P.-O. : Les trains à l’arrêt depuis neuf mois à cause d’un imbroglio autour d’un pont

Ce n’est pas une histoire de clochemerle. En pays catalan, un accident de train en juillet 2024 bloque toute circulation sur une partie de la ligne Perpignan-Villefranche-de-Conflent à cause d’un ouvrage appartenant à une petite commune. Cette situation, qui illustre la difficulté symbolique des petites lignes à exister, est dénoncée par l’association Train en Têt, qui a réussi à mettre tout le monde autour de la table lors d’une réunion avec le sous-préfet.

On ne compte plus ces petites lignes, si importantes dans la mobilité du quotidien et le désenclavement des territoires ruraux, et qui sont souvent tellement mises à mal… Surtout quand un imbroglio s’en mêle… Après deux manifestations en novembre et le 15 mars, et le soutien du département et de la région Occitanie pour accélérer la réouverture de la ligne, le préfet a reçu des adhérents de l’association Train en Têt ce mercredi qui ont aussi manifesté devant la sous-préfecture de Prades.

Coulée de boue… Le train déraille…

Tout commence, sur une partie de cette ligne SNCF de 43 km entre Perpignan à Villefranche-de-Conflent, par un accident sur la voie le 24 juillet 2024, à 6h30, à hauteur d’Eus. Le tronçon à l’arrêt, c’est Ille-sur-Têt-Villefranche. La raison : un TER, qui descendait à Perpignan, a eu un accident, à hauteur de la commune d’Eus. Coulée de boue… en pleine période de sécheresse… Il déraille, faisant cinq blessés dont trois seront hospitalisés sur les neuf personnes à bord dont deux de la SNCF. Depuis neuf mois, plus aucun train ne circule, à cause de gros travaux envisagés.

Mobilisation sans répit de Train en Têt

C’est ennuyeux : c’est un train du quotidien très utile transportant quelque 400 voyageurs en moyenne chaque jour – dont une partie fait l’aller-retour dans la journée – qui l’empruntent, des jeunes qui vont au lycée ; des salariés… L’association Train en Têt se mobilise sans répit, espérant que ce long retard dans la reprise des circulations, ne soit pas le signe annonciateur d’une suppression de ligne sur laquelle roulent huit trains habituellement… “Personnellement, je suis journaliste à Radio Arrels, une radio en catalan, et le transport est depuis devenu une galère.” La plupart des gens ne peuvent plus se déplacer qu’au volant de leur auto. “En seulement six mois, chaque salarié a perdu dans ces allers-retours l’équivalent de 14 journées de travail.”

“On se retrouve prisonniers de ce blocage…”

Enric Balaguer, président de Train en Têt, explique l’imbroglio : “Dans cette affaire, un pont qui a aussi été percuté. Il appartient à la commune d’Eus. Et, depuis, aucune solution n’a été trouvée ; des études se succèdent qui préconisent la destruction de ce pont pour rétablir la ligne. Mais la commune d’Eus ne l’a toujours pas décidé. La commune dit avoir eu des réunion avec SNCF Réseau qui n’aboutissent pas sur le protocole de démolition. On se retrouve, nous, voyageurs, prisonniers de ce blocage…”

L’association a même écrit au ministre des Transports. En vain. “On a du mal à comprendre que l’Etat ne puisse rien faire. Plus le temps passe plus je soupçonne qu’il y a peut-être une volonté de profiter de cette occasion pour supprimer la ligne…” Il poursuit : “La mairie d’Eus est en lien avec SNCF Réseau pour signer un protocole de démolition du pont. Plusieurs lui a été présentés et, jusqu’à présent, la commune les a tous refusés… On espère qu’elle acceptera le prochain !”

“Le dialogue a pu s’instaurer. L’État nous a fait part des dernières “avancées”. Le préfet nous a dit que c’était compliqué”

Le train accidenté. Ph. DR

Enric Balaguer poursuit : “Suite à la réunion ce mercredi 2 avril, à la sous-préfecture de Prades, où nous avons rencontré préfet, et sous-préfet, le président de la communauté de communes Conflent-Canigó, maire de Prades et la conseillère départementale des Pyrénées-Catalanes (…) Le dialogue a pu s’instaurer et l’État nous a fait part des dernières “avancées”. Le préfet nous a dit que c’était compliqué ; que cet accident fait l’objet d’un traitement judiciaire pour trouver les causes de l’accident et que c’est la mairie d’Eus qui a les cartes en mains. Tout ça, on aurait dû le savoir deux mois après l’accident !”

Quant à la coulée de boue, il va falloir sans doute établir des responsabilités. “Il y a un canal d’irrigation au dessus des voies. La question est de savoir si’l y a un défaut ; s’il a débordé ; si un exploitant a ouvert les vannes et inondé ou pas le champ… Ou si les talus SNCF sont assez costauds…” Il complète : “⁠Il semblerait qu’enfin les travaux de démolition du pont soit décorrélés de la construction d’un nouvel ouvrage d’art. Comme le demande Train en Têt depuis plusieurs mois.”

Et pour la suite ? “On va certainement assister à un conseil municipal d’Eus pour leur demander de statuer car les élus doivent délibérer en urgence pour choisir un bureau d’études qui lui permettra de sécuriser la solution technique ; et ça aussi vient de sortir ! Et nous ferons une conférence de presse ce vendredi soir à Perpignan avec le président national de la Fnaut, la Fédération des usagers des transports.”

