Les commandes de bateaux explosent : Le nautisme recherche des centaines de salariés !

Ph. Renaud Dupuy de la Grandrive. Bateaux, voilier, Méditerranée.

Le secteur a le vent en poupe. Plongée chez l’un des leaders du secteur, Grand Large (Outremer et Gun Boat), basé à la Grande-Motte, qui a besoin de recruter 100 personnes en 2022. La filière tout entière a besoin de 1 000 à 1 500 personnes. Le directeur régional de Pôle emploi explique combien la mise en valeur de l’économie “Bleue”, est importante comme le recrutement des candidats avec des compétences approchantes. La Région Occitanie, elle, se mobilise pour offrir des formations adaptées.

Un tsunami de commandes. Chaque année, trente bateaux sortent des chantiers de Grand Large Yachting (GLY), à la Grande-Motte (Hérault), qui doit gagner une course : en livrer… deux cents d’ici trois à quatre ans, dont 70 % à l’exportation, principalement vers les USA… En clair, le nautisme a le vent en poupe, comme Dis-Leur vous l’a expliqué dans un dossier ICI. Attention, il s’agit là, non pas de vulgaires caravanes flottantes. Mais de bons gros catamarans de luxe, savamment designés, hyper-équipés, où l’on peut habiter et vivre des semaines et qui vous emportent jusqu’à l’horizon, parfois à plusieurs millions d’euros l’unité, nécessitant de vraies équipes pour le construire.

100 postes à pourvoir plus 20 dans les fonctions support

L’appel du grand large, crise du covid oblige, a fait grossir les demandes et gonfler les voiles des leaders du marché, dont GLY (Grand Large Yachting), y compris celles du secteur du nautisme en général, notamment en Occitanie. Une bonne chose, certes, dans un océan de mauvaises nouvelles. Mais des carnets de commandes, pleins pour des années, cela a un revers : de sacrées difficultés de recrutements.

Xavier Desmarest, le cofondateur de GLY (qui réunit les marques Gun Boat et Outremer), estime ainsi à plus de 100 le nombre de postes à pourvoir immédiatement dans son groupe (600 salariés, dont 150 intérimaires et 67 M€ de chiffre d’affaires), “plus une vingtaine dans les fonctions support, contrôle de gestion, finances, affaires juridiques, RH…”, ajoute-t-il. Secrétaire général de la Fin (Fédération des industries nautiques), Eric Mabo estime, lui, à “plusieurs centaines les postes à pourvoir dans l’ex-Languedoc-Roussillon. Et entre 1 000 et 1 500 sur l’ensemble de l’Hexagone”. Pour candidater, cliquez sur le lien ICI

“Pendant longtemps, les principales recrues chez nous, c’étaient des pizzaïolos pour leur dextérité… !”

Xavier Desmarest précise ses besoins : “Nous recherchons parmi les 100 personnes à recruter des professions autour des matériaux composites. Des menuisiers, des ébénistes, électriciens, plombiers… On a tous les métiers de l’habitat et de la voile. On a besoin d’accastilleurs…” Qu’est-ce qui donnerait envie à des professionnels recherchés par ailleurs d’aller vers le nautisme ? “Si on trouve des professionnels déjà diplômés, on prend. Pendant longtemps, les principales recrues chez nous, c’étaient des pizzaïolos pour leur dextérité… !” Xavier Desmarest poursuit : “Ce sont des gens qui savent bricoler, qui ont de vraies habiletés manuelles. On n’a pas de préjugés. D’ailleurs, nous avons noué un très bon partenariat historique avec Pôle emploi. On propose par exemple depuis longtemps des formations, via des “Poec” : ce sont des méthodes de recrutement par simulation et après les salariés sont formés 400 heures chez nous et, en plus, ils peuvent passer un certificat de qualification professionnelle. On a été des pionniers.”

Nous avons recruté, par exemple, un jeune ébéniste qui est devenu chef d’équipe, qui s’épanouit après avoir découvert nos métiers…”

Xavier Desmarest, cofondateur de GLY

Pourquoi aller travailler dans le nautisme, une industrie mal connue ? Et pas encore totalement identifiée et reconnue. Xavier Desmarest pointe l’envie de côtoyer et de fabriquer de belles choses : “D’abord, nous fabriquons des beaux bateaux produits donc en France ; on voit l’aboutissement de son travail, le produit fini. Deuxièmement, l’entreprise est sur une excellente dynamique : en 2007 on était seulement 30 salariés… Nous proposons aussi des opportunités internes. Nous avons recruté, par exemple, un jeune ébéniste qui est devenu chef d’équipe, qui s’épanouit après avoir découvert nos métiers. En terme de salaires, on est dans le marché. Il y a aussi des primes de production, de participation…”

Xavier Desmarest. DR.

