Une journée d’études sur l’un des feuilletons TV récurrents se tient ce vendredi à l’université Paul-Valéry à Montpellier. Pour Guillaume Boulangé, professeur et co-organisateur, “on savait que ces feuilletons allaient transformer l’écosystème régional”. “Plus de 2 500 personnes ont déjà perçu, à un moment ou à un autre, une rémunération en passant par chez nous“, confie Toma de Mattéis, directeur délégué du pôle oeuvres de France TV Studio.
L’Occitanie est devenue le décor rêvé des soaps d’ici ! Et celui du ciné-tourisme dont Dis-Leur vous a parlé ICI ! Ces feuilletons se répètent soir après soir depuis des années. Depuis août 2018, une fiction, Un si grand soleil, est ainsi suivie quotidiennement par près de 3,5 millions de Français chaque soir sur France Télévisions, mais également en replay.
Avec la construction de studios de France TV dernier cri, à Vendargues, près de Montpellier, quatre équipes de tournage permanentes, une cinquantaine de techniciens, deux cents acteurs et actrices, sept saisons et ses presque 1 600 épisodes de 22 minutes, Un si grand soleil, tournée à Montpellier et ses environs, est un phénomène dont se saisissent les chercheurs et chercheuses de l’université de Montpellier Paul-Valéry, pour en analyser les enjeux narratifs, esthétiques, techniques, économiques et sociétaux. Cela se passe ce 21 mars à Montpellier.
Comprendre la grande fabrique des soaps

Cette ambitieuse journée d’études (1) est consacrée à la série afin de réfléchir “aux enjeux de production et de création, ainsi qu’à sa réception et à ses impacts sur les territoires”. Il s’agira aussi de penser les collaborations futures entre les professionnels de l’audiovisuel et les universitaires. Il y aura un temps sur les enjeux de création ; sous l’angle de l’écriture, de la production, de la transformation de l’écosystème ; de l’arrivée de professionnels sur ce territoire, de retombées économiques, d’innovations techniques…
Puis, il y aura une table ronde sur les enjeux de réception : “Comment la cellule stratégie de France TV sait que l’âge du spectateur moyen d’Un si Grand Soleil est de 62 ans, comment sont consommées leurs séries, en direct, en replay, sur des plateformes, etc.” Troisième temps, les perspectives. “Pour France TV, d’abord, qui agrandit ses studios, avec déjà l’accueil d’une quatrième quotidienne pour M6. Au-delà, France TV a un outil à faire remplir par des productions télévisées, de cinéma. Au service de la filière”, analyse Guillaume Boulangé, enseignant-chercheur à l’université Paul-Valéry et prof au département cinéma-audiovisuel, nouveaux médias.
Pôle d’excellence dans l’industrie culturelle et créative

Cette journée s’inscrit dans le programme Miranda, qui sera présenté pour l’occasion et permettra d’aborder le lien entre ICC (industries culturelles et créatives) et recherche universitaire. Miranda est un projet très structurant bénéficiant pour devenir pôle d’excellence en recherche-création dans les domaines des arts, de la culture et du patrimoine de 12,3 M€ sur dix ans dont une aide de l’État gérée par l’Agence nationale de la recherche au titre de France 2030 ainsi que de celle de la Région Occitanie qui apporte également la même somme, 12,3 M€.
“Ma priorité est toujours la même : que la cohorte d’étudiants ait conscience des débouchés professionnels”

Guillaume Boulangé a, dit-il, “suivi depuis très longtemps le développement de l’agence régionale du cinéma et de l’audiovisuel. J’ai été président de Languedoc-Roussillon Cinéma et président intérimaire d’Occitanie Film. Ma priorité est toujours la même : que la cohorte d’étudiants en licence et master ait conscience des débouchés professionnels à l’issue de leur formation. Cela m’avait paru tout à fait naturel dès 2018 de faire une journée d’études – comme je l’avais fait avec l’équipe de Candice Renoir à Sète série avec laquelle on avait mis en place des projets pour insérer professionnellement les étudiants. La première journée d’études était prévue en mars 2020.” Le covid a tout stoppé. “On savait que ces feuilletons allaient transformer l’écosystème régional. En terme de formations – le nombre d’écoles privées qui se sont montées depuis est impressionnant.”
Guillaume Boulangé ajoute : “Nous avons aussi à apporter des choses à France TV, en matière d’éco-responsabilité, d’évolution des pratiques du travail, savoir s’adapter aux évolutions techniques, en matière d’inclusivité… Sur ces questions-là, nous avons dix ans d’avance ; depuis 2015, nos enseignants sensibilisent leurs étudiants sur ces sujets.” Quel est l’avenir prévisible pour ces feuilletons ?
“Quelque 2 500 personnes ont déjà perçu, à un moment ou à un autre, une rémunération en passant par chez nous”

