Le prédateur peut-être moins protégé : Pourquoi les associations crient au… loup

Un loup gris.L'un des 1 104 estimés dans l'Hexagone en 2023. Ph. OFB

Le loup, facile bouc-émissaire, selon onze ONG qui lancent une vaste pétition contre le plan national loup du gouvernement et la volonté de l’Europe de réviser le statut d’espèce strictement protégée, ouvrant la possibilité de détricoter la Convention de Berne pour d’autres animaux. Elles plaident pour la cohabitation. À quelques mois des élections européennes, sujet sensible…

Affaire très sensible, hautement symbolique, de la place du vivant sauvage dans la société. Pétition nationale d’ONG – qui ont suspendu leur présence au Groupe National Loup – et cris d’orfraie de leurs responsables face au défi de la cohabitation entre activités agricoles et présence du loup dont le nombre grossit. De 430 en 2018 à 1 104 loups estimés en France en 2023. Ce sont les chiffres officiels de l’Office français de la biodiversité (OFB). Après avoir disparu du paysage français début 1990, le loup est réapparu dans l’Hexagone via les Alpes et l’Italie.

“Appel du 19 mars à une mobilisation de la société”

Un loup, photo Unsplash

Allain Bougrain-Dubourg, président de la LPO, explicite cette mobilisation inédite avec le WWF et France nature environnement : “L’idée, à travers ce nouveau “plan loup” de l’Etat français de sortir le loup de son statut d’espèce strictement protégée à espèce protégée est très grave dans la mesure où ça ouvre la porte à toute forme d’exploitation pour l’avenir. On est suffisamment équipés en droit en France pour tenter de gérer le problème du loup sans le sortir de son statut actuel”.

La consultation publique sur le plan national loup avait pourtant recueilli plus de 97 % d’opinions négatives sur plus de 13 000 contributions tandis-que les experts scientifiques du Conseil national de la protection de la nature avaient émis un avis unanimement défavorable. Ce statut du loup serait ainsi moins protecteur est en effet envisagé par les instances européennes d’ici la fin de l’année. Le nouveau plan loup du gouvernement français est, lui, sorti juste avant le Salon de l’Agriculture. Onze organisations dénoncent le lobby de la FNSEA et lancent “un appel, l’appel du 19 mars à une mobilisation de la société” sous la forme d’une pétition titrée : Le Loup est en danger, aidez-nous à le protéger avec, déjà, près de 8 000 signatures : (WWF, FNE, LPO, UICN, ASPAS, Humanité & Biodiversité, SNPN, SFEPM, Ferus, OPIE, SHF).

La démarche de ce nouveau plan loup vise à “exploser” les meutes ce qui va conduire à rendre ces animaux “incompétents” et donc plus agressifs à l’égard des animaux d’élevage”

Allain Bougrain-Dubourg, LPO

Allain Bougrain-Dubourg poursuit : “Il y a une certaine musique qui ne voit pas d’autre issue que les tirs. Il y a des bergers qui refusent de s’équiper de chiens patou et de mesures de protection. Le niveau de prédation constaté depuis 2017 dans les départements alpins, où le loup est présent depuis 25 ans, reste stable voire en léger recul. Malgré l’augmentation du nombre de meutes. C’est ce que l’on constate sur le terrain. Avec moins de 12 000 brebis (11 500 en 2023, 11 080 en 2017, Ndlr) tuées chaque année en France – et donnant droit à des indemnisations nettement revalorisées – de 5 millions environ. Cela représente 0,2 %. Pour autant, nous comprenons le drame vécu par les éleveurs. Mais la démarche de ce nouveau plan loup vise à “exploser” les meutes ce qui va conduire à rendre ces animaux “incompétents” et donc plus agressifs à l’égard des animaux d’élevage.”

En France, avec ce nouveau “plan loup” en 2024, 209 loups, soit 19 % de la population, pourront être abattus, comme en 2023, par les louvetiers, ces bénévoles assermentés pour cette tâche. Actuellement, la France autorise entre 15 % et 20 % d’animaux abattus sur les 1 104 loups estimés dans l’Hexagone. N’est-ce pas une solution d’urgence face à cette prolifération ? Des loups ont même été aperçus aux portes de Marseille et de certaines agglomérations.

