Millau : Emmanuelle Gazel : “Notre territoire mise sur le vélo et les mobilités douces”

Emmanuelle Gazel, maire de Millau (Aveyron). Ph. Olivier SCHLAMA

La cité du Gant accélère sur les mobilités douces en proposant, entre autres, en location, le vélo à 1 € dont le succès dépasse toutes les espérances. La dynamique association In’VD y organise les Assises du vélo intermédiaire et a inventé un kit pour une Semaine sans vélo dans des communes… Une voie verte dédiée est en projet ; 500 km de pistes sont labellisées par le Parc des Grands Causses…

Le vélo contre la voiture : ce fut longtemps un combat inégal, David contre Goliath. Mais, dans l’histoire, souvenez-vous, c’est le soi-disant plus faible qui gagna… Millau, ville dynamique en matière de sports nature, a déjà dans son ADN de quoi renforcer ce qui aurait pu apparaître comme une faiblesse : un territoire rural où la voiture semble indispensable. “C’est une ville centrale dans les sports nature. Depuis l’élection d’Emmanuelle Gazel, ça pousse dans ce sens là encore plus et dans l’économie des sports nature. C’est le fondateur de McLloyd, au nom so scottish mais française dont l’atelier est bien situé à Millau (Aveyron), qui l’observe à propos du dynamisme de l’écosystème vélo à Millau.

GPS et trackers de compétition

Pierre-Arnaud Coquelin, McLloyd, trackers et GPS de compétition. DR

En dehors des boîtiers GPS, trackers et cardios pour le sport pro, la boîte (4 M€ de chiffre d’affaires), 4e mondial dans son secteur produit 10 000 boîtiers par an, a une seconde activité baptisée Sportbroadcast, “qui utilise des trackers lors de compétitions sportives qui se jouent sur un circuit ou un parcours (bateaux, chevaux, voiture et vélos) pour transmettre les datas à la TV et sur le web pendant la course : vitesse maximale, sportif le plus rapide, tronçon le plus rapide, etc. On a, par exemple, “couvert” la Coupe du Monde de vélo indoor (UCI champion’s cup)”. 

Gravel haut de gamme commercialisé cette semaine

Autre société en pointe, Wish One, créée en 2020, qui installera début 2024 un atelier de fabrication de vélos gravel haut de gamme qui débute à 7 900 € l’unité avec des cadres en carbone. “On fabrique les tubes et on les assemble, dit-il. Ce vélo s’adresse à Monsieur Tout-le-Monde qui se fait plaisir, explique son cofondateur François-Xavier Blanc. Nous en lançons la commercialisation cette semaine. Avec une livraison à partir de fin 2023. On peut comparer le gravel au phénomène du SUV pour les voitures. Jusqu’à présent, nos vélos étaient fabriqués en France mais pas à Millau ; là, nous finalisons le développement d’un vélo en carbone qui sera fabriqué dans notre atelier situé sous le Viaduc.” Pourquoi Millau ? “Avec mon associé, nous sommes originaires de l’Aveyron ; nos vies professionnelles nous ont emmenés ailleurs.”

Autour de Millau, il y a de belles pistes forestières, un réseau de chemins et le réseau de routes secondaires, c’est un terrain de jeu exceptionnel pour le gravel”

Le chef d’entreprise ajoute : “J’ai passé 25 ans à Annecy. J’ai travaillé dans le sport outdoor toute ma carrière, notamment chez Salomon, dans le ski, et 12 ans chez Mavic, dans le vélo où j’ai été directeur de la marque. Mon associé habite à Dijon. Tous deux nous nous préparons à emménager à Millau.” Millau aussi qui est aussi une terre naturelle pour le gravel : “C’est une discipline originaire des USA, rappelle François-Xavier Blanc. C’est le segment du vélo dont les ventes sont le plus en progression partout dans le monde. Autour de Millau, il y a de belles pistes forestières, un réseau de chemins et le réseau de routes secondaires, c’est un terrain de jeu exceptionnel pour le gravel. Mais pour le moment ce n’est pas une destination purement cycliste. On essaie d’en faire déjà une destination gravel. La clientèle est nationale et internationale.”

