Pauvreté : À Montpellier, on teste la toute première caisse alimentaire commune

Soutenu par la ville et la métropole de Montpellier, un collectif de 25 associations est le premier en France à expérimenter une sorte de Sécurité sociale de l’alimentation où chacun participe en fonction de ses moyens et reçoit en retour une allocation alimentaire de 100 € mensuels.

La Sécurité sociale de l’alimentation s’expérimente à Montpellier. Il y eut un point d’orgue, le 28 janvier dernier, où chaque parole bue des acteurs de cette initiative, quelque 400 participants se sont réunis dans une salle municipale montpelliéraine, un samedi soir, pour évoquer “le droit à l’alimentation” comme on le ferait de n’importe quel droit élémentaire. Il y fut question de pouvoir citoyen. Et d’une sorte de remake de la Sécurité sociale mais appliquée à l’alimentation et aux inégalités sociales.

Lutter contre la pauvreté et la précarité alimentaire

Dans une semaine se lancera donc cette première expérimentation en France censée être évaluée au bout d’un an d’une caisse d’alimentation citoyenne. Son but : lutter contre la pauvreté, la précarité alimentaire. En l’inscrivant dans une dynamique démocratique. Il s’agit aussi de “soutenir la production locale et inventer un nouveau système solidaire”. Qui met en jeu une nouvelle monnaie locale, la Mona, créée par l’association la Graine. Grâce à une application smartphone dédié, vos versements effectués vous créditent, en Mona, que vous pouvez ensuite dépenser dans les commerces conventionnés par ce dispositif. On peut aussi avoir ces sommes en billets pour les allergiques au dématérialisé.

Chacun cotise librement de 1 € à 150 € par mois

Dans un premier temps, cinquante bénéficiaires issus de douze quartiers de Montpellier sont appelés à en effectuer “le crash test”, selon le mot de Pauline Schérer, sociologue, l’une des chevilles ouvrières de cette belle idée. Le principe est simple sur le papier : chaque participant cotise librement, chaque mois, selon ses moyens, de 1 € à 150 € par mois et reçoit en retour une allocation alimentaire de 100 € mensuels, utilisable dans des commerces partenaires, à ce jour une poignée dont la fameuse Cagette, dont Dis-Leur vous a parlée ICI.

De 50 membres à 400 d’ici avril prochain

Pour l’heure, cette idée est testée par les cinquante membres fondateurs du “comité citoyen” dont la moitié sont en situation de précarité. Et qui se réunissent régulièrement pour fixer et préciser les contours du fonctionnement de cette caisse. Avant de s’élargir, en avril, à 400 participants. Le comité est composé en partie de personnes bénéficiaires de l’aide alimentaire mais pas seulement puisque l’intérêt est d’ouvrir l’expérience à un public mixte et de faire du comité, un lieu de rencontres et d’échanges où chacun est amené à contribuer en fonction de ses besoins. Avant qu’il ne soit ensuite possiblement généralisé.

Taux de pauvreté jusqu’à 26 % dans certains quartiers

Pauline Schérer, qui travaille depuis plusieurs années sur les enjeux d’inégalités sociales et d’alimentation, dit : “La précarité alimentaire est extrêmement difficile à mesurer. On se fie plutôt au taux de pauvreté se situait, en 2019, au-dessus de la moyenne nationale, à 19,3 % sur le territoire métropolitain mais jusqu’à 26 % à l’échelle de la ville et même 60 % dans certains quartiers prioritaires comme la Mosson (La Paillade). Cela fait au total près de 100 000 personnes qui en souffrent.” Inutile de dire que 100 € de plus par mois, c’est inattendu.

490 000 personnes vivent juste au-dessus du seuil de pauvreté

Sans oublier que, plus largement en Occitanie, 490 000 personnes vivent juste au-dessus du seuil de pauvreté (entre 1097 € et 1280 € par mois, selon les tout derniers chiffres de l’Insee. C’est un “halo de pauvreté” réunissant des chômeurs, des familles monoparentales et familles nombreuses. “En l’absence de prestations sociales, quelque 290 000 familles à la limite de ce seuil de pauvreté passeraient sous ce seuil.”

Sous la bannière de 25 associations locales

Cette caisse solidaire est née sous l’impulsion de 25 associations locales comme ATD Quart Monde, Secours catholique, Vrac & Cocinas… (1) réunies sous le label Territoires à Vivre. A l’origine du projet, Pauline Schérer avec la fédération régionale des Civam d’Occitanie (réseau de groupements agricoles et ruraux). Pour l’instant, concrètement, la “caisse alimentaire” bénéficie d’un budget collectif. “240 000 € était notre objectif. Nous en sommes à 150 000 € (ville, métropole, fondation Nina et Daniel Carasso, Fondation de France. Nous sommes en attente d’un financement de la Région Occitanie et de la ville et de la métropole de Montpellier pour 2023 qui devrait nous amener à un budget total de 200 000 €.”

