déniché plus de 152 restes emblématiques qui représentent beaucoup. “On est tous l’homme de Tautavel !”, formule Claire Fita, vice-présidente de la Région pour dire combien ce “projet est celui du mandat pour nous et Carole Delga, la présidente. C’est un patrimoine exceptionnel. Qui raconte l’histoire des premiers peuplements en Europe. Nous avons une chance et une grande responsabilité. C’est le point de départ de notre identité commune…”
L’homme de Tautavel, longtemps le plus vieil européen
Découvert en 1971 par le célèbre couple de savants presque nonagénaires (87 ans) et toujours en activité, Henry de Lumley, préhistorien, et sa femme Marie-Antoinette, paléoanthropologue, l’homme de Tautavel, vieux de 450 000 ans, a longtemps été le plus vieil européen. Mais les fouilles s’accélérant ailleurs sur le continent, on lui a trouvé des ancêtres bien plus vieux que lui, notamment en Espagne. Ses fossiles, dents, crâne quasi-complet, mâchoire, outils en pierre taillée de l’homme de Tautavel ont, certes, un âge canonique.
Fabuleuses trouvailles archéologiques
Mais ils ont été détrônés, depuis, par les restes d’Homo antecessor plus vieux. Daté d’environ un million d’années, on l’a retrouvé à Sima de los Huesos, dans la sierra d’Atapuerca, en Espagne. Mais l’homme de la Caune de l’Arago – le nom de la grotte de Tautavel située à 80 mètres de hauteur dans un sol typiquement calcaire – fait toujours parler d’elle pour ses fabuleuses trouvailles archéologiques, dont un péroné très récemment. Il y a quelques années, c’était une mâchoire.
“C’est un peu notre Lucy à nous…”
Cela reste un site exceptionnel. “L’homme de Tautavel, c’est un peu notre Lucy à nous (1) : dans les années 1970, pas mal de sites n’avaient pas encore livré tous leurs secrets. On a depuis trouvé plus vieux en Espagne, en Italie… En Espagne, ce sont probablement des restes de l’homme de Néanderthal. Tandis-qu’à la Caune de l’Arago, c’est sans doute la lignée d’une espèce humaine qui s’est éteinte ensuite alors que Sapiens, lui, vient d’une lignée africaine”, explique Christian Perrenoud, géo-archéologue et responsable des fouilles.
“Il reste 7 m de fouilles soit 130 000 ans de plus à remonter”
Celles-ci sont monumentales : la Caune de l’Arago est d’une extrême richesse historique. “C’est un livre ouvert sur notre humanité”, a l’habitude de dire son inventeur, Henry de Lumey, 87 ans et toujours tout à son oeuvre de la monographie de cette grotte miraculeuse. La cavité est fouillée depuis 1967 ! Elle recèle pas moins de 400 000 restes divers. “Les onze premières mètres ont été auscultés. Il en reste sept mètres soit 130 000 ans de plus à remonter. On en a au moins une vingtaine d’années de recherches”, précise Christian Perrenoud. Avec parfois plus d’une centaine de personnes affairées sur le site.
Un projet de reconstruction à 20 M€
Cette passionnante histoire de l’homme préhistorique de Tautavel qui fut anthropophage, probablement par rituel, on peut la revivre au musée éponyme qui abrite aussi un centre de recherches. Mais celui-ci a vieilli. La commune (900 habitants), le département des Pyrénées-Orientales et la Région Occitanie portent un projet de reconstruction d’envergure estimé à 20 M€.
Nous voulons donner une dimension européenne voire mondiale à ce musée”
Agnès Langevine, vice-présidente de la Région Occitanie
Vice-présidente de la Région, Agnès Langevine précise : “C’est l’un des gros projets de notre mandat régional. Depuis que la Région Occitanie est entrée dans la structure juridique (un EPCC) du musée de la préhistoire de Tautavel, en 2019, nous avons dit que nous voulions lui donner la juste place : c’est un site majeur du paléolithique, y compris sur le plan scientifique. Toutes ces découvertes, tout ce potentiel, nous allons les valoriser. Nous voulons donner une dimension européenne voire mondiale à ce musée.”
“Un endroit qui aide à penser…”
Agnès Langevine ajoute : “Avec ces six cycles climatiques complets que l’on constate dans ces strates, c’est un lieu qui réinterroge le climat et le réchauffement climatique ; qui réinterroge le peuplement de l’Europe… C’est un point de passage important des peuples. De l’histoire de l’évolution. Il nous aidera à savoir comment se projeter vers l’avenir. C’est un endroit qui nous aide à penser.” Pour cela, il faut un plan, incluant des meilleures conditions d’accueil des chercheurs du monde entier qui viennent bosser au Centre européen de recherches préhistoriques de Tautavel.
