Méditerranée : L’oursin, une délicatesse pleine de piquants secrets…

Oursin noir. Sylvain Blouet

À l’heure des “oursinades” à Agde ou Sète, Renaud Dupuy de la Grandrive nous livre tous les secrets de cet animal marin succulent. Le directeur du milieu marin de la ville d’Agde explique dans sa chronique le comportement singulier de cet animal présent dans toutes les mers du globe et né avant les dinosaures il y a 450 millions d’années…

Disons-le de suite, penser oursin c’est penser piquant…ou dégustation ! Pourtant, c’est aussi un animal marin plein de curiosités ! Alors oui, côté culinaire, c’est le moment de se régaler, et dans notre région, que ce soit pour les pêcheurs professionnels ou les amateurs la récolte est autorisée jusqu’au 16 avril (quatre douzaines maximum par pêcheur de loisirs). Après cette date, jusqu’au 31 octobre, ce sera l’heure de l’abstinence dégustative, histoire de permettre leur reproduction.

Aristote adorait l’architecture interne de la coque de l’animal

L’oursin violet. Ph. Sylvain Blouet

Voilà un animal marin de la classe des échinodermes (comme les étoiles de mer), qui est consommé dans les pays méditerranéens depuis l’Antiquité. Aristote adorait l’architecture interne de la coque de l’animal, et plus particulièrement son appareil dentaire, que l’on a appelé “lanterne d’Aristote”. Apicius le gourmand en farcissait les tétines de truie. Les Gaulois utilisaient quant à eux son fossile dans les rites druidiques.

L’oursin se prête à nombre de recettes

Question recettes, on l’apprécie l’oursin cru (avec ou sans pain) ou en plats accompagnés, en Méditerranée notamment (dans les pâtes en Sicile) mais aussi au Japon (sushis, sushimi), en Espagne (jusqu’en conserve côté atlantique), dans les Antilles (blaff), La Réunion (carry), en Nouvelle Zélande ou au Chili.

Oursins Grande Conque. Ph. Renaud Dupuy de la Grandrive

Oursinades de Sète, Cap d’Agde…

L’oursin dit de Sète c’est celui de l’étang de Thau. Il a un goût un peu plus sucré que ceux de la mer et il est plus petit. Aujourd’hui, les oursinades régionales récentes de Sausset, Cassis, ou Sète et Cap d’Agde en Occitanie à venir ont d’ailleurs un grand succès et même si le mets de choix est encore assez cher, il n’atteint pas les sommes folles de Paris où l’unité peut se vendre à plus de 6 € selon la saison !

À la radasse, au gangui…

Les espèces comestibles sont récoltées à la main avec différents outils selon les saisons : une pique très courte, un crochet, mais aussi à la radasse (amas de filets) ou au gangui dans les secteurs autorisés (avec une nasse d’environ deux mètres d’ouverture). Lors de l’ouverture, les plus longues épines de l’oursin sont brisées pour éviter les blessures. Le test (le squelette) d’oursin est ensuite découpé au tiers inférieur. L’instrument le plus communément utilisé pour ouvrir l’oursin est le ciseau ou une pince spéciale et ajourée appelée goulindion par les pêcheurs méditerranéens et u gulinaghju en Corse.

Hérisson de mer, châtaigne de mer, œuf de mer, l’oursin est un animal singulier

Mosaïque antique avec oursin et mérou…

L’oursin est apparu il y a 450 millions d’années, soit bien avant les dinosaures. On peut trouver des fossiles d’oursins dans les roches calcaires comme la craie. Dénommé aussi hérisson de mer, châtaigne de mer ou œuf de mer, c’est un animal très singulier. On mange ainsi le corail (qui n’a rien à voir avec son cousin, animal lui aussi, corallien), cinq glandes sexuelles que sont ces gonades de couleur orange à rouge chez les femelles et crème chez les males. Le goût est évidemment bien iodé mais sa saveur est riche et complexe, jusqu’à la noisette. C’est un aliment riche en protéines, minéraux, oméga 3, avec peu de graisse et de sucre. Plus singulière est la présence de neurotransmetteurs cannabinoïde (comme dans le cacao et le cannabis) aux effets possiblement euphorisants.