“Depuis les années cinquante, la population humaine a triplé sur Terre, 75 % des vertébrés sauvages, eux, ont disparu”

“On est obligés d’envisager la cohabitation avec les loups. Pourquoi ? On ne va pas réécrire la planète vivante en fonction du bon vouloir des bipèdes que nous sommes. Depuis les années cinquante, la population humaine a triplé sur Terre tandis-que 75 % des vertébrés sauvages, eux, ont disparu. C’est ça le paysage. Dès que l’on voit une espèce revenir – comme le loup – immédiatement on veut l’effacer de la liste du vivant. En plus, le loup joue un rôle considérable à travers notamment la régulation des ongulés sauvages (cerfs, sangliers…) dont on sait très bien que ça pose un énorme problème. Les dégâts de sangliers représentent plus de 80 M€ par an. Quand le loup peut réguler ces populations-là, il joue son rôle. Et à ce titre, il est particulièrement utile.” 

“Quand les meutes sont stabilisées, les agressions envers les brebis d’élevage se réduisent immédiatement…”

Alors, pourquoi cet acharnement envers le loup ? “Le problème c’est que plus on attaquera violemment le loup plus on aura des dégradations à l’égard des brebis en retour. Je m’explique : quand une meute s’installe c’est comme un puzzle ; quand elle a trouvé son territoire, immédiatement les portées sont beaucoup moins nombreuses alors que lorsque l’on tire sur de jeunes loups et une meute, on la déstabilise. Cela va laisser le champ libre : les jeunes vont chercher un autre territoire où s’installer ; ils sont inexpérimentés ; ils n’auront pas fait l’apprentissage des enclos électriques, des patous, etc. Et ce sont eux qui provoquent ces agressions envers les brebis. Et on voit que quand les meutes sont stabilisées, les agressions envers les brebis d’élevage se réduisent immédiatement. Et se focalisent sur les ongulés sauvages. Par ailleurs, n’oublions pas qu’il y a l’effet des chiens errants. Il y a quelques semaines, dans le Tarn-et-Garonne, 135 brebis ont été tuées par des chiens errants et non pas par des loups.”

Indemnisations revues à la hausse

constat d’une prédation. P.Massit ONCFS

Le plan national d’action a-t-il fait l’objet d’une concertation avec les ONG ? “Oui, mais les recommandations des associations n’ont pas été prises en compte. Le conflit est clair.” Allain Bougrain-Dubourg propose de rester “en l’état”. De poursuivre l’accompagnement avec des patous, continuer à poser des barrières électriques de protection, que l’État accompagne financièrement  les bergers qui bénéficient, par ailleurs, d’indemnisations revues à hausse (+ 30 %) et d’un  “volet protection” de ce nouveau plan loup qui ouvre droit à une enveloppe de 2,5 M€ de 2024 à 2029. Et à l’utilisation de drones pour effaroucher le loup et d’un dispositif utilisant des phéromones.

Dans un contexte d’élections européennes

“Dans la nuit du 4 septembre 2023, Ursula von der Leyen a fait une déclaration surprise, a retracé Yann Laurans, directeur des programmes au WWF, qui appelerait les pays de la Communauté européenne à revoir le statut de protection du loup, représentant à ses yeux un danger économique et pour la santé des humains. On a compris que nous sommes dans un contexte d’élections européennes… Or, la réalité est bien plus complexe que cela (lire ci-dessus).” Le loup est ce que l’on appelle une espèce parapluie. Le super prédateur se situe en tête de la chaîne alimentaire et est un régulateur naturel d’autres espèces. “Si on révise le statut du loup, dans le cadre de la Convention de Berne, cela ouvrira une boîte de Pandore qui pourra concerner d’autres espèces.” La lecture de ce spécialiste est de dire que cela amènerait à réviser la directive européenne faune/flore dans un contexte politique européen qui peut changer…”

“Nous avons un devoir de cohabitation quelles que soient les espèces”

traces Entraigues. Ph. S.Jendoubi.PNE

Pour les responsables des ONG, “seuls 55 départements sont concernés par la présence du loup et seulement 20 ont une meute sur leur territoire et la plupart des 1 104 loups sont présents dans le Sud-Est de la France et l’ensemble de cette population n’a pas atteint le seuil de viabilité”.