500 kilomètres de pistes labellisées avec le parc naturel des Grands Causses

Pour faire “rayonner” cette pratique et la marque, Wish One ont un atout : “Mon associé, Maxime Poisson a exploité une agence de marketing pendant plus de 15 ans, spécialisée dans l’événementiel. Nous avons donc pu organiser des courses. Nous nous sommes fait repérer par l’Union cycliste internationale (UCI) qui nous a proposé d’organiser la manche française de la Coupe du Monde de Gravel, à Millau. Nous en serons à la troisième édition en juin 2024. Mieux : avec le Parc naturel des Grands Causses nous avons signé une convention pour tracer et labelliser plus de 500 km de pistes avec douze parcours référencés sur un site internet spécialisé avec description précise. Et dans ce cadre-là, on a déposé une marque : Grand Causse Terre de Gravel.”

“Notre territoire mise sur le vélo et les mobilités douces”, synthétise la maire, Emmanuelle Gazel. Brique après brique, l’écosystème du vélo se construit à Millau. Vent dans le dos. Vélo à 1 € ; Assises du vélo intermédiaire auquelles l’association aveyronnaise In’VD participe… Tout ceci favorise la montée en puissance du deux-roues, “musculaire” (sans assistance électrique) ou pas. Et de se rendre à l’évidence : “C’est sûr ; cela fait parler de l’univers du vélo…”

Accélérer sur les mobilités douces

Il y a donc aussi sur ce territoire l’expérience baptisée Vélicausses, le vélo à 1 € qui fait immédiatement penser au train à 1 € cher à Carole Delga. Accélérer sur les mobilités douces, c’était clairement une promesse de campagne en 2020. “Nous avons acheté trente vélos à assistance électrique que nous avons décidé de mettre depuis avril dernier en location 30 vélos à assistance électrique longue durée de trois mois ou six mois, avec casque et antivol fournis”, explicite Yannick Douls, vice-président de la communauté de communes Millau Grands Causses et élu à Millau (soit quinze communes concernées doit 30 000 habitants). Les habitants de Saint-Affrique et celle de Séverac-le-Château, en disposent, chacune avec cinq vélos électriques dédiés. Au total, Vélisausses dispose de 40 machines. Et ce ne sont pas des montures sino-asiatiques bas de gamme mais des Lapierre à 2 000 € pièce !

“L’idée, c’est de donner envie aux habitants ; de donner le goût de ce mode de déplacement doux”

L’investissement pour la collectivité est de quelque 80 000 €, en comptant les 120 € d’assurance et les 80 € d’entretien par an et par deux-roues. Quant aux postes de chargés de mission de Lucien Prunier à la communauté de communes comme ceux des chargés de mission vélo du PNR et de Saint-Affrique, ils sont financés directement par l’Ademe, l’Agence de défense de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie, via l’opération Avélo 2. “C’est le Parc naturel régional des Grands-Causses qui a organisé le montage financier commun aux trois, via l’Agence nationale de la cohésion des territoires”, indique ce dernier. Un euro par jour, c’est une façon simple de réveiller l’envie de mobilités douces chez les Sud-Aveyronais. “On a pensé que 30 € par mois, c’était raisonnable. L’idée, c’est de donner envie aux habitants ; de donner le goût de ce mode de déplacement doux”, confie Yannick Douls.

138 demandes de location de vélos en attente !

