(Mis à jour le 10 octobre avec la partie sur l’Occitanie). Un quart des Français sont directement concernés par le risque d’inondation, idem en Occitanie. Gestion des cours d’eau simplifiée, indemnisation plus juste, davantage de moyens… Un récent rapport du Sénat propose de ne plus penser lutte contre les inondations mais adaptation au réchauffement climatique, avec trois idées force : simplification administrative, solidarité entre les territoires et résilience.
Alors que le retour des inondations, de Marseille aux Ardennes et que se multiplient les alertes météo, ce rapport tombe à pic. Co-auteur avec Jean-Yves Roux (Paca, centriste) d’une mission parlementaire qui vient de rendre ses conclusions, le sénateur Jean-François Rapin (Arras, LR) s’inquiète “pour le futur”, alors que la France est de nouveau traversée par de fortes intempéries.
Vingt propositions pour alimenter une possible loi
“Je connais des habitants du Pas-de-Calais qui ont refait trois fois leur maison, à la suite d’inondations, a-t-il dit lors de la restitution de ce rapport qui crève des abcès. Jusque-là, les assureurs indemnisent mais la relation avec les assurés peut être amenée à se dégrader… Il y a toujours des problèmes d’indemnisation, notamment à cause des expertises qui sont longues. Mais, ce que je crains, c’est le futur…” Si ces mêmes inondations catastrophiques s’inscrivent dans la durée. C’est pour cela que ces propositions doivent déboucher “sur une loi”, espèrent les deux sénateurs qui sont en en étroit avec la sénatrice des Hauts-de-Seine, Christine Lavarde, autrice d’une proposition de loi visant à moderniser la loi sur les indemnisations liées aux catastrophes naturelles.
Inondations dramatiques l’hiver dernier

L’année 2023 et le début de 2024 ont été marqués par des inondations aux conséquences humaines et matérielles dramatiques dans plusieurs départements, notamment dans le Pas-de-Calais (640 M€ de dégâts), le Nord, la Charente-Maritime, la Charente, les Alpes-de-Haute-Provence et les Hautes-Alpes. En d’autres temps ce furent l’Aude, le Gard et l’Hérault qui ont payé de lourds tributs, comme Dis-Leur vous l’a expliqué ICI.
Mission de contrôle du Sénat
En déplacement dans le Pas-de-Calais le 4 décembre 2023, le président du Sénat, Gérard Larcher, avait évoqué l’opportunité d’un contrôle sénatorial pour examiner les moyens à déployer pour améliorer la gestion de crise et la prévention des inondations, ainsi que mieux prendre en compte les sinistrés sur le volet de l’indemnisation. Une mission conjointe de contrôle a été confiée à la commission des finances et à la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable.
Des pompiers aux moyens insuffisants
Cette mission sénatoriale s’imposait, comme l’a expliqué le sénateur Jean-François Rapin. “Nous avons mené 37 auditions et 1 135 élus communaux ont joué le jeu de notre consultation en ligne. Ce qui nous a permis de faire un état des lieux d la gestion de ces intempéries au niveau national et de proposer 20 recommandations pour la politique de lutte contre les inondations, repenser la prévention jusqu’à la gestion des indemnisations.”
Avance de trésorerie, réforme de la taxe Gemapi

