À partir du petit port de Mèze, depuis 1991, la manifestation s’est imposée comme une référence éclectique. Après le jazz, les rythmes cubains, les musiques métissées de tous horizons. Avec, à chaque fois, des pépites à découvrir les pieds dans l’étang de Thau !
Dénicheur de pépites, engagé, écolo et citoyen : le Festival de Thau joue sa partition à merveille depuis 32 ans en se mettant à l’écoute du chant des possibles. D’abord résolument jazz, puis porte-voix des rythmes cubains que l’on a eu plaisir à découvrir au mitan des années 1990 jusqu’aux musiques du monde, joliment métissées…
“Produits locaux et des petits producteurs”
D’abord, le lieu, d’une beauté indicible, au bord de l’étang de Thau, à Mèze, sa ville d’origine et son ancre, où l’on peut déguster, lors des soirées, au bord de la lagune, à l’abri des décibels dans un premier temps, une assiette d’huîtres de Bouzigues en sirotant un Picpoul avant de s’approcher de la scène et se déhancher, si le coeur vous en dit, aux notes des musiques métisses. Le Festival de Thau s’est ainsi fait une place à part, conciliant musique, arts plastiques, “dialogues écologiques” et gastronomie. “On y trouve des produits locaux et des petits producteurs”, se félicite Monique Teyssier. Et, à chaque fois, au moins une découverte : le Cubain Compay Segundo, en 1997, ou Iratere en 1992… Et ne parlons pas du géantissime concert de Bashung en 2008…!
“Nous, on fait ça pour le plaisir. Pour irriguer ce territoire…”
L’édition 2023 est “extrêmement importante” pour le festival de Thau, le premier à être né au bord de l’étang de Thau. “En 2020, on a dû annuler ; 2021, ça a été vraiment difficile et l’année dernière, où le public n’était pas encore prêt à revenir, aussi. On a eu des soirées déficitaires. Tout le monde dit que les feux sont maintenant au vert. Il faut aussi prendre en compte un phénomène de concentration des festivals, de grosses productions qui rachètent des festivals uniquement pour faire de l’argent. Nous, on fait ça pour le plaisir. Pour irriguer ce territoire…” Au total, le budget du Festival de Thau s’élève à 700 000 € dont 370 000 € pour le festival et 330 000 € pour aider, entre autres les jeunes artistes dans leur création (1). “A Mèze on a 6 000 m2 à équiper par des chapiteaux et des scènes ce qui coûte rien que cela 130 000 € avant même d’avoir signé un seul artiste”, dit-elle.
Sandra Nkaké, Fatoumata Diawaré, les Négresses Vertes, Aalson, Worakls Orchestra
Au programme, du 7 au 23 juillet 2023 (avec un préambule en juin), une collection de douze soirées, douze voyages musicaux. Comme à l’accoutumée, le festival essaime dans d’autres bourgs alentours, entre étang de Thau et garrigue, jusqu’à son étape finale au port de Mèze pour quatre soirées les pieds dans l’eau ! Les deux soirées des 22 et 23 juillet sur le port, justement, autorisent tous les superlatifs : Sandra Nkaké, Fatoumata Diawaré, les Négresses Vertes et Aalson et les fameux Worakls Orchestra.
(…) Que ce soit convivial et festif. Sans places assises numérotées pour que les gens y viennent comme ils seraient venus à une fête entre copains. C’était ça le principe”
Monique Teyssier
Sa présidente et directrice artistique, Monique Teyssier, explique la philosophie d’une manifestation qui est bien plus qu’un festival. Comment est-il né, ce festival, qui est resté dix ans à Mèze intra muros avant de s’étendre sur plusieurs communes du bassin de Thau (Loupian, Abbaye de Valmagne, Montbazin) et de s’y épanouir ?