“Le délai depuis l’arrêt des circulation est liées aux décisions de la commune”

Ph. DR

De son côté, Jean-Luc Gibelin, vice-président de la région Occitanie, chargé des transports, appuie : “Concernant le train et la question du pont d’Eus : dès le soir de l’accident, je me suis rendu sur place et j’ai indiqué qu’il fallait pouvoir engager rapidement les travaux. Il se trouve que le pont est sur le territoire de la commune et qu’il faut donc qu’elle décide sa destruction pour que les circulations puissent reprendre. Depuis le mois de juillet, la commune a posé de nombreuses conditions à la destruction du pont. Il ne s’agit pas de négociation de notre part, mais bien d’arriver à convaincre le propriétaire de l’ouvrage de la nécessité de sa destruction avant de pouvoir envisager la construction d’un pont de remplacement. Nous avons convaincu Sncf Réseau de faire les travaux si la commune le voulait bien. La commune a refusé le projet présenté par Sncf Réseau. Elle doit présenter un projet alternatif. Le délai depuis l’arrêt des circulation est liées aux décisions de la commune.”

Contacté, José Montessino, maire d’Eus (381 habitants), dit suivre “ce dossier de très loin. C’est mon premier adjoint qui s’en occupe. Mais, à ma connaissance, nous avons pris la délibération demandée par le sous-préfet la semaine dernière”.

“Trouver une solution technique intermédiaire en termes de prix entre ce qui était proposé par la SNCF en version maximaliste et ce qui était proposé par l’expert judiciaire”

En cette fin d’après-midi, Michel Planas, 2e adjoint d’Eus, s’exprime : “Je remercie le sous-préfet d’avoir organisé cette réunion, dit-il. Je ne veux de conflit avec personne et je suis solidaire des usagers qui sont privés de train. Nous avons pris les bonnes délibérations pour trouver une solution technique intermédiaire en termes de prix entre ce qui était proposé par la SNCF en version maximaliste et ce qui était proposé par l’expert judiciaire dans sa première mouture en version minimaliste, sachant que cette dernière ne serait pas validée par la SNCF et que la plus chère ne serait pas financée par l’assurance.”

“Nous subissons complètement le dommage et on est en train de nous accuser de toutes parts”

Ph. DR

Michel Planas, complète : “Nous avons subi des dégâts et nous n’y sommes pour rien. Un train a tamponné un ouvrage qui appartient à la commune ; nous nous sommes retournés vers notre assurance pour qu’elle paie ensuite ces dégâts. Nous subissons complètement le dommage et on est en train de nous accuser de toutes parts. Si on signe les yeux fermés la version maximaliste de la SNCF en terme de démolition, on se situe entre 1 M€ et 1,5 M€ ; l’expert judiciaire était sur quelque chose de très faible. Nous avons fait une proposition intermédiaire raisonnable, autour de 700 000 €. Nous sommes en train de faire valider cette solution par la SNCF avec toutes les normes de sécurité.”

“C’est facile de faire une manif et de nous attaquer”

Et d’ajouter : “Imaginez que l’on choisisse la version la plus chère et que l’assurance ne paie pas tout ? Qui paiera la différence ? Ce protocole n’a fait l’aller-retour avec la SNCF qu’une fois. J’en ai un peu marre que la commune se fasse charger là dessus. On doit respecter le Code des marchés publics ; on avait pris un conseil technique qui est forcément une entreprise avec un bureau d’études. Le sous-préfet nous dit qu’il faut légitimer cela par une délibération. Et que l’on soit aussi dans le respect du Code des marchés publics : si vous avez un accident avec une Clio, pensez-vous que l’assurance vous remboursera une Mercedes ? Non. C’est facile de faire une manif et de nous attaquer. J’en ai fait des centaines de manifs, je sais ce que c’est. Mais quand on est au coeur du réacteur et qu’il faut prendre la bonne décision pour ne pas gréver le budget de la commune, et ne pas mettre en danger la vie des passagers qui vont circuler sur cette voie, il faut réfléchir. Alors, c’est sûr, on a l’impression d’une inertie mais nous faisons les choses dans les règles.”

Le “rôle de médiation” du préfet et du sous-préfet

De son côté, Didier Carponcin sous-préfet de Prades, rappelle qu’avec le préfet nous avons assumé “un rôle de médiation”. Après avoir expliqué tout l’historique, les nombreux comités de pilotage et les réunions, le sous-préfet indique que, désormais, en substance, toutes les énergies de l’Etat sont tournées vers l’accompagnement de la commune d’Eus pour qu’elle arrive à choisir, vite, sans doute en avril, un bureau d’études légitime qui aura été choisi après une procédure en bonne et due forme. Et qu’elle puisse dialoguer avec SNCF Réseau. Didier Carponcin ne se risque pas à donner une date, même approximative, de reprise de la circulation des trains. Mais il fera tout pour accélérer les choses. Toutes les parties ont le secret espoir que la ligne soit de nouveau opérationnelle avant la fin de l’été. Pour repartir sur de bons rails.

Olivier SCHLAMA

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