L’ancien maire PCF de Sète, qui a eu une vie très bien remplie, a pris la plume pour en dresser le bilan. Un autoportrait humaniste qui signe également celui d’une époque où l’Île Singulière était en pleine mutation.
Qu’on l’apprécie ou pas, qu’on l’aime ou qu’on le déteste, tout le monde s’accorde sur un point : François Liberti est un humaniste. Un livre, qui se situe entre l’autobiographie, le bilan d’une existence rare et le testament politique pour les générations futures, sort le 20 février aux Éditions Arcane 17 et que nous avons pu lire (1). Certes, ces mémoires, qui ne disent pas leur nom, valorisent l’action militante et le communisme sans l’ombre d’une autocritique. Mais cela reste le témoignage sincère d’une époque, d’une pratique empathique de la res publica. D’un humaniste-né. On y a lu et apprécié de très belles pages sur la naissance de son engagement militant à terre et son appel de la mer.
“Une vie, dans la rue, pas loin de l’eau dans un décor d’apocalypse et aussi l’épopée de la reconstruction qui démarrait”

C’était un livre, en quelque sorte naturellement attendu qui ne surprendra pas ; un livre dont la publication est évidente. Qui s’impose par son intérêt tel qu’il décrit de que qu’était le mouvement social, le mouvement syndical, et l’action collective du Parti communiste. Et, au final, pour le commun des Sétois. Il faut lire ce bouquin. Touchant, le chapitre sur ses jeunes années du communiste qui le restera ad vitam – il distribue encore l’Huma le dimanche aux Puces…! – pose le décor. “Mon enfance, écrit-il, c’est ça, d’abord, une vie, dans la rue, pas loin de l’eau dans un décor d’apocalypse. Mais c’est avant tout l’épopée de la reconstruction qui démarrait aussi.” Où le PCF était tout-puissant dans ses bastions, auréolé de cette Seconde Guerre mondiale qu’il avait aidé à faire gagner.
François Liberti livre les linéaments de son engagement : “Gamin, j’avais ce sentiment de liberté très vif, avec une solidarité importante dans le quartier, dans une vie rythmée par l’école. Très vite, cette enfance a été bousculée par les premiers actes militants. Ma première prise de conscience remonte à la période de la fin de la guerre d’Algérie, vers 1960-1962. À Sète, les appelés arrivaient à la gare pour s’embarquer vers l’Algérie, et on voyait les cercueils revenir, par le port.”
Sa conscience politique se forge avec le PCF ; où un monde meilleur semblait possible aux “cocos”. Où le capitalisme qui allait se débrider n’en était pas encore à la terrible fast fashion. Et à la mécanique de haine du FN. Élu, à l’âge où certains, aujourd’hui, entament des études supérieures, François Liberti a occupé de nombreux mandats : maire, député, vice-président du conseil général… La guerre d’Algérie et les premières arrestations des premiers activistes de l’OAS à Sète l’enverront définitivement dans le camp de l’humain d’abord.
Cetara, Gaete, port, Miam, hôpital
Issu d’une famille immigrée, ouvrière, François Liberti a été embarqué comme mousse alors que l’adolescence commençait. Il sera ensuite pêcheur “par passion”. Il tissera la liens avec la ville jumelle italienne de Cetara et étroits avec Gaete d’où viennent de nombreuses familles sétoises et qui ont donné une âme qui s’effiloche depuis sa gentrification aiguë, à marche forcée. Comme ses combats pour le port, le Miam (Musée international des arts modestes) – indéfectiblement – s’occupera du port ; de l’hôpital…
“Divisions à gauche”
Bien sûr, il propose sa propre version des batailles politiques, sa méthode ouverte et démocratique. On ne l’en blâmera pas. En réalité, elle l’était mais un peu trop, parfois, cornaquée par les hommes de la rue du Colonel-Fabien. Bien sûr, également, sa lecture politique des “divisions” à gauche est toute personnelle et habitée par ses certitudes de militant ultra-dévoué. Mais François Liberti reste une figure. Et une figure tutélaire pour la gauche.
“Tu as une sacrée mémoire sur la ville, sur ton parcours de militant, laisse une trace !”

