La Cour des comptes : “Le soutien à l’aéronautique doit être pérennisé” mais…

Airbus, moteur du développement économique toulousain est la vitrine de l’économie locale, centre industriel majeur en France et en Europe. Après avoir arrêté sa production pour s'adapter, le secteur est reparti de l'avant. Photo : DR.

L’Occitanie est la première région aéronautique de France. Faite d’une constellation de PME et d’une poignée de donneurs d’ordres. L’Etat et la Région Occitanie ont limité les dégâts de la crise en sortant le chéquier et doivent continuer à le faire, selon la Cour des comptes et la Chambre régionale. Mais il y a encore des freins à lever pour que la filière se modernise.

Deuxième puissance au niveau mondial derrière l’industrie US, la filière aéronautique française représentait, en 2019, un secteur hautement stratégique pour l’économie nationale. Très fortement exportatrice avec 64 milliards d’euros de ventes à l’étranger en 2019 (!), cette industrie, dont Toulouse est une place forte, a vu sa dynamique de création d’emplois cassée par la crise sanitaire et l’arrêt brutal du transport aérien. La réaction et le soutien publics ont suppléé, comme Dis-Leur vous l’a expliqué ICI.

Une enquête sur l’aéronautique à la demande du Sénat

Dans ce contexte, les magistrats  de la Cour des comptes ont enquêté, à la demande de la commission des finances du Sénat, sur les mesures de soutien mises en place en réponse à la crise. Elle a été menée avec trois chambres régionales des comptes (Nouvelle-Aquitaine, Pays de la Loire et Occitanie, la Cour examinant directement la situation en Île-de-France). A l’issue, la Cour a formulé trois axes de recommandation pour arriver à transformer structurellement la filière : “Favoriser la consolidation des entreprises du secteur, accompagner dans la durée les mutations des compétences professionnelles et accélérer la décarbonation de la filière.”

“Soutien public important à l’aéronautique”

Le rebond de la filière est “facilité par son organisation verticale, pilotée par quelques grands donneurs d’ordres (au premier rang desquels Airbus), réunissant un ensemble d’équipementiers et de sous-traitants. La structuration de la filière s’accompagne d’une spécialisation géographique des territoires, avec au premier rang les régions Occitanie, Île-de-France, Nouvelle-Aquitaine, Provence-Alpes-Côte d’Azur et Pays de la Loire” , rappelle la Cour des comptes. Et pour préserver la compétitivité et l’excellence du secteur, “un soutien public important a été constamment apporté, notamment en matière de gouvernance, de financement du développement industriel et de l’innovation, ainsi que d’appui à l’exportation”.

7,2 milliards fin 2021, dont 2 milliards d’aides directes

Et les magistrats de relever : “En complémentarité avec les mesures transversales – notamment l’activité partielle et les prêts garantis par l’État -, le soutien de crise ciblé sur la filière (en particulier l’assouplissement des conditions de l’assurance-crédit-export et l’anticipation de commandes) a permis aux entreprises concernées de résister à la crise. Au total, sur les 8,1 milliards d’euros affichés en juin 2020 dans le cadre du “plan aéronautique”, environ 7,2 milliards d’euros auront été engagés à fin 2021, dont 2 milliards d’euros d’aides directes. Les régions sont également intervenues, dans le cadre d’un soutien général aux entreprises de leur territoire ou plus ciblé sur le secteur aéronautique. La Cour estime à un peu plus de 110 M€ le montant des interventions régionales qui s’est ajouté à celui de l’État.”

Une meilleure performance “devient cruciale”

Alors que va devenir cette filière hautement stratégique qui n’est pas encore sortie de la crise ?  La Cour attire l’attention à l’exigence de “transformations rapides” du modèle (…) Et : “La recherche d’une meilleure performance industrielle et économique devient encore plus cruciale avec l’arrivée de concurrents émergents (parmi lesquels les constructeurs chinois).” Il faudra savoir attirer et garder les “talents” et s’adapter à l’aviation du futur avec des “solutions de rupture”.

