L’ex-ministre de l’Education nationale et actuelle présidente de l’ONG France Terre d’Asile sera ce mercredi au Mémorial de Rivesaltes qui fête ses dix ans. Najat Vallaud-Belkacem milite contre le récit du “rejet de la faute aux derniers venus” et contre la “concurrence des misères”.
Déjà présente lors de l’inauguration du lieu en 2015, Najat Vallaud-Belkacem sera présente au Mémorial du camp de Rivesaltes, qui fête ses dix ans d’existence, pour une prise de parole abordant les thèmes des disparités sociales et de la migration. Le mercredi 5 février à 18h30 (1). L’ancienne ministre, notamment de l’Éducation nationale, sous François Hollande, est aujourd’hui présidente de l’association France Terre d’Asile. Son intervention“recoupera l’action d’un lieu comme le Mémorial face aux enjeux du monde qui l’entoure”.
Quel message venez-vous apporter ce mercredi au Mémorial de Rivesaltes ?
Avec un mémorial comme celui-là, c’est la question de la continuation, sous d’autres formes, d’hostilité, de haine, de mécanique du rejet qui mettent en fragilité notre monde.
Que représente ce lieu pour vous ?

Le plus jamais ça. En tant que présidente de France Terre d’Asile, comme femme attachée aux droits des plus vulnérables, le plus jamais ça me parle plus particulièrement puisque je n’oublie pas que tous les droits que nous avons aujourd’hui, à commencer par les Droits de l’Homme, le droit d’asile pour ceux qui fuient un pays où ils sont persécutés, etc., ce sont des droits qui ont été conçus, pensés, adoptés au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Précisément au nom du plus jamais ça.
On a fêté les 80 ans de la libération d’Auschwitz qui a peu intéressé ; vous intervenez sur les guettos scolaires ; séparatisme, droit d’asile font l’actualité. Allons-nous vers quelque chose d’inéluctable, d’inhumain…?
Ma grande tristesse, ma grande inquiétude, c’est que les grandes voix, les victimes, de la Shoah s’éteignent. Et qu’elles ne soient pas suffisamment présentes pour raconter et surtout raconter la mécanique qui est à l’oeuvre. Et c’est rapide : soudain, toutes les digues, les protections, les décences s’effondrent et la banalité du mal surgit alors et s’installe. Je pense que les mémoriaux ont vocation à transmettre malgré une parole qui en effet s’éteint parce que leurs survivants sont de moins en moins nombreux.
Cette mécanique du mal, il est très important que les mémoriaux l’expliquent et fassent de la pédagogie autour d’eux. À chaque fois, ce mal commencent par ce qui apparaît comme pas grand-chose : par ce réflexe qui consiste à chaque fois à déshumaniser l’autre, celui qui ne me ressemble pas. À l’éloigner de mon regard, à ne pas le considérer par tout à fait semblable à moi ; pas tout à fait humain et, finalement, on commence avec ça et on termine avec l’animalisation. On l’a vu pendant la Shoah ou le génocide au Rwanda. Et dans tellement autres situations… D’une certaine façon, ce qui se passe aujourd’hui, avec la figure du migrant, c’est cela qui se reproduit.
Pourquoi cela se reproduit-il justement ?

