Méditerranée : Les mille et un secrets des seiches, animaux fascinants !

Photo : Renaud Dupuy de la Grandrive

Doté d’une vision sophistiquée, intelligent, avec une extraordinaire adaptation à l’environnement… Dans sa chronique, le directeur de l’aire marine protégée de la côte agathoise, Renaud Dupuy de la Grandrive, nous explique combien cet animal à tentacules dont on se sert également pour faire des bijoux et même de l’artisanat, est extraordinaire !

Affublée de nombreux noms communs en Méditerranée (sépia, supi, suppion, supi…) et même très différents ailleurs en France (margate en Manche, chakod en Bretagne, casseron dans le bassin d’Arcachon), voire même singuliers comme en Norvège (Vanlig tiarmet blekksprut !), la seiche commune (Sepia officinalis de son nom scientifique) reste un mollusque extraordinaire.

Présente en Atlantique jusqu’en Afrique du Sud mais aussi en mer Baltique et mer du Nord, c’est au printemps que les pêcheurs dit “petits métiers” l’exploitent surtout en Méditerranée. Dans notre région, jusqu’à 200 mètres de profondeur, elle préfère les fonds de sable ou de graviers où elle peut s’enfouir ou les herbiers de posidonies.

Le fameux os de seiche sur la plage…

La seiche de Rondelet mesure à peine 3 millimètres… Ph. mm-AMPCA

Elle est facilement reconnaissable grâce à son corps oblong entouré d’une nageoire ondulante et, bien sûr, de sa tête aux huit tentacules courts et, moins connus car souvent rétractés, de deux autres plus longs qui lui servent à capturer ses proies à l’aide de ventouses. Sa pupille en forme de “W” est singulière et lui rendent déjà un air d’animal pas comme les autres !

Cette vie sous-marine trépidante dure deux ans. Chacun a pu retrouver un jour sur la plage abandonnés les fameux os de seiche (appelés parfois sépions) qui sont en fait son “squelette”, alvéolé interne en calcaire (aragonite). Lequel n’a d’ailleurs rien à voir avec les os humains. C’est là que l’animal contrôle sa flottabilité en régulant les entrées de gaz et d’eau ! 

Pharmacopée, bijoux, décoration…

Bien évidemment cet os a trouvé des utilisations par les hommes : fabrication de bijoux par empreintes, d’autant qu’il résiste spectaculairement à du coulage d’or en fusion ! Mais aussi dans la pharmacopée ancienne pour fabriquer du dentifrice, soulager les maux de ventre, effacer les taches, ou encore en reliure, en enluminure, nettoyant de verre sans rayer, rétenteur de calcaire dans les bouilloires… Sans compter que d’autres animaux telles que les tortues marines le croquent pour bénéficier de ses apports en calcium et oligoéléments, tout comme les oiseaux de compagnie.

Détail os de seiche. Photo : Doris.

Mais c’est dans ses qualités intrinsèques que la seiche se distingue surtout. Elle possède une vision sophistiquée, a un cerveau très développé, peut changer facilement de couleur pour s’adapter à son environnement… Entre autres curiosités, à son menu figure, certes, poissons, mollusques et crustacés mais aussi ses congénères, les cas de cannibalisme semblant assez fréquents !

Prédateur redoutable

Si l’animal est un prédateur goulu et actif c’est qu’il est armé pour la chasse sous-marine ! Déjà il peut changer de couleur grâce à ses chromatophores (et cela dès sa naissance) et ainsi se camoufler par homochromie en se fondant dans son environnement. Pour qui a pu observer ce phénomène sous l’eau c’est la vitesse du changement qui est spectaculaire et la variété des belles couleurs. Une fois sa planque, établie, souvent juste sous le sable, la seiche projette alors ses deux tentacules externes vers sa proie, la ramène dans ses tentacules courts, injecte un venin via sa salive toxique et déploie son coup de grâce en la découpant par son bec de perroquet inversé. Redoutable !