L’opportunité du Plan de relance de l’État

Tout commence avec l’opportunité du Plan de relance de l’État suite au covid. “On a monté un projet au niveau national qui s’appelle Territoires à Vivre financé par l’Etat sur quatre territoires dont Montpellier, Toulouse, Lyon et Marseille. Et porté par cinq réseaux associatifs, les Civam, le réseau Cocagne, le Secours Catholique, Réseau Vrac. C’est là que nous avons sollicité les 25 associations partenaires aujourd’hui de cette caisse. On avait commencé par une petite expérience qui a très bien marché de distribution de bons d’achat alimentaires au marché de producteurs de Celleneuve avec l’Esperluette. C’est à ce moment-là qu’est “monté” au niveau national le sujet de la sécurité sociale de l’alimentation auquel je participe. Tout ça mis dans le shaker a donné l’idée de cette caisse d’alimentation commune, inspirée de la grande idée de la Sécurité sociale mais aussi de nombre d’initiatives locales qui existent depuis plusieurs années à Montpellier.”

L’alimentation, c’est un droit humain, reconnu au niveau international. On ne se pose pas la question, quand on va chez le médecin avec sa carte Vitale…”

Encore une mesure d’assistanat qui fait souvent polémique…? N’existe-t-il pas suffisamment d’associations (Restos du Coeur, Banque alimentaire…) ? “La question que l’on pose c’est celle de la redistribution. Et de la lutte contre les inégalités sociales. L’alimentation, c’est un droit humain, reconnu au niveau international. On n’a pas à se demander qui est ou non assisté mais qui mange ou pas. On ne se pose pas la question, quand on va chez le médecin avec sa carte Vitale. On a admis que la santé est un droit fondamental. Pour les gens aisés ou pas.”

De tels défis de santé et d’environnement

Pauline Schérer analyse : “Les associations telles qu’elles fonctionnent s’inscrivent dans un système alimentaire industriel qui, d’ailleurs, n’est pas vieux ; il est âgé d’à peine 50 ans-60 ans. On surproduit d’un côté, ce qui génère des effets sur la santé et l’environnement de plus en plus prouvés et on s’en contente : les surplus sont ainsi redistribués aux précaires. Qui, du coup, ne meurent pas de faim…”

L’idée a contrario que défend ce projet “c’est de dire que nous sommes face à des enjeux totalement différents d’il y a 50 ans, précise Pauline Schérer. On a de tels défis de santé et d’environnement à relever qu’il faut que nous inventions quelque chose de différent. Comment traiter cette solidarité et la transition écologique ? On n’est pas dans l’injonction dans le “Il faut…” “Faut qu’on…” qui ne marche pas. En revanche, définir collectivement nos enjeux communs, ça c’est intéressant. C’est pour cela que nous mettons l’accent sur l’aspect démocratique de l’expérience. Le plus intéressant à ce stade c’est de faire de l’alimentation un sujet politique. On le met sur la table.

“Agir comme un levier dans notre système d’alimentation…”

Au bout du bout c’est de proposer à tous les habitants de la Métropole de participer à cette caisse ? “Idéalement, ce serait ça. Mais il faudrait que ce système de caisse agisse comme un levier dans notre système d’alimentation. D’avoir un impact sur l’utilisation des terres agricoles. Aujourd’hui, notre offre alimentaire au niveau local est insuffisante. Et elle le restera. L’idée n’est pas de se nourrir totalement au niveau local. Ce n’est pas toujours vertueux. L’idée c’est aussi d’entrer dans la complexité de la réflexion. Et de se dire que l’on n’est pas obligés de subir ce système alimentaire industriel qui est responsable du réchauffement climatique à hauteur de 30 % ! Et qu’en tant qu’habitant et citoyen on peut se réapproprier ce sujet-là. De faire bouger les lignes.” Elle ajoute : “On s’est donné un an pour faire, à partir de cette expérimentation, une proposition qui tienne la route.”

Comment pérenniser et agrandir cette expérimentation qui a eu besoin pour son lancement de  beaucoup d’argent public et un appui fort des collectivités…”

Grégori Akermann, Inrae

Évolution des pratiques alimentaires ; manger mieux, local et de qualité ; comment agir pour une meilleure citoyenneté alimentaire ; créer des groupements d’achat pour se nourrir de façon moins onéreuse et multiplier les points de distribution : Grégori Akermann, de l’Inrae, fait partie d’un pool de chercheurs de plusieurs centres de recherches pour suivre cette expérience de près.

Photo : DR.