Allain Bougrain-Dubourg pour la LPO a insisté : “Le problème du loup illustre notre rapport au vivant. Nous avons un devoir de cohabitation quelles que soient les espèces”, dit-il, avant de pointer les incohérences du camp d’en face, les chasseurs, qui “demandent des quotas par massif, estimant que les loups sont leurs concurrent et qui, chassant les sangliers, les envoient dans les villes. C’est n’importe quoi ! Oui, il y aura peut-être un jour des loups dans toute la France.”

Mais le problème de l’élevage, ont renchéri d’autres intervenants, ce n’est pas le loup, facile bouc-émissaire, mais “les accords de libre-échange avec la Nouvelle-Zélande ou l’Australie… On importe ainsi 35 000 tonnes de denrées alimentaires à des prix divisés par deux contre des biens manufacturés. Et ce sont nos bergers qui subissent cette prédation économique.”

Les tirs envers le loup ne sert à rien. C’est populiste. Pourquoi les Espagnols ont-il interdit la chasse au loup en 2021…? Parce que les tirs créent davantage de problèmes que cela en résout (…) On monte les gens les uns contre les autres”

Jean-Michel Bertrand, réalisateur

Le réalisateur Jean-Michel Bertrand, présent également, a lancé ce plaidoyer sorti du fond du coeur : “L’État a laissé prospéré de faux discours affirmant que le loup est responsable de la crise de l’élevage. C’est faux. La coexistence est possible. Nous défendons une 3e voie.. Le loup est un sujet éminemment politique, instrumentalisé par une idéologie réactionnaire qui affirme qu’il faut éliminer les prédateurs ; on élimine ainsi 500 000 à 600 000 renards par an… pour rien ! Or, le loup a son rôle ! Et les tirs envers le loup ne servent à rien. C’est populiste. Et c’est une position tenue par une minorité de gens qui mettent une telle pression…”

Il ajoute : “Pourquoi les Espagnols ont-il interdit la chasse au loup en 2021…? Parce que les tirs créent davantage de problèmes que cela n’en résout (…) On monte les gens les uns contre les autres”, dénonçant la nuisance “des réseaux sociaux maintenant un dangereux entre-soi. Cela dit quelque chose d’important de l’état de notre société”. “Il y a des solutions de coexistence, a renchérit un membre de l’association Ferus. Dans le Jura, par exemple, nous avons eu l’aide de 80 “éco-bénévoles” pour garder cinq élevage la nuit. Rien que la présence humaine a permis qu’il n’y ait aucune prédation…”

Quinze à vingt loups en Occitanie

En Occitanie, explique Julien Steinmetz, directeur unité grands prédateurs et animateur du réseau de suivi du loup à l’OFB Occitanie, “on est sur un front de colonisation du loup. Un secteur où des individus, en très grande majorité des mâles, se sont installés de manière isolée. Et, depuis 2022, nous avons eu la première reproduction renseignée en Lozère. Une meute s’y est reproduit cette année-là. Et en 2023. Cet hiver, le loup est toujours présent.”

Et l’estimation du nombre d’individus en Occitanie ? “On estime une dizaine de loups isolés plus cette meute donc avec des jeunes qui sont nés en 2022 et 2023 mais on ne sait pas si ces jeunes sont restés ou pas dans notre région. Ou s’ils ont survécu. En Aveyron, poursuit-il, on a eu une reproduction en 2022. Mais, suite à cette naissance, nous n’avons plus eu de traces de la meute. On ajuste trouvé un louveteau mort. On a remarqué une présence ponctuelle d’un loup sur le Larzac. Au total, on estime la populations de 15 à 20 loups en Occitanie.”

Olivier SCHLAMA

  • (1)  Cédric Marteau, de la LPO, a souligné que “cette méthode, qui ne produit que des estimations, effectuée par des bio-statisticiens est la meilleure et la plus fiable. Elle est, certes, remise en cause par les chasseurs, notamment, mais elle a fait ses preuves”. Ils voudraient en changer pour faire accroire que le loup pullule. “Or, c’est la même méthode – qui se réfère à des captures photos automatiques, traces d’ADN, crottes, poils, etc.- qu’utilise le Muséum d’histoire naturelle ou le CNRS. Le Conseil national de la nature a été saisi mais on devrait garder cette méthode, au risque de perdre 20 ans de données.”

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