Catherine Bernié-Boissard s’est emparée du sujet pour en expliquer les raisons originelles. Aux côtés d’autres auteurs qui analysent la métropolisation, la géographe évoque un “roman urbain” qui persiste entre la latine et la médiévale. Et qui façonne leur singularité.
“Le juge dit ce qu’il veut ; nous on fait ce qu’on veut…” : c’est des rires d’autodérision que l’humoriste Daniel Villanova tire à coup sûr des spectateurs, croquant petits et grands travers des Languedociens dans son irrésistible spectacle “Hiver”. Y compris les reboussieh, jadis ouvriers de Nîmes, tout comme les rebelles “bobos” de Montpellier. Cette caricature désopilante sur les habitants de ces deux villes du Sud est peut-être le seul paramètre commun à leur identité… (1)
Montpellier-Nîmes, en chiens de faïence
Car, pour le reste, entre les deux capitales, de l’Hérault et du Gard, Montpellier et Nîmes, c’est, depuis des lustres, “Je t’aime, moi non plus !”, du joli titre de la contribution très intéressante à un bouquin, Interterritorialité(s), aménagement et métropolisation (Edition l’Espérou), à sortir en librairie en septembre, que la géographe Catherine Bernié-Boissard a consacré sur cette rivalité. Un bouquin qui réunit plusieurs auteurs sous la houlette de Laurent Viala, enseignant à l’école d’architecte de Montpellier, à l’issue d’une étude Popsu, Programme national de recherche sur les métropoles, organisé pendant trois ans. Le sujet du programme c’était Montpellier et les autres.
“Sans doute que cela contribue à l’identité des habitants des deux villes”
“Tout le monde en parle ; tout le monde le sait ; tout le monde le vit…” Cette rivalité Montpellier-Nîmes, distante d’à peine 60 km, est très ancienne, explique Catherine Bernié-Boissard. De plus, elle se transmet. “Oui, ça se transmet. Cela fait partie de l’explication. Alors que l’on n’a plus aucune raison, aujourd’hui.” Besoin de se singulariser ? “Sans doute que cela contribue à l’identité des habitants des deux villes, dans des formes différentes : Montpellier accueille beaucoup plus de nouveaux arrivants” à qui il faut parler du “roman urbain” ; à Nîmes, davantage tournée vers la vallée du Rhône, est une ville “peuplée à l’origine essentiellement par des ruraux, fin 19e siècle et a conservé cette mentalité qui fait aussi son charme et contribue à son identité”.
Le football, “un enthousiasme qui frise le chauvinisme”
Bien sûr elle trouve son origine dans les trajectoires différentes des deux villes. “C’est un roman urbain”, formule-t-elle. Nîmes, l’ouvrière, est aussi la ville de la “pierre” : Maison Carrée, Arènes… Montpellier (créée en 985), elle, c’est l’intellectuelle “la surdouée” comme le faisait accroire Frêche avec l’arrivée d’IBM en 1965, entre autres. “Plus bourgeoise qui dispose d’une sorte de “droit d’aînesse”...
Cette rivalité c’est un “marronnier”, une actualité qui revient régulièrement comme la rentrée des classes mais qui n’a jamais vraiment fait l’objet d’une étude. Evidemment, comme entrée en matière, l’historienne fait référence au football, entre le Nîmes Olympique et le MHSC. Avec un “enthousiasme qui frise le chauvinisme”.
Nîmes : complexe d’infériorité
La latine contre la médiévale. Montpellier qui a “mille ans de retard de civilisation sur Nîmes”, la romaine, qui avait une position de carrefour. Et qui, jadis, en avait fait sa force jusqu’à ce qu’elle perde des activités. Et qui trouva l’explication facile selon laquelle les pulsations de Marseille ou de Montpellier seraient à l’origine de son lent déclin. De quoi nourrir, encore, peu à peu, un complexe d’infériorité. Label Unesco, université de plein exercice… Les thèmes d’opposition sont nombreux.
Nîmes enregistra un “déclin par voisinage”
Et quand Montpellier devient capitale régionale dans les années 1970 s’exprime alors à Nîmes une “frustration, résultant du départ d’administrations”. Nîmes enregistre un “déclin par voisinage”. Et l’idée que Nîmes, tournée davantage vers la Provence, ville charnière entre deux régions, a été rattachée administrativement au Languedoc-Roussillon, est encore vivace et encore davantage quand il s’est agi de la rattacher à l’Occitanie. Le Medef avait, d’ailleurs, à l’époque rugi contre le fait qu’il n’y avait aucune synergie économique.