Le recrutement demande un vrai savoir-être : “Nous cherchons des gens qui ont envie de faire un bout de chemin avec nous ; l’ambiance est bonne, voire très bonne : on a un partenariat avec le Yacht club pour le repas du midi ; on peut faire du paddle à la belle saison… On n’a pas besoin d’être un passionné de bateau ! En revanche, celui de la belle ouvrage, du beau geste, c’est important.” Comme savoir travailler en équipe, être méthodique, organisé.

La crise du covid a accéléré une évolution des mentalités ; les gens veulent profiter et prendre du bon temps autant que possible”

Eric Mabo, secrétaire général de la FIN

Secrétaire général de la Fin (Fédération des industries nautiques) Eric Mabo livre son analyse : “Cette situation est due à une conjonction de raisons : la crise du covid a accéléré une évolution des mentalités ; les gens veulent profiter et prendre du bon temps autant que possible” ; les gens ont “un autre regard sur leur façon de vivre ; ils prennent autant que faire se peut davantage de vacances. Le bateau permet de s’évader sans aller forcément très loin” et de ne pas avoir à trop se frotter aux exigences sanitaires ; acheter un bateau c’est aussi la possibilité de matérialiser un projet de vie, parfois. “Certains se disent : la vie est trop courte, profitons…”, précise-t-il. Face à ce constat, la filière du nautisme est confrontée à deux écueils : les difficultés de s’approvisionner en matières premières, comme pour toutes les industries, qui va peu à peu se résorber. Et l’écueil du recrutement, donc.

Il y a la famille en année sabbatique et le quinqua qui veut faire le tour du monde

Lors du 22e salon nautique du Cap d’Agde. Ph. Renaud Dupuy de la Grandrive. Bateaux, Méditerranée.

Pourquoi les carnets de commandes se noircissent-elles à vue d’oeil ? Le patron de GLY avance : “Les gens intéressés par un grand voilier passent à l’acte et se disent : pourquoi reporter ce projet de vie, confirme Xavier Desmarest. Notre entreprise a un taux de croissance de 20 % en moyenne chaque année. Nous sommes confrontés à une vague de commandes. Nous avons aussi racheté Gun Boat en dépôt de bilan aux USA et que l’on a ramenée en France. C’est la marque mythique du catamaran super rapide. Entre Ferrari et Mazeratti en voiture. Grâce aux synergies entre Gun Boat et Outremer, la première a pu repartir de l’avant et elle connaît une croissance très forte. Elle a vendu deux bateaux de 80 pieds ; on en est au 6e 68 pieds, un 72 pieds… Le développement est intense.”

Le client-type ? Il y a deux profils, selon Xavier Desmarest : “La famille qui prend une année sabbatique avec enfants relativement jeunes pour une virée dans l’Atlantique ; ensuite, il y a des quinquas qui prennent du recul par rapport à leur activité professionnelle qui, parfois, envisage un tour du monde complet sur trois ans.”

L’équivalent, sur terre, d’une Ferrari ou d’une Porsche…

Les catamarans de GLY ne sont pas de vulgaires embarcations : ce sont des bateaux de luxe taillés pour des tours du monde et des voyages au long cours. “Le plus petit de chez Gun Boat fait 68 pieds (21 mètres) et coûte 7 M€ et le plus gros 20 M€. A chaque fois que l’on en vend un, cela mobilise une grosse équipe.” En parallèle, la seconde marque du groupe, Outremer continue son développement : “Nous avons lancé un nouveau modèle Outremer 55. La gamme de bateaux va de 13 mètres jusqu’à 18 mètres, avec des prix qui oscillent de 600 000 € à 2 M€ l’unité. Si on compare à une voiture, on est sur l’équivalent d’une Porsche sur terre.”