Monique Teyssier livre : “On l’a créé avec une bande d’amis, tous passionnés de musique. On avait déjà créé un café-théâtre à Bessiles-Montagnac. On avait donc déjà de l’expérience et avec nos connections musicales on a essayé de créer un événement musical à Mèze que l’on a proposé à la municipalité. Avec l’envie d’être au bord de l’eau ; montrer la lagune. Et y associer les producteurs de coquillages et des vignerons. Et que ce soit convivial et festif. Sans places assises numérotées ; pour que les gens y viennent comme ils seraient venus à une fête entre copains. C’était ça le principe.”
Cette atmosphère est la marque de fabrique. Au départ, c’était juste deux jours et du jazz. “La première édition s’était déroulée là où se trouve aujourd’hui la maison de la mer”, explique Monique Teyssier qui fut prof et qui a “beaucoup travaillé dans le secteur associatif. Culture et éducation sont mes domaines de prédilection”, confie–t-elle encore.
Au début, les Mézo-Mézois n’étaient pas contents, même si ce n’était pas très cher (…) Là, Yves Piétrasanta a senti que le Festival de Thau avait du potentiel”
Ce n’est pas simple de créer un festival comme celui-là ex nihilo qui attire chaque année entre 10 000 et 15 000 personnes… surtout quand il coexiste 7 300 festivals en France dont 900 en Occitanie, comme Dis-Leur vous l’a expliqué ici. Mais “c’est plus simple que ça ne serait aujourd’hui”, relativise Monique Teyssier. On a dû créer une association, comme beaucoup font, d’ailleurs ; avoir l’accord du maire, l’emblématique Yves Piétrasanta, à l’époque, qui nous a dit : “C’est la première fois que l’on fait quelque chose de payant ! au début, les Mézo-Mézois n’étaient pas contents, même si ce n’était pas très cher.” La popularité a tout gommé. “Là, Yves Piétrasanta a senti que le Festival de Thau avait du potentiel.”
“Compay Segundo, je l’ai découvert chez Mimi la Sardine !”
Ensuite, ce fut les trompettes de la renommée pour la musique cubaine. “Là aussi par coup de coeur, comme pour tout ce que l’on fait” que peu de gens connaissaient vraiment, “on a fait passer tous les grands qui n’étaient pas connus. Compay Segundo, je l’ai découvert chez Mimi la Sardine {salle de concert à Castelnau-le-Lez, Ndlr} où il n’y avait que vingt personnes… C’était une musique assez confidentielle. Et, ensuite, avec la vague de la world music, la musique cubaine et celles des Balkans, ont été vite très appréciées. C’tait incontournable.”
“On a donc essayé de construire une diversité artistique pour proposer des choses différentes au public”
À la création de Fiesta Sète, festival qui s’est, lui, épanoui en Ile singulière, s’est posée la question d’une alliance avec le Festival de Thau, les musiques du monde. “En 1998, on a essayé de voir si on ne pouvait pas faire deux jours sur Mèze et deux jours à Sète. Là, où j’ai bloqué, c’est que je voulais que ce soit côté étang…”
Et le Théâtre de la Mer est un amphithéâtre ouvert sur la Méditerranée, l’un des plus magiques. C’est là que le Festival a définitivement pris son nom actuel accolé à Thau. “Le fil conducteur a toujours été les musiques du monde de manière très large. En revanche, au fur et mesure de la création d’autres festivals, tous thématiques, à Sète, et il y en a beaucoup, on a essayé de trouver notre place et notre voie en étant assez éclectique. On s’est aperçu vers l’an 2000 que le public faisait des choix ; fini le temps où les gens réservaient les trois jours au Festival de Thau ; les cachets des artistes commençaient à monter… On a donc essayé de construire une diversité artistique pour proposer des choses différentes au public.”
“Brainstorming entre nous parfois même dès septembre voire lors de l’édition précédente”
Justement, comment se construit la programmation ? Sont-ce les artistes qui incluent le festival de Thau dans leur tournée, faisant baisser les coûts…? “Non, malheureusement. J’espère que l’on y arrivera. Mais à ce jour, il n’y a pas de relation avec les festivals de Sète. Mais on est désormais connus ; on a une relation privilégiée avec certains tourneurs et producteurs et là aussi, on marche au coup de coeur ; on est attentifs à l’actualité des artistes.” Cela fonctionne au “brainstorming entre nous parfois même dès septembre voire lors de l’édition précédente”.