Mais aussi pour l’évaluer et tenter de tracer un chemin qui reste à défricher : “La question centrale, dit-il, c’est comment pérenniser et agrandir cette expérimentation qui a eu besoin pour son lancement de  beaucoup d’argent public et un appui fort des collectivités. Aller au-delà des subventions. Il y a quelques autres initiatives mais en rien comparables à cette “caisse” montpelliéraine, comme celle du marché du Lavoir dans la Drôme avec des prix différenciés ; ou à Clermont-Ferrand mais cette expérimentation est beaucoup plus petite puisqu’elle concerne qu’une vingtaine de membres. Le comité citoyen de la caisse alimentaire commune de Montpellier est composé pour moitié de gens en précarité et pour l’autre de gens qui ont l’habitude d’acheter bio, de manger des fruits et légumes, etc. Là, cela va être intéressant de suivre leurs décisions et leurs comportements…”

“Comme il y a un droit la santé, au logement, l’alimentation, à l’éducation, l’alimentation, c’est un droit”

Maire de Murviel, Isabelle Touzard, vice-présidente de Montpellier Méditerranée métropole, déléguée à la transition écologique, à l’Agroécologie et à l’alimentation intervient : “Nous allons réfléchir à la pérennisation de ce système, y compris financièrement.” C’est le Cirad qui suivra cette année de test. Elle rejoint Pauline Schérer : “Comme il y a un droit la santé, au logement, l’alimentation, à l’éducation, l’alimentation, c’est un droit. À un minimum d’alimentation variée pour tous.”

“Encore plus de Restos du Coeur et de Banques alimentaires ? Ce n’est pas satisfaisant”

“Ce que l’on constate, c’est que l’alimentation, c’est la variable d’ajustement dans un budget d’un ménage pauvre. Une fois que l’on a tout payé, loyer, téléphones, chauffage, etc. S’il reste 15 €, 20 €, 30 €, eh bien on le consacre comme on peut à son alimentation. Le reste à vivre, avec l’inflation, va encore diminuer. On pourrait se dire que la solution c’est encore plus de Restos du Coeur et de Banques alimentaires. Ce n’est pas satisfaisant : cela ne devrait être qu’en cas d’urgence.”

“Cette caisse commune amène de la dignité”

Les Restos du Coeur. Photo : Dominique QUET, BIM/MaxPPP.

Justement qu’amène de plus cette caisse alimentaire commune ? “De la dignité pour les gens. C’est la première chose qu’ils expriment. Et ensuite le fait de décider et de mieux manger en accédant à des produits frais. Pleins de bénéficiaires ne vont pas aux Restos du Coeur ou au Secours populaire parce qu’ils ne veulent pas s’abaisser à ça, à quémander. Ils se résolvent donc à manger de la pizza à 2 € ou du pain de mie sucré, du coca sucré pour tenir le coup, des pâtes, des nouilles… Et puis ça coûte plus cher de faire à manger soi-même avec des bons produits que d’acheter ça. Ils achètent très rarement des fruits et des légumes. Pour eux, 100 €, c’est un trésor.”

L’élue ajoute : “Notre consortium de 25 partenaires a aussi remporté un appel à manifestation d’intérêt de la Banque des territoires, Démonstrateurs territoriaux. On est seulement sept en France, dont trois en Occitanie (1), à avoir été retenus sur le thème de la transition écologique alimentaire. Nous avons proposé un projet, Terrasol, et avec un fil rouge : la solidarité du consommateur jusqu’au producteur. On bénéficie d’un financement sur trois ans.”

Olivier SCHLAMA

(1) Terrasol avec les Civam d’Occitanie et la métropole de Montpellier ; le projet Fantas’SZCIC porté par la SCIC Graines équitables et l’agglo du Grand Narbonne et Salt’Eaux porté par Suez et les agglos Terre de Camargue et de Sète.

Les vingt-cinq acteurs locaux engagés

Alternatiba, ATD Quart-Monde, CCAS, Chaire Unesco Alimentation du Monde, Cirad, Civam Bio 34, Croix-Rouge Insertion, Eoso – épicerie solidaire – Ugess, FAS Occitanie, FR CIVAM Occitanie, Grenier d’abondance, INPACT 34, La 5e saison, La Cagette, supermarché coopératif, La Graine, monnaie locale complémentaire, L’esperluette-Celleneuve, Marché paysan, MIN de Montpellier, Petits débrouillards 34, Secours Catholique Hérault, Semeurs de jardin, SIAO, Vobsalim, Vrac & Cocinas, Ville de Montpellier, Montpellier Méditerranée Métropole.

À lire également sur Dis-Leur !

Économie : Les monnaies locales enrichissent le quotidien

La Cagette, supermarché autogéré : La réussite d’un modèle engagé dans le bien manger