Trois hypothèses pour la reconstruction
Il faut surtout revoir toute la muséographie du musée. Et “mettre en place un récit”, précise Agnès Langevine. Quant aux bâtiments eux-mêmes, trois pistes sont à l’étude. “Il faut un écrin pour cette collection fantastique, la plate-forme scientifique et la partie conservation”, dit l’élue. Soit rénover in situ, soit reconstruire le musée à l’entrée du village soit, enfin, le rebâtir à la place de la cave coopérative. Ce qui pose pas mal de questions, y compris du devenir du site actuel que l’on pourrait éventuellement transformer en lieu de résidence pour scientifiques. Si on reconstruit le musée à l’entrée de la commune, le village gardera aussi son ex-coopérative en friche…
Le maire défavorable à un un projet in situ
Et si on choisit la reconstruction in situ, “cela veut dire que le musée sera fermé au moins deux ans ; il faut reclasser le personnel. Je n’y suit pas favorable”, réagit le maire de Tautavel, une commune est grâce à cette grotte connue internationalement. Pour Francis Alis, pour rendre ce musée davantage attractif, “il faut continuer à faire ce que l’on sait faire de bien, comme des ateliers sur la préhistoire…” Fermée – le chantier n’était plus aux normes et il fallait purger et consolider la falaise -, la Caune de l’Arago ne rouvrira aux scientifiques que dans un mois.
En concertation avec la population
D’ici là, l’option de reconstruction du musée aura été prise avec la commune, l’agglo, l’Etat, le département et la Région Occitanie. Quant à déplacer le musée près de la Caune de l’Arago, impossible : trop de contraintes liées aux inondations et au fait que c’est un site protégé. “Nous n’aurions pas eu les autorisations”, plaide Agnès Langevine. “En tout cas, nous choisirons l’option ensemble avec la population qui y sera associée au travers de réunions publiques”, y compris avec les restaurateurs qui sont inquiets d’imaginer un musée loin de leurs tables.
“Le musée compte 15 agents permanents. Par ailleurs, le centre de recherche européen abrite une quinzaine de scientifiques, parfois de renommée internationale”, explique pour sa part le directeur, Clément Ménard. “Dans la Caune de l’Arago, l’homme de Tautavel n’a pas révélé tous ses secrets. Il y a encore un gros potentiel.” Pour l’avenir, Clément Ménard n’a “pas d’avis personnel. L’important, c’est que ce soit réussi. Je n’ai pas de dogme. Sur place, ce serait évidemment possible mais cela veut dire que cela engendre une fermeture de deux ans avec un déplacement des collections et des personnels… Vers la grotte, on y a songé mais c’est impossible…”
“Petit, mais très charpenté”, l’homme de Tautavel
L’homme de Tautavel n’était pas un contemporain des dinosaures, disparus, eux, plusieurs millions d’années avant son apparition. Et pas plus tard qu’il y a un an un fragment de six centimètres a été mis au jour, identifié par les archéologues comme un bout de péroné humain. Un indice supplémentaire pour dessiner le portrait-robot de l’homme de Tautavel. Christian Perrenoud, géo-archéologue et responsable des fouilles en fait le portrait-type. “L’Homme de Tautavel était de petite taille, environ 1,65 mètre, mais très charpenté, lourd, costaud, trapu ; on le sait par les traces d’insertions musculaires ; c’était déjà un bipède permanent.” Quant à son crâne, “il n’avait pas de front mais un renflement, un bourrelet osseux au-dessus des yeux. Pas de menton, non plus.”
Chasseurs-cueilleurs nomades
Ces hommes préhistoriques ne vivaient pas dans cette grotte en permanence. On a retrouvé des traces de découpe d’os frais d’animaux au silex. C’étaient des chasseurs-cueilleurs nomades. “On a retrouvé des restes de Rennes (85 % des ossements), ce qui signifie clairement l’époque glaciaire qui était à l’oeuvre il y a 55 000 ans, à 20 km de la Méditerranée.” Dans ce territoire, on croisait facilement, en fonction des époques, boeufs musqués, chevaux, bisons, rhinocéros, cerfs, daims. “On a ainsi dénombré 55 niveaux d’occupation dans la Caune de l’Arago avec une oscillation régulière de périodes glaciaires et inter-glacières”, confie Christian Perrenoud.
L’homme de Tautavel ne connaissait pas le feu “même si on a retrouvé des micro-charbon de bois, c’était sans doute les restes d’un incendie naturel. Les particules étaient tellement petites qu’elles ont dû s’infiltrer dans la grotte au fil des ans. On soupçonne aussi l’homme de Tautavel d’avoir mangé ses congénères, à l’occasion de rituels. On le sait parce que l’on a constaté des fractures sur des individus déjà morts”. Tautavel ou le miracle de la lignée humaine ressuscitée.
Olivier SCHLAMA
(1) Lucy est le surnom donné au fossile de l’espèce éteinte Australopithecus afarensis découvert en 1974 sur le site de Hadar, en Éthiopie, par une équipe de recherche internationale. Ce fossile est daté de 3,18 millions d’années. Il a révolutionné notre perception des origines humaines, en démontrant que l’acquisition de la bipédie datait d’au moins 3,2 millions d’années2, et avait largement précédé le processus d’accroissement du volume endocrânien. 👉 La suite ICI
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