Présents dans toutes les mers du globe dont une dizaine d’espèces en Méditerranée

Ils sont présents dans toutes les grandes mers du monde et à toutes les profondeurs. Il en existe environ 950 espèces actuellement. En Méditerranée c’est une dizaine d’espèces telles les oursins violet, noir, grimpeur, cœur de Méditerranée, lance gris, granuleux, melon, diadème (espèce protégée, aux piquants très venimeux), spatangue pourpre…

Oursin grimpeur, Edouard Chéré.

Mais tous ne sont pas comestibles. Les oursins violet et bruns sont les plus recherchés, les noirs sont moins bons et comestibles uniquement au début du printemps. Sous l’eau c’est parfois difficile de distinguer cette différence de couleur, une des solutions est d’observer un oursin que l’on retourne; celui qui se retourne « rapidement » est un oursin comestible, sinon c’est le noir (plus plat).
Ce sont pour la plupart des herbivores mais ils peuvent aussi mettre à leur menu des bryozoaires, foraminifères, ophiures, gastéropodes et autres débris et reste d’animaux.

Ils broutent les algues ou les fameuses Posidonies

Ils broutent les algues sur le fond ou les Posidonies avec leur bouche à cinq dents. Ils se déplacent lentement grâce à leurs piquants articulés, mais ils ont aussi de petites ventouses appelées podia ou pieds ambulacraires. Ils vivent souvent dans des creux ou logettes qu’il ont creusé à l’aide de leurs piquants et où ils peuvent s’ancrer solidement, ce qui leur permet de résister au ressac et de décourager d’éventuels prédateurs.

L’oursin n’a ni tête ni cerveau…

Test (squelette) d’oursins. Ph Renaud Dupuy de la Grandrive

Singularité biologique, les oursins n’ont pas de “tête”, leur bouche est située sur la face du dessous et leurs yeux sont remplacés par des cellules spécialisées, invisibles. Ils n’ont pas non plus de véritable “cerveau”, et leur système nerveux est fait de cinq fibres qui tapissent l’intérieur de la carapace.

70 % de gènes en commun avec nous !

Autre singularité, ils ont 70% de gènes en commun avec nous ! et une espérance de vie probablement supérieure à la nôtre grâce à un système immunitaire très performant. Soumis à une forte pression de récolte, qui peut aussi modifier l’équilibre des petits fonds côtiers méditerranéens, on se met à l’élevage (échiniculture) un peu partout (Ile de Ré par exemple).

Trop d’oursins modifie les écosystèmes…

D’un autre côté trop d’oursins peut aussi modifier les écosystèmes, par leur consommation d’algues en tant que brouteurs, notamment celles qualifiées d’ingénieures, telles les cystoseires, garantes d’un bon fonctionnement global du monde marin méditerranéen, ce qui peut aboutir à des étendues de roches nues avec seulement des oursins. Sur les plages il n’est pas rare de découvrir des oursins morts sous forme de “tests” – leur squelette calcaire – de différentes tailles et couleurs.

Comment ôter les épines de la peau

Algues cystoseires. Renaud Dupuy de la Grandrive.

L’oursin reste cependant un animal sauvage encore assez peu connu, qu’il convient de respecter lors de sa récolte en période, taille et quantité autorisées. Post scriptum : à l’approche des beaux jours ou après une récolte, comment enlever des épines d’oursins dans notre peau ?! Le préalable est de bien nettoyer et désinfecter la plaie avant d’essayer de les enlever avec une pince à épiler très fine ou une pince à écharde. Il faut tirer dans l’axe pour limiter le risque de cassure des épines.

Les remèdes sont très variables

On peut appliquer du citron vert ou du vinaigre blanc pour dissoudre le calcaire des piquants. Certains recommandent aussi d’ppliquer de la vaseline ou du microlax sous cellophane ou pansement pour ramollir la peau. Autres méthodes : tremper la partie atteinte dans un bain d’eau tiède pour assouplir la peau ; pratiquer une épilation avec de la cire tiède. Il y a plus curieux, comme écraser la zone atteinte avec une pierre pour fragmenter les piquants et permettre une meilleure assimilation par l’organisme. Et encore davantage : appliquer des urines fraîches dont l’acidité favorisera la dissolution de l’élément calcaire… Dans tous les cas, si il y a infection, consulter un médecin !

Renaud DUPUY DE LA GRANDRIVE

Plongez dans Dis-Leur !

Méditerranée : L’oursin, une délicatesse pleine de piquants secrets…