Il y a des manipulations à l’oeuvre, comme toujours. Et des acteurs pour lesquels faire de la figure du migrant le principal ennemi de notre société, c’est s’en tirer à bon compte sur tout le reste. C’est s’éviter d’avoir à justifier cette incapacité de répondre aux besoins de la société. Avoir un discours ferme, montrer les muscles sur la question es migrants et hop ! vous en retirez des points en plus dans les sondages et une supposée crédibilité… C’est la meilleure façon de ne pas avoir à faire ce qu’il faudrait faire.
Et pendant que ces acteurs politiques-là focalisent votre attention sur cela, ils la détournent en fait de leur incurie, de leur incapacité à résoudre les problématiques des Français : l’emploi, la question de la pauvreté, des inégalités, l’absence de mobilité sociale, du séparatisme. Et comme ces acteurs-là ne traitent pas ces sujets-là, la situation de bon nombre de Français se dégrade et, finalement, il y a une forme de facilité à considérer que c’est la faute des derniers venus. Et d’installer comme cela le récit de ma concurrence des misères : “On serait quand même mieux si on n’avait pas tant de nouveaux venus…” En fait, c’est le double effet “kiss-cool” : à la fois les problèmes ne sont pas résolus et en plus les Français finissent par adopter le point de vue qu’ils entendent le plus fréquemment : c’est la faute des étrangers. Voilà ce qui est à l’oeuvre.
C’est de la même veine que cette expression de François Bayrou sur “la submersion migratoire” ?
Ce terme est particulièrement choquant. Il l’est aussi parce que ceux qui suivent cela de très loin pourraient se dire holala ! ce ne sont que des mots. Justement, c’est pour cela que des mémoriaux sont importants : une mécanique est à l’oeuvre et le début de cette mécanique consiste à s’approprier, normaliser, banaliser des mots qui ont été pensés bien en profondeur et à dessein par une extrême droite qui sur cette nouvelle figure de l’ennemi que sont les migrants aujourd’hui, ils ne parlent plus d’eux qu’en ne parlant de fluide : un afflux, une marée, une submersion, etc. Je me souviens même de Sarkozy qui n’était pas avare en références d’extrême droite, avait parlé de “chasse d’eau”… De “chasse d’eau”… La déshumanisation commence avec le vocabulaire. Et voir quelqu’un comme Bayrou qui ne se revendique pas de l’extrême droite mais des chrétiens démocrates employer le terme submersion, c’est terriblement choquant. Tragique.
Que faire face à cette situation ?
Je pense, et cela vient de mon expérience au sein de Terre d’Asile, que dans tout cela, il y a quelque chose que l’on passe totalement sous silence : ce que j’appelle une majorité silencieuse. C’est tous ces gens, dans l’ombre, sans demander aucune médaille pour cela, tissent, aident, sont généreux, hospitaliers. Vous ne pouvez pas savoir combien j’en ai vus à l’oeuvre ces dernières années en même temps que l’on voyait une Europe qui, avec ses dirigeants, se lançait dans unes espèce de non-assistance à personnes en danger en laissant des exilés mourir en mer ; et, en même temps, il y a d’innombrables initiatives citoyennes.
Elles sont l’oeuvre de citoyens mais aussi d’un certain nombre d’entreprises. Je trouve qu’il faudrait que ces récits-là soient plus souvent racontés. Parce que, fondamentalement, ce qui fixe notre logiciel de pensée collectif, c’est ce que l’on entend le plus régulièrement. Et plus on entend régulièrement et unilatéralement le récit de la peur, du sondage d’opinion contre ceci ou cela, plus on en fait la norme. On finit par se dire si tout le monde pense cela, c’est sans doute ce qu’il faut penser…
Ça ressemble à une candidature à une élection de votre part…?

(Rires). C’est une recommandation que je ferai à tous ceux qui ont voix au chapitre ; à tous ceux qui prennent la parole : médias, politiques, syndicalistes, artistes, etc. Tous ceux qui ont accès au micro, à la plume. Il faut qu’ils racontent cela pour installer un récit de la solidarité, de l’humanité, de l’hospitalité comme étant la normalité. Parce qu’alors d’autres gens se sentiront libérés à l’idée de l’être aussi. Parce qu’ils se sentiront autorisés à l’être.
C’est de l’ordre psychanalytique…?
Oui, je crois. C’est un peu comme dans une famille : si vous passez votre temps à dénigrer votre enfant et que vous ne relevez jamais les moments où il accomplit des choses formidables, cela ne donnera pas particulièrement envie ou une inspiration au petit frère ou la petite soeur de faire ces choses formidables. On a un rôle à jouer pour créer cette inspiration.
Recueilli par Olivier SCHLAMA
- (1) Entrée : 5 € et gratuit pour les moins de 18 ans. Réservation indispensable : 04 68 08 39 70 ou billetterie@memorialcamprivesaltes.fr
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