Taillés pour les voyages

Les fondateurs de Gly, Xavier Desmarest et Stéphane Constance, sont deux anciens copains d’école, ingénieurs centraliens, qui, au début des années 2 000, envisageaient de faire un break dans leur vie respective. “On ne trouvait pas ce que l’on cherchait. Du coup, on a commencé par créer la marque Allures (des monocoques en alu), à Cherbourg, en 2003 jusqu’en 2007. Notre deuxième bateau a ensuite été élu bateau de l’année en France ; avant de racheter Outremer (catamarans) dont les bateaux, en composites, sont taillés pour les voyages…”

Notre vrai rôle c’est de repérer les compétences, les habiletés, des profils atypiques pour leur faire découvrir ces métiers-là”

Sandrine Cavoleau. Directrice de l’agence Pôle emploi de Saint-Jean-de-Védas

“Cette entreprise est une pépite”, formule Sandrine Cavoleau. Directrice de l’agence Pôle emploi de Saint-Jean-de-Védas en lien avec GLY et indemnise les demandeurs d’emploi qui suivent une formation qualifiante dans ce secteur, elle ajoute : “Gly, on l’a vue grandir au fil de l’eau et elle a toujours fait appel à Pôle emploi ; elle croit au service public.” Elle revient sur l’image méconnue de l’industrie nautique. “Faites le tour des écoles, des collèges et des lycées et demandez s’ils connaissent le métier de stratificateur, par exemple… Personne ne connaît.”

Et d’ajouter : “Notre vrai rôle c’est de repérer les compétences, les habiletés, des profils atypiques pour leur faire découvrir ces métiers-là. Je pense aussi à des jeunes filles qui se sont engagées dans une autre voie, un bac pro secrétairiat, par exemple, et qui pourraient être intéressées.” Sandrine Cavoleau confie également avoir fait tout un travail de “conseil auprès de Gly pour aussi pour que les salaires et les conditions de travails soient attirants. Car il y a un changement sociétal qui s’opère chez les jeunes” qui cherche aussi un travail à l’ambiance plus épanouissante dont il faut tenir compte.

Pôle emploi et l’économie “Bleue”

Thierry Lemerle, directeur régional Pôle Emploi. DR

Le directeur régional de Pôle Emploi, Thierry Lemerle, est aussi correspondant national pour la prometteuse filière dite “économie bleue”, tout ce qui touche au monde maritime et fluvial. Il sait les besoins importants de main d’oeuvre dans ce secteur. “Avec les décideurs économiques on travaille au niveau national sur les dispositifs de formation que ce soit en Occitanie, en Bretagne ou sur la Côte d’Azur. On essaie de valoriser les métiers en faisant des jobs dating, par exemple. Depuis cinq ou six ans, Pôle Emploi on organise chaque année la Semaine de l’emploi maritime (21-25 mars) avec visios et tables rondes au niveau national. Et dans chaque région des événements locaux : en Occitanie, il y en aura une vingtaine. Et la société Gly sera en première ligne.”

Présélection et des formations sur-mesure

Thierry Lemerle ajoute : “Localement, ces entreprises-là recherche des salariés et des compétences. Soit l’entreprise est autonome, dépose son offre sur notre site et elle a accès à la cvthèque des demandeurs d’emploi ; elle y fait son marché. C’est ce que font tous les sites comme Indeed en recourant à des algorythmes. Mais pour certains métiers ce n’est pas suffisant : elles s’adressent alors à Pôle emploi pour cibler des demandeurs d’emplois avec des compétences compatibles avec les postes à pourvoir. C’est ce qu’on a fait avec Gly : on présélectionne des candidats avec des compétences approchantes ; on lui propose des dispositifs de formation sur-mesure.”

“Une méconnaissance de ces métiers…”

Thierry Lemerle évoque lui aussi une image du nautisme à travailler. “C’est davantage une méconnaissance de ces métiers dont il est question. Quand on passe devant Gly, on ne voit que des hangars. Et quand on entre dans l’univers du bureau d’étude, des concepteurs, des chefs de production, des techniciens et des experts, c’est fabuleux. C’est souvent le même défi, que l’on soit dans l’agriculture, l’aéronautique, l’hôtellerie-restauration… Je suis allé récemment chez un autre leader en Occitanie, Pierre Fabre : la problématique, c’est souvent la méconnaissance des métiers qu’ils offrent.”