La ponte surnommée raisin de mer

Redoutable aussi pour se reproduire au mieux au printemps car cette homochromie sert aussi lors des accouplements où les phases d’émotion et d’excitation parcourent leur corps via des signaux colorés changeant sous forme ondulantes rapides…Une fois les parades nuptiales et l’accouplement effectués, la fécondation des ovules a lieu moins de deux heures après, et le mâle reste présent pour éviter qu’un autre mâle vienne s’accoupler. La ponte s’appelle raisin de mer en raison de leur forme de grappe d’œufs noirs. Si les adultes meurent après la reproduction, les petites seiches passent de quelques millimètres à 1 centimètre de plus par semaine.

Lorsqu’on met la seiche hors de l’eau, elle répand une liqueur noire par un petit canal qui aboutit à l’anus”

C’est aussi la fameuse encre de seiche qui symbolise cet animal. Si elle est plutôt du genre placide en général, la fulgurance de sa fuite en cas de menace en est l’exact contraire ! Et l’expulsion d’une encre noire la met ensuite un peu plus à l’abri. Laquelle encre est utilisée depuis fort longtemps pour écrire ou dessiner. Ainsi l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert consacre le tiers de l’article Seiche à la description de cette encre : “Lorsqu’on met la seiche hors de l’eau, elle répand une liqueur noire par un petit canal qui aboutit à l’anus ; cette liqueur est renfermée dans un sac dont les parois extérieurs sont blancs [sic] ; […] il contient assez de liqueur pour teindre en noir plusieurs seaux d’eau. […] Si on reçoit cette liqueur dans un vase au sortir du sac, elle se coagule et se durcit en peu de jours ; ensuite, elle se gerce et se divise par morceaux qui étant broyés donnent une belle couleur noire.”

Swammerdam prétend que les Indiens composent l’encre de la Chine avec la liqueur noire de la seiche. Les seiches se privent au déjeuner lorsqu’elles savent qu’il y aura des crevettes au dîner !

Cerveau développé et sophistiqué

Il est aussi connu depuis assez longtemps que le cerveau de ces belles créatures sous-marines est particulièrement développé et complexe. Une expérience scientifique récente menée aux Etats Unis par des chercheurs du Woods Hole Oceanographic Institution (WHOI) le prouve encore une fois. La seiche a ainsi réussi un test cognitif conçu pour les enfants – le Stanford marshmallow experiment – (conçu en 1972 par le psychologue Walter Mischel de l’université de Stanford).

Lorsque les seiches savent que les crevettes, leur nourriture préférée, seront disponibles le soir, elles consomment moins de crabes pendant la journée. À l’inverse, lorsque l’approvisionnement en crevettes devenait aléatoire, les seiches faisaient évoluer leur régime alimentaire en conséquence et s’assuraient de consommer une quantité suffisante de crabes durant la journée pour couvrir leurs besoins quotidiens.

Système nerveux central très développé

Détail sculpture os de seiche. DR.

C’est un comportement illustrant les capacités cognitives avancées de ces animaux ! Une preuve aussi, comme l’indique Mathieu Foulquié de la maîtrise de soi de la seiche commune. “Il a été surprenant de voir à quelle vitesse les seiches ont adapté leur comportement alimentaire. C’est un comportement très complexe qui n’est possible que parce qu’elles possèdent un cerveau sophistiqué”, avance Pauline Billard, première auteure de cette étude parue aussi dans la revue Biology Letters. Pour Nicola Clayton, chercheur, “bien que sur le plan évolutif, vertébrés et céphalopodes aient divergé il y a environ 550 millions d’années, ils s’avèrent remarquablement similaires en ce qui concerne l’organisation de leur système nerveux, et les seiches ont la particularité de naître avec un système nerveux central très développé, qui leur permet d’apprendre dès leur plus jeune âge”.

Certes, les qualités gustatives de la seiche ne sont plus à démontrer, que ce soit pour sa chair ou son encre, surtout dans notre région Occitanie, mais gageons qu’au moins sous l’eau, au gré par exemple d’une balade sous-marine dans nos aires marines protégées occitanes et catalanes, nous porterons un regard différent sur cet animal singulier.

Renaud DUPUY DE LA GRANDRIVE

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