De quoi, donc, doper l’écosystème économique et les formations générés par ces feuilletons. Toma de Mattéis, directeur délégué du pôle oeuvres de France TV Studio et producteur, explique : “Nous avons beaucoup participé à cet écosystème, notamment en se rapprochant des équipes de l’école des métiers du cinéma Travelling. Nous participons à des programmes ; une partie des intervenants sont issus des rangs de professionnels qui viennent de chez nous et cela nous a permis de former des centaines de personnes dont la plupart d’entre-eux trouvent leur premier emploi chez nous. Nous faisons aussi beaucoup de formations ; nous avons une société d’effets spéciaux, les Tontons Truqueurs, que je préside ; nous avons des relations avec nos copains de DNA qui ont des besoins équivalents ; nous sommes concurrents à l’antenne mais sur le territoire nous travaillons la main dans la main dans la perspective de sourcer ensemble les meilleures formations possibles pour essayer d’avoir, sur place, des gens formés dans ce réseau local.”
Ainsi, le professionne confie : “Quelque 2 500 personnes ont déjà perçu, à un moment ou à un autre, une rémunération en passant par chez nous ; j’imagine que c’est la même chose pour d’autres productions. Certes, une partie des 2 500 personnes sont les mêmes. Il y a aussi des gens qui travaillent exclusivement l our nous ou pour d’autres sociétés de production. Ce sont, en tout cas, plusieurs milliers de personnes qui bénéficient directement du rayonnement de ces séries. En sachant que l’objectif pour nous c’est que ces gens-là consomment localement. A travers la formation, on s’aperçoit qu’il y a une action constructive de ces feuilletons et de cette industrie locale.”
“Un vivier de gens formés dans ce bassin de population”

Que lui inspire cette journée autour d’Un si grand soleil ? Toma de Mattéis répond : “On est dans la continuité de ce que l’on fait depuis presque une dizaine d’années. Moi-même j’interviens chaque année à la fac.” Cela a aussi un effet d’entrainement pour d’autres productions qui “savent que quand elles viennent à Vendargues, elles peuvent puiser dans un vivier de gens formés dans ce bassin de population. On vient de terminer une formation d’administrateur de production avec Travelling pilotée par notre propre administrateur de production : c’est un métier qui manque pour tous. Ce sont ceux qui s’occupent des chiffres aux côtés du directeur de production. C’est très technique et très spécifiquement dédié aux tournage et la production. Tout cela est très vertueux.”
“Avec 1 200 étudiants qui suivent une formation rien qu’en cinéma, c’est le plus gros département de France”

Guillaume Boulangé retrace : “Très vite on a pris langue avec la direction de France TV qui est venue à la fac et qui a dit ce qui allait se passer aux étudiants : qu’il allait y avoir pour eux probablement des stages, peut-être du boulot ; qu’il allait y avoir des besoins énormes en termes de techniciens audiovisuels, de comédiens, etc. On a compris que nos formations – construction de décors, d’écriture… – s’adaptent à des besoins de ceux de ces feuilletons quotidiens – il y avait aussi Demain nous appartient. C’est souvent une critique faire à l’Université : de ne pas assez insérer les étudiants professionnellement.”
“À la fac, 1 200 étudiants suivent une formation rien qu’en cinéma. C’est le plus gros département de France. C’est historique. Montpellier a toujours été, avec la Sorbonne, le plus gros de France. Il se trouve que, sans polémiquer, nous étions assez mal identifiés, voire dépréciés par la Métropole qui a clairement mis en place une stratégie pour développer une offre de formation privée parallèle à ce que nous faisons au lieu de renforcer l’existant. C’est aussi très bien : Travelling n’existaient pas avant ces quotidiennes et répond à des besoins. C’est plus souple ; ils ont du matériel que nous n’avons pas et font payer des tarifs à 8 000 € l’année… Nous on est tenus de faire payer peu cher. Néanmoins, nous n’avons jamais cessé de dialoguer avec eux : nous avons un intérêt commun et beaucoup de nos étudiants – une vingtaine – sont aujourd’hui sur site, travaillent aux studios de Vendargues.”
On essaie de raconter la société. L’air du temps, d’offrir une vision d’un monde moderne qui ressemble au nôtre dans lequel il y a une forme d’espoir renouvelé”

Quel est le secret de ce(s) feuilleton(s) ? Guillaume Boulangé tient ce discours :“Pourquoi les gens ont envie de retrouver les mêmes personnages chaque soir ? Parce qu’ils racontent quelque chose d’eux-mêmes. Les ressorts jouent là dessus. Et, en même temps, ces feuilletons sont là pour faire évoluer les choses : la lutte contre le racisme, par exemple ; l’évolution de la société avec l’homosexualité, la bisexualité ; le polyamour… La question de l’amour ou de la sexualité chez les vieux. Les quotidiennes ont une fonction sociale, politique et en cela c’est un divertissement. On était là avec mes étudiants où il y avait Pierre Carles {journaliste et documentariste, Ndlr} que j’adore. Il a parlé de son cinéma, de son engagement. Il fait avancer plus lentement son combat qu’une quotidienne qui est vue par 4 millions de personnes. En même temps, ces feuilletons sont subtils dans leur approche ; ils ne vexent personne. Ils ne s’adressent pas trop à la jeunesse mais les étudiants pourraient se “faire prendre” par un scénario cousu de fil blanc. ”
Pour Toma de Mattéis, “c’est le roman national que l’on essaie de raconter ; de raconter la société. De raconter l’air du temps, d’offrir une vision d’un monde moderne qui ressemble au nôtre dans lequel il y a une forme d’espoir renouvelé.” Un effet miroir ? “Oui, et un effet projectif, on espère vers l’espoir.”
Olivier SCHLAMA
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(1) Un moment d’échanges et de rencontre, animé par Occitanie films, est prévu, en clôture de la journée, avec des actrices et acteurs de la série : Marie-Gaëlle Cals (Cécile), Malik Elakehal El Miliani (Bilal) et Folco Marchi (Ludo). Au cours de cette discussion illustrée par la projection de photos, documents, et courts extraits de la série, les comédiennes et comédiens aborderont leur lien à leur personnage, aux partenaires, au scénario et au dialogue et aux lieux où ils tournent (décors naturels et studios).
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