Et ça marche “très bien”, y compris dans cette zone rurale : en quelques les vélos ont été réservés. Le succès dépasse largement toutes les espérances. “Nos trente vélos sont tous pris et nous avons 138 demandes en attente. Sachant que dans notre démarche, nous voulions les réserver davantage aux habitants de condition modeste. “Ce ne sont pas des déçus” : quand le délais de trois ou six mois est passés pour les personnes qui les ont loués, le vélo change automatiquement de main. Et certains ne les auront qu’en 2024. “On a de très bons retours ; certains sont même déçu de n’avoir pris un vélo en location que trois mois ; ils auraient aimé l’avoir plus longtemps”, renchérit Lucien Prunier. Faut dire que l’on n’a pas lésiné sur la qualité des vélos. On les a achetés localement à un vélociste local qui effectue aussi la maintenance.”

D’autres territoires regardent l’expérience de près

Emmanuelle Gazel, maire de Millau (Aveyron), avec le “Roultoudou”. Ph. Olivier SCHLAMA

D’autres territoires regardent cette expérience concluante de près. Le Sud Aveyron, qui regarde vers Montpellier et la Méditerranée, et qui s’associe à Sète et Montpellier comme base arrière des JO de 2024, servirait-il d’exemple au Nord-Aveyron et à la concurrente Rodez “à deux heures de rien”, selon l’expression locale consacrée ? (rires). “Ils ne nous ont pas encore contactés ; ils regardent comment nous procédons…” Plus sérieusement, à l’heure de la Coupe du Monde de rugby, Yannick Douls, vice-président de la communauté de communes Millau Grands Causses, préfère parler de “cohésion d’équipe” avec Saint-Affrique et Séverac et le PNR des Grands Causses. Et : “Notre but est de créer un écosystème autour du vélo. Un fabricant de composants de fourches haut de gamme vient d’ailleurs de s’installer dans notre pépinière d’entreprises. Nous espérons, ainsi, que viendront se greffer d’autres acteurs grâce à notre volonté de les accueillir sur notre territoire…”

Semaine sans ma voiture, Assises du vélo intermédiaire

Cette expérience grandira-t-elle au point de devenir un service de vélos électrique plus important ? Sera-t-elle élargie à la location de voitures… électriques ? À la première question, Yannick Douls répond par la négative. “Nous voulons donner un élan, une envie de modifier notre rapport aux mobilités douces. Montrer que c’est possible.” Sur la voiture, il répond qu’il existe mieux que la voiture électrique : le vélo dit intermédiaire. “La voiture électrique, je ne sais pas. Mais nous sommes assez proches de l’association In’VD (innovation véhicules doux) qui s’investit à nos côtés dans des mobilités alternatives.”

C’est cette association dynamique, militant notamment pour une semaine sans voiture dans les communes d’Aveyron, qui organise les Assises du vélo intermédiaire où seront présents constructeurs de véhicules qui ne sont plus des vélo smais qui ne seront jamais des voitures ; des industriels et des territoires sensibles à le transition écologique et aux modes de transports doux. “Ce seront les secondes Assises du genre en France, du 7 au 9 novembre, à Millau, après Saint-Etienne en 2022”, précise Lucien Prunier.

Le kit Roultoudou, lauréat des budgets participatifs de la Région Occitanie

Des véhicules intermédiaires d’IN’VD. Ph. DR

Présidente de In’VD, Hélène Jacquemin aiguillonne continûment sur ce sujet. “De nombreuses communes mais aussi des établissements comme l’Inrae de Montpellier, l’association Tremplin pour l’emploi, etc. – organisent avec notre kit roultoudou un événement sur le modèle d’une Semaine sans ma voiture.” Un kit qui réunit toutes les informations et recommandations pour que des communes, des tablissements organisent cette Semaine sans ma voiture en autonomie. Un kit lauréat en 2019 des budgets participatifs de la Région Occitanie qui a octroyé à l’association 74 400 € pour fabriquer ce kit d’information et acheter des vélos électriques (VAE).