“Le vote FN presque incompréhensible ici…”
La plus ancienne manifestation musicale du bassin de Thau, créée en 1991, s’appuie également sur une centaine de bénévoles et se met régulièrement au diapason des univers musicaux modernes et des pépites musicales…
“Quant au racisme… Je pense que l’on a un rôle social à jouer…” Né dans une ville qui vote régulièrement pour le Front national – 40 % au second tour de la dernière présidentielle – ce festival est aussi représentatif d’un état d’esprit très économie sociale et solidaire, parfois même altermondialiste avec, entre autres, la réception de José Bové, par exemple, ou d’associations humanitaires et militantes. “Thau, c’est une certaine idée du partage”, dit un habitué. C’est pour cela que ce vote FN “est presque incompréhensible ici, souligne Monique Teyssier. On ne peut pas dire qu’il y ait de gros problèmes d’insécurité ; ni de gros problèmes de populations immigrées… Je pense que c’est né du fait que la population a doublé en 20 ans à Mèze. Et les vieux Mézois se sont sentis envahis…”
Des pépites musicales à découvrir
Rock, soul, afrobeat, reggae, rythmes des Caraïbes, musiques urbaines : “Un véritable shoot des musiques actuelles du monde !”, explique sa plaquette de présentation. Pour sa 33e édition, Le Festival de Thau a ajouté à sa recette déjà bien épicée des musiques électroniques cette année.
De nombreux artistes partageront leur univers en juin et juillet dans des lieux à découvrir : musées, jardins méditerranéens, abbaye, chapelle, place des Tonneliers. Avec de belles découvertes avec Ajate, MaÏa Barouh et Worakls Orchestra ; de nouveaux projets africains avec Tiken Jah Fakoly, Sandra NKaké et Fatoumata Diawara…. Et aussi le retour des Négresses Vertes qui fêtent cette année leurs 30 ans. Monique Teyssier a un chouchou : Worakls Orchestra. Le mariage de l’électro et du classique avec vingt musiciens et un DJ… Une pépite de plus !
Olivier SCHLAMA
Eco-label, “fabrique” d’artistes…
Développement durable, éco-dialogues…
C’est au fronton de ce festival “engagé” : “Nous sommes très engagés sur le développement durable et l’éco-responsabilité depuis 20 ans. Cette année, nous avons été sélectionnés dans deux dispositifs nationaux. La particularité aussi c’est que nous accompagnons des artistes régionaux, en les finançant et en les aidant à structurer leurs créations. Ça s’appelle le +Silo+. C’est un dispositif particulier qui a été créé en 2014 et nous permet de financer deux à trois créations par an, avec des résidences de création, comme Racines Rêvées” qui sera en représentation lors de cette 33e édition.
Festival écolo
Pêle-mêle, elle énumère ce qui est désormais intégré à chaque édition comme une habitude d’organisation : “Nous avons des toilettes, des verres consignés ; du tri ; nous collectons les déchets ; nous ne proposons pas de bouteilles d’eau en plastique ; nous suivons le programme zéro déchets ; nous avons aussi mis en place des éco-dialogues, ce sont des moments de rencontres avec le public où l’on invite un auteur ou un expert sur un thème (cette année, c’est l’eau).”
Bardé de labels
Le Festival est aussi bardé de labels. “Nous sommes aussi labellisés par la région Occitanie. Nous répondons à 62 critères, sur la mobilité pour avoir ce label baptisé événement Détonnant.“Le Festival de Thau a aussi le label Festival en Mouvements, dispositif national expérimental engageant cinquante événements en France autour des questions de mobilité. Et celui du Projet Déclic : réseau professionnel de dix-huit structures sélectionnées dont quatre festivals, pour réduire l’impact écologique de la filière spectacle vivant et musiques actuelles…”
O.SC.
À lire également sur Dis-Leur !
Culture : L’Hexagone compte 7 300 festivals, dont 900 en Occitanie
Culture : A Sète, l’été, sous le sable, une déferlante de festivals