“Montpellier, enrichie par la rente foncière liée à la viticulture, focalise le savoir au travers de ses universités”
Catherine Bernié-Boissard rappelle avec érudition que “Montpellier est ville médiévale, marchande, ouverte et tolérante (…) elle est au XIIIe siècle l’une des cités les plus peuplées avec Toulouse et Rouen (…) Franchises et libertés conquises par les cités italiennes lui sont un modèle…” (…) au début du XXe siècle, Nîmes a l’image d’une ville ouvrière tandis-que Montpellier, enrichie par la rente foncière liée à la viticulture, focalise le savoir au travers de ses universités.”
Après la Seconde Guerre mondiale, c’est le décrochage. Et qui, quand surgit la grande région, cherche d’autres voies de puissance. “Quand Frêche annonce son projet de grande agglomération jusqu’à Sète, Nîmes se tourne vers Alès pour créer un pôle métropolitain qui devait accueillir… Montpellier. En même temps, Fournier, le maire de Nîmes, disait, lui, que ce pôle avait vocation à s’élargir vers Avignon…”, décrypte Catherine Bernié-Boissard.
Il y a un changement de paradigme. On est passé de la compétition et de la concurrence à la coopération parce que c’est nécessaire, sinon on n’existe pas”
Cette rivalité est, certes, “fondée sur des réalités : des différentes trajectoires, de différentes histoires et fondations. Mais c’est aujourd’hui plus qu’une image. Un roman urbain. Qui entretient des formes de concurrence entre les deux villes qui relève de l’imaginaire, non pas du folklore mais… C’est aussi une façon de se singulariser. Et qui entretient une certaine identité”.
La donne est peut-être en train de changer. Il faut désormais compter avec un affaiblissement de Montpellier qui a perdu beaucoup de ses administrations et de son lustre. L’ancienne capitale régionale ne l’est plus au profit de Toulouse depuis la constitution de la Grande Région ; elle a, fait notable, singulièrement besoin de 142 communes pour tenter de rafler le label Capitale culturelle 2028, comme Dis-Leur vous l’explique ICI…
Avant, les villes se tiraient volontiers dans les pattes. Aujourd’hui, elles ont besoin de coopération. “C’est vrai, c’est très intéressant. Il y a un changement de paradigme. On est passé de la compétition et de la concurrence à la coopération parce que c’est nécessaire, sinon on n’existe pas. Et Montpellier c’est petit en Europe. La métropole a intérêt à coopérer avec ses voisines…” Peut-être bientôt une nouvelle ère pour Montpellier et Nîmes…
En sachant que, comme Dis-Leur vous l’a expliqué ICI, la chambre régionale des comptes d’Occitanie a scanné, en 2020, 26 villes moyennes, plébiscitées dans les sondages, en appelant, au delà du bilan, à penser la ville de demain, davantage mobilisée en réseaux et aux projets complémentaires des communes de leur territoire. Et à la recherche aussi d’un équilibre avec Montpellier et Toulouse.
Olivier SCHLAMA
(1) Etude inédite. Ce qui avait, en 2012, d’ailleurs amené l’ancien préfet Claude Baland – paniqué devant l’hécatombe cette année-là : 179 morts dans les deux départements réunis et 68 tués de plus par rapport à la moyenne nationale – à lancer une étude inédite pour savoir si Gardois et Héraultais sont des conducteurs à part… ! Sans rire. Voir au-delà des clichés sur les Méridionaux vaut bien ça. L’étude avait conclu “un niveau de transgression plus élevé, notamment dans l’Hérault”, s’agissant des drogues. Pour l’alcool, les Gardois dressaient le tableau d'”un environnement très permissif” ; leurs homologues de l’Hérault faisaient “moins référence à des états de de forte ébriété que les usagers du Gard, sauf pour les jeunes”. Enfin, pour les excès de vitesse, l’étude concluait : “Les usagers du Sud discutent davantage la règle et semblent se caractériser par un rapport particulier à la vitesse.”
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