En projet, voie verte réservée aux vélos autour de Millau

Vélos-cargos, tuk-tuk… Hélène Jacquemin évoque également tester en ce moment “deux véhicules intermédiaires avec l’Ademe et ne résiste pas à l’envie de confier commencer à étudier la possibilité de créer une voie verte – réservée aux deux-roues – autour de Millau, là aussi avec notamment l’Ademe et le Céréma”. Et elle ne pédale pas dans la semoule : en mai dernier, le gouvernement a annoncé deux milliards d’euros dans le cadre du Plan Vélo 2, c’est-à-dire un quadruplement de son investissement en faveur du développement de la petite reine d’ici la fin du quinquennat, sous forme d’aides aux collectivités en vue de la construction de pistes cyclables, notamment. Pour atteindre les 100 000 kilomètres contre 56 000 kilomètres dédiés à ce jour. Avec de nouvelles aides à la clef pour l’achat de vélos électriques, en plus de celles de la Région, possiblement de votre département et de votre commune. Avec une prime à la conversion et des aides, soumises à condition, de 300 € à 400 €.

Yannick Douls, vice-président de la communauté de communes Millau Grands Causses complète : “Un tiers des personnes qui louent un de nos vélos ont des revenus modestes. Notre priorité était vraiment de les servir eux. Et ils sont prioritaires comme les étudiants. ensuite, quand ils ont testé le vélo pendant trois mois ou six mois, c’est de les accompagner avec tous les dispositifs existants pour trouver des moyens de financer l’achat d’un vélo.” Pour cela, “nous avons créé une fiche récapitulative pour chaque personne qui loue l’un de nos vélos ; ils disposent même de bons d’achat chez les vélocistes locaux pour acheter des accessoires si besoin…”

“Trouver des solutions de mobilités soutenables”

Elle dit : “Ce que nous prônons, c’est de trouver des solutions de mobilités soutenables, hors voitures, là où le vélo doit s’arrêter à cause de la distance ou du dénivelé trop importants.” C’est là qu’interviennent les véhicules, dits intermédiaires, pour boucler 5 km à 10 km sans s’épuiser ni avoir recours au moteur à explosion. D’autres communes comme Millau s’intéressent à ce changement de paradigme “mais peu de territoires comme le nôtre mettent en place des solutions”, affirme Hélène Jacquemin. Reste que ces véhicules qui coûtent une petite fortune ne sont pas à la portée de toutes les bourses. “C’est une vraie question, répond-elle. Faut-il acheter ou que ces véhicules soient mis à disposition ? Quel peut-être le modèle économique ? Nous attendons les réponses de plusieurs universités comme Rennes, Dauphine ou Polytechnique que nous avons sollicitées sur ce sujet.”

Contrat local de santé

Tout cela participe, certes, de la décarbonation des transports mais aussi d’une meilleure santé des habitants. “Nous allons aussi lancer, en 2024, un contrat local de santé (CLS) à l’échelle des Grands Causses pour les cinq prochaines années, confie Emmanuelle Gazel, la présidente de la communauté de communes Millau Grands Causses. Celle qui est aussi maire de Millau précise : “Il s’agira, entre autres actions, d’installer dans chacune commune couverte par le parc naturel, un référent santé, donc au total 93 correspondants locaux (élus, particuliers, président d’association…) dans les huit communautés de communes du secteur qui renseigneront les habitants sur les bons services de proximité, les bonnes pratiques existantes au plus près des gens…” 

Car il y a un lien évident entre “les gens isolés géographiquement – une grande problématique chez nous -, indique Lucie Bousquet, chargée de mission au Parc des Grands Causses, chargée de ce CLS. C’est une action proposée dans le cadre du Comité de citoyens qui avait été mis en place par la majorité et qui sera mise en oeuvre au 1er janvier 2024 quand le CLS aura été signé. Et parmi les propositions retenues parce que partagées par beaucoup d’habitants, il y avait celle de l’éloignement de beaucoup d’habitants de la pratique du numérique pour trouver les bons services de santé ou services sociaux. On a voulu créer une sorte de passerelle, “d’aller vers”.

Olivier SCHLAMA

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