On n’attendait pas forcément François Liberti, tribun, à ce niveau d’écriture. Pour expliquer cette démarche réussie et comment il a couché tous ses souvenirs dans un livre, il faut d’abord l’écouter : “Vous savez, je suis quelqu’un de la palabre plutôt que d’écriture, dit-il. Tout le monde m’a interpellé pour que j’écrive, j’écrive, j’écrive… Bon. J’avais déjà fait une expérience avec Hélène Morsly de retracer l’aventure de la Coopérative des Cinq-Ports (dont Dis-Leur vous a parlé ICI). Et plusieurs copains m’ont incité à poursuivre avec un livre. On me répétait : “Tu as une sacrée mémoire sur la ville, sur ton parcours de militant, laisse une trace !”
Comment s’y est-il pris ? “J’ai fait des entretiens avec une journaliste de l’Humanité, Caroline Constant, la fille d’un copain de Sète, rapporte-t-il. Ça a duré des heures, rapporte François Liberti. Elle est venue en vacances. Je lui ai fait visiter Sète ; je lui ai finalement raconté ma vie. Elle a retranscrit mon récit qu’elle a enregistré et j’ai ensuite tout réécrit.” A-t-il volontairement oublié des anecdotes saillantes ? A-t-il subi l’auto-censure du militant ? François Liberti s’en défend. “Pas du tout. Je me suis toujours interdit de m’interdire.” Y compris de se hisser au niveau de son père, Casimir, qui oeuvra grandement à améliorer les conditions de vie et de travail du monde de la pêche.
Combat pour garder le lycée maritime
Y aura-t-il un volume 2 ? “Rien de tel n’est prévu !”, réagit François Liberti, avant d’ajouter : “Au bout du bout, quand on a eu fini ce livre, je me suis aperçu après maintes corrections ; ça tu l’as oublié ; ça tu l’as oublié aussi ! Tout un tas de trucs qui auraient pu figurer dans le bouquin.“ Y a-t-il une anecdote qui n’y figure pas ? Sans doute plusieurs… “Si, il y en a une ! Celle de la bataille que l’on avait menée en 1968 pour l’obtention des parcs conchylicoles où l’on avait été confrontés à une tentative de l’association nationale assurant jadis la gestion du lycée maritime de fermer le lycée.Tout simplement. On a eu à mener une bataille avec le lycée et le directeur.”

François Liberti poursuit : “J’étais marin en activité à cette époque. À force de mobilisation, de manifestations, j’ai pu convaincre pas mal d’inscrits maritimes qui étaient directement concernés. A cette époque-là, dans les années 1970, le lycée maritime assurait à Sète une formation continue pour se spécialiser, pour devenir patron de pêche. C’était au moment des grandes mutations de la pêche au chalut, des thoniers. Le second aspect, c’est que ce lycée était la première marche d’accès aux métiers maritimes sur place formidable. Or, on ne pouvait pas accéder à ces métiers sans en passer le premier diplôme réglementaire. Sinon, il aurait fallu aller à Marseille. Ou sur la côte atlantique. Finalement, on est arrivés à le garder à Sète.”
“L’humain, c’est ça qui est essentiel”
La fin du bouquin apparaît plus incertaine pour sa succession. Certes, l’homme à la barbe blanche et au sourire taquin, cite les tenants de la relève politique actuelle comme Laura Seguin qui a inventé les conseils municipaux alternatifs. Mais qui sera le futur Liberti, qui soit un personnage aussi attachant et humaniste que lui…? “Ce serait bien présomptueux de ma part de le dire ! répond-il de sa voix de stentor. Il y a quand même un certain nombre de têtes nouvelles intéressantes !” La ville a beaucoup changé… Le vrai pari, n’est-ce pas finalement d’abord de mettre en oeuvre une capacité collective à l’empathie, à l’intérêt commun ? “Absolument, dit-il d’un accent inimitable. L’évolution de la société dans sa technicité, dans sa modernité, dans son époque, si tu effaces l’humain… C’est pour cela que ce livre, je l’ai titré au Service de l’humain. C’est ça qui est essentiel.”
“Toute cette vie n’aurait pas été possible sans Anita”
Dans ce livre, il y a un chapitre désopilant. Original en même temps que rare : un dialogue à deux voix avec sa femme, Anita. Qui le corrige d’entrée – dans ses propos – sur les conditions de leur rencontre où l’on sent tout le caractère et la fierté d’un couple soudé et sur la même longueur d’onde. Beaucoup de respect. Et même un hommage : “Toute cette vie n’aurait pas été possible sans Anita, avoue clairement François Liberti. Pas simple de militer, d’exercer un mandat d’élu, tout cela cumulé avec le métier de marin-pêcheur où tu n’as jamais la certitude de pouvoir en vivre à l’instant T comme sur le long terme. La rémunération est fluctuante. Les pêcheurs, ce sont des cueilleurs : tu cueilles, tu vis, tu ne cueilles pas, tu ne gagnes rien. Mais Anita, elle a été patiente avec cette donnée, et très compréhensive.”
“Plus que jamais, je considère que le bonheur reste une idée neuve”
L’éditrice Marie-Pierre Vieu, qui fut députée européenne PCF, dit de François Liberti :“c’est notoire : c’est un bonhomme incroyable. Généreux. Imaginez que l”un des projets dont il est le plus fier c’est d’avoir fait le Miam ; lui, le marin-pêcheur a donné une place dans la culture dans la ville qu’il a dirigée. Il fait partie des figures politiques qui nous manquent singulièrement à gauche. Et, en effet, il manque un bâton de relai politique et le livre est une belle manière de mettre des idées en forme ; c’est une belle médiation pour saisir le débat et raconter des choses qui font partie d’une mémoire collective.”
Dit autrement : si on n’apprend jamais rien de l’histoire, on peut montrer un chemin. Et, comme le dit François Liberti, à l’aube de ses 78 ans, “plus que jamais, je considère que le bonheur reste une idée neuve”.
Olivier SCHLAMA
- (1) 15 euros. En librairies Ou sur le site Arcane 17
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