“Dépasser les images toutes faites…”

“Ce qu’il faut que l’on arrive à faire, tous ensemble, c’est d’amener des personnes qui ne pensent même pas à postuler dans certains secteurs à franchir le pas : huit fois sur dix, l’entreprise recherche d’ab.ord un savoir-être. En général, l’entreprise sait former. Après, il y a la “loi” des 80-20 : si vous êtes concepteur chez Airbus ou concepteur de moteur chez Safran, il faut avoir fait bac + 25… Mais la plupart des emplois en France, il faut avoir envie, avoir fait une formation et des compétences. On a 500 000 demandeurs d’emplois en Occitanie. Un tiers sont disponibles tout de suite, c’est le flux presque naturel de gens qui sortent d’une entreprise avant d’en intégrer une autre ; un tiers ont des freins périphériques à l’emploi et un tiers se cherchent. Notre travail c’est aussi de dépasser un peu les images toutes faites des métiers à découvrir pour ce dernier tiers. Après, bien sûr, il y a la question des conditions de travail et les salaires.”

Olivier SCHLAMA

Formations : la Région Occitanie met le turbo

Actions de masse, subventions aux entreprises, financement de professionnels en ressources humaines…

Consciente du potentiel des industries nautiques, la Région Occitanie met le turbo (lire ci-dessous). “Chaque année, nous réunissons tous les acteurs de la formation, Pôle emploi, les observatoires, le campus des métiers, etc. pour évaluer les besoins, explique-t-on dans le service concerné. En 2021, nous avons réservé pour 530 000 € dans le cadre d’une action de masse engagée dans des marchés publics pour lancer 123 parcours de formation et former 64 personnes aux métiers du nautisme, de quoi leur apporter un titre professionnel ou une certification en stratification, menuiserie, mécanique, notamment. En 2019, c’était 114 parcours qui ont été ainsi financés et 149 en 2020. En 2022, on sera sur les mêmes volumes.”

Grâce à la Région, 64 personnes ont été formés en 2021

Argelès. Ph. Renaud Dupuy de la Grandrive. Bateaux, Méditerranée, voiliers

En plus de ces formations de masse, la Région Occitanie peut subventionner au cas par cas, entreprise par entreprise, des projet de formation. “On se met autour de la table avec l’entreprise, les organismes de formation, Pôle emploi, la mission locale et on finance une action de formation.”

Un fonds pour aider les entreprises

Pour ces actions, que ce soit dans les industries nautiques ou dans un autre secteur, la région a créé un fonds : Innov’Emploi. Il y a deux projets en cours. L’un avec la société Catana qui concerne 20 personnes à former à des métiers spécifiques comme menuisier et “nous faisons des mises en situation”. La seconde action devrait porter sur des formations en selleries et voileries (qui n’existent pas encore dans les formations de masse). Cela se ferait avec le Greta des P.-O. en formation initiale mais elle s’adresserait aussi à des chômeurs. De plus en plus d’entreprises font appel à nous. Nous avons ainsi expérimenté un DU de gestionnaire de port avec l’Université de Perpignan”.

Accompagnement aux ressources humaines

Ce n’est pas tout. “Nous avons également mis en place une politique d’accompagnement des ressources humaines des entreprises avec un panel d’actions de conseil. Cela peut-être juste pour nous appeler sur un numéro, une sorte de Numéro Vert. On peut aussi financer 50 % de l’intervention d’un professionnel RH, ce qui a été le cas pour GYL, où il a accompagné l’entreprise durant 26 jours pour mettre sur les rails une bonne politique de ressources humaines.” Avant de souligner : “Au-delà de tout ce que nous faisons, la balle reste parfois dans le camp de l’entreprise qui doit se pencher sur sa propre attractivité vis-à-vis des candidats à recruter. Sur les salaires ; les conditions de travail, etc. Qui touche d’ailleurs tous les secteur et plus souvent celui de l’hôtellerie-restauration”, en pénurie chronique de main d’oeuvre…

O.SC.

  • L’emploi salarié dans la filière maritime (source : ACOSS/URSSAF, 2019) :
    – Pour la France entière 262 200 salariés en 2019 (471 000 y compris dans le tourisme*) et 10 600 emplois en Occitanie.
    – Une progression marquée de l’emploi en 2019 : +3,7 % (+2,1 % tourisme compris*)
    – 15 800 établissements (58 000 y compris tourisme*)
    * Le tourisme représente ici l’hôtellerie-restauration dans les zones littorales et les activités et loisirs littoraux.

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