Dimension européenne et internationale

Y compris la décarbonation de la filière pour laquelle on a vu la hausse des aides à la recherche ou la mise en place d’un fonds de modernisation accompagné d’un fonds de consolidation. La guerre en Ukraine et l’instabilité politique au coeur de l’Europe montrent la nécessité évidente d’une indépendance énergétique. Pour la Cour, cet engagement du privé et du public doit “être poursuivi” et doit comporter “une dimension européenne et internationale, pour permettre l’avènement de cette nouvelle aviation dans un cadre concurrentiel équitable”.

87 000 salariés en Occitanie en 2019

En Occitanie, l’industrie aéronautique est aussi hautement stratégique. Dans une vision élargie de la filière aéronautique et spatiale, elle employait plus de 87 000 salariés en 2019. Soit près de 40 % des emplois industriels régionaux et 3,5 % de l’emploi salarié. La filière était à l’origine de 8 % du PIB régional et de 70 % des exportations occitanes (42,2 Md€). C’est dire son poids !

Poignée de donneurs d’ordres, constellation de PME

D’autant que le tissu d’entreprises dans notre région se caractérise par la présence de grands donneurs d’ordre (Airbus, Safran, Daher, ATR) avec des effectifs concentrés dans le territoire de la métropole toulousaine qui rassemble un tissu riche et diversifié d’entreprises. Mais, surtout, les entreprises de moyenne et petite taille (TPME) représentent 67,4 % des entreprises de la filière aéronautique et spatiale. Le Tarn-et-Garonne, le Lot, l’Aveyron et les Hautes-Pyrénées comportent des bassins d’emploi aéronautiques.

Plan de soutien de 90 M€ de la région Occitanie

Tout en aidant le secteur en urgence, l’État et la région Occitanie ont lancé plusieurs plans pour accompagner la reprise. Ainsi, dans le cadre du plan de relance national, 74 projets régionaux sont lauréats du fonds étatique de modernisation et de diversification, bénéficiant de près de 22 % des aides attribuées (63,3 M€). La région Occitanie a également adopté un plan de soutien au secteur aéronautique et spatial en juillet 2020 avec une enveloppe de 90 M€. Sachant que l’avenir de la filière dépend de sa capacité à innover (agro-carburants, hydrogène, numérique et robotique). L’avion “vert” doit aussi être compétitif !

“La reprise devra s’accompagner d’une réflexion sur la restructuration de la filière…”

Les magistrats en concluent : “Progressive, la reprise devra s’accompagner parallèlement d’une réflexion sur l’évolution de l’organisation et de la structuration de la filière.” En effet, on assiste à un meilleur accompagnement et à la consolidation des sous-traitants. La chambre régionale des compte relève cependant des “freins” à lever : les mauvaises trésoreries de nombreuses entreprises du secteur ; des choix stratégiques à préciser… Les magistrats relèvent : “La diversification des activités, la modernisation de l’appareil de production grâce au numérique et à la robotique, l’innovation vers des énergies moins polluantes constituent plus généralement de véritables défis pour les entreprises de la filière.”

Certes, des financements existent. Mais il faudra faire des efforts de coordination des acteurs. Enfin, “l’association de plusieurs entreprises sur un même projet permet de mutualiser les connaissances et les moyens et pourrait favoriser l’émergence de nouveaux débouchés”.

Olivier SCHLAMA

(1) L’État a déployé, entre mars 2020 et septembre 2021, 498,2 M€ d’aides, dont un peu plus de 39 % sous forme de garanties au titre des PGE. L’activité partielle a été largement mobilisée dans la filière : 17,1 millions d’heures d’activité partielle ont été indemnisées pour un coût de 227 M€ entre mars 2020 et mai 20211, dans 424 établissements, soit 10,6 % du total de l’activité partielle en Occitanie. Certains salariés ont pu bénéficier de formation pendant les heures non travaillées indemnisées.
Cependant, la mise en place de plans sociaux et les incertitudes sur les perspectives professionnelles dans le secteur de l’aéronautique risquent d’affecter son attractivité. L’endettement des entreprises, déjà élevé avant la crise, s’est accru par le recours massif aux prêts garantis par l’État (PGE). Les entreprises de la filière aéronautique occitane ont bénéficié de 195 M€ de prêts garantispar l’État, soit 49,4 % du total des PGE accordés aux entreprises de la filière au niveau national (395 M€). Leur remboursement soulève des enjeux de solvabilité à court terme et de rentabilité et de capacité d’autofinancement à moyen terme.

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