Et d’enchainer tout de go : “De nombreux élus nous ont indiqué qu’il manquait des moyens de pompage lourd et des capacités héliportées ; qu’il fallait redéployer les moyens de secours des pompiers… En fait, il faut avoir une vision élargie de la gestion de crise”, a résumé Jean-François Rapin, tout en n’éludant pas la question financière, proposant “qu’une avance de trésorerie puisse être instituée” et qu’un fonds de péréquation soit créé pour davantage de solidarité financière : l’actuelle taxe Gemapi, Gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations, n’est pas satisfaisante, se fondant notamment sur le nombre d’habitants, ce qui désavantage les villages au profit des grandes villes frappées “d’une double peine”. Or, il faudrait une “vraie solidarité amont-aval.”
3 500 communes concernées
De son côté, Jean-Yves Roux précise “qu’un quart des Français sont exposés à un risque d’inondation et 85 % des communes ont au moins l’un de leurs citoyens habitant en zone inondable”. Et quelque 3 500 communes sont concernées (lire ci-dessous). Et ce n’est pas près de s’arranger avec le “dérèglement climatique”. Il pointe “trois priorités” : “Le renforcement des solidarités entre territoires” ; “la simplification de l’action publique” et “faciliter l’adaptation au réchauffement climatique”. Idem en Occitanie où 1,6 million de personnes sont soumises à ce risque, selon l’Insee.
L’Occitanie en tête des régions françaises
L’institut qui a réalisé cette enquête avec l’ARS, confirme que “l’Occitanie, une région très exposée à tous les types d’inondation. Les inondations représentent un danger pour la sécurité des personnes. En témoignent les crues historiques qui ont provoqué 14 décès dans l’Aude en octobre 2018 et 22 dans le Gard en septembre 2002. Aux victimes directes s’ajoutent de nombreux dégâts matériels. L’Occitanie est la région française où les coûts cumulés des dommages liés à des inondations sont les plus importants sur les deux dernières décennies.”
L’Occitanie est une région particulièrement vulnérable aux inondations. “Elle est en tête des régions françaises en matière de coûts cumulés des dommages liés à ces catastrophes. Entre 1995 et 2019, ces coûts atteignent 3,9 milliards d’euros pour la région, soit une moyenne de 154 millions d’euros par an. L’Occitanie et la région Provence-Alpes-Côte d’Azur représentent la moitié des 14 milliards d’euros de coûts cumulés dus aux inondations en France sur la même période. Cette forte exposition s’explique par des facteurs géographiques et climatiques associés aux divers types d’inondations auxquels la région est exposée : débordements de cours d’eau, submersions marines, ruissellements, remontées de nappes phréatiques et risques de rupture de barrage.
Urbanisation intense du littoral
“Ainsi les épisodes cévenols, caractérisés par des pluies intenses et soudaines, sont fréquents dans le Gard et l’Hérault ainsi qu’en Lozère et dans l’Aveyron et peuvent causer des débordements de cours d’eau rapides et destructeurs. La façade méditerranéenne est soumise également au risque de submersion marine. De plus, l’urbanisation intense du littoral contribue à l’augmentation des dégâts matériels. Trois départements littoraux concentrent à eux seuls 74 % des coûts régionaux liés aux inondations sur la période 1995-2019 : 35 % pour le Gard, 20 % pour l’Hérault et 19 % pour l’Aude.”
Simplification administrative, accompagnement des petites communes

Consciente des difficultés, la commission sénatoriale va plus loin. Exemple, face à des rivières pas assez entretenues : “La gestion des cours d’eau doit être simplifiée ; il y a encore des maires qui ne savent pas quoi faire face à des embâcles ; il existe aussi des procédures d’intervention complexes et lourdes à mettre en oeuvre. Il faudrait que l’Etat redouble dans son effort d’accompagnement” surtout pour des petites communes qui n’ont pas de spécialistes dans leurs services et que l’on “mette en place une procédure d’instruction accélérée : il faut que ce soit les maires ou les président d’agglo qui puissent le faire facilement avec la validation du préfet”.
Passer de la lutte à l’adaptation
Il s’agit aussi de pouvoir sereinement agir préventivement ; de pouvoir facilement reconstruire des ouvrages de cours d’eau. Et de dénoncer toutes sortes de “lourdeurs administratives” comme le Papi (Programme d’actions et de prévention des inondations). Il faut sept ans pour réaliser un Papi !” Les deux coauteur prône la mise en service d’un “guichet unique”. “Gouverner, c’est prévoir. Face à l’intensification des inondations, il faut changer de logique.” Passer de la lutte à l’adaptation : “Repenser les modes de constructions, par exemple, pour qu’elles soient résilientes : penser au pilotis, à la surélévation des structures autoroutières, etc.” Et créer des zones d’expansion de crues…
Olivier SCHLAMA
Plus de 100 milliards d’euros de dégâts d’ici 2050
Durant ces 40 dernières années, les inondations ont représenté plus de la moitié des reconnaissances d’état de catastrophe naturelle en France, touchant environ 3 500 communes par an. 18,3 millions de Français résident et travaillent dans des zones exposées aux inondations du fait d’un débordement de cours d’eau (26,8 % de la population française). À l’horizon 2050, la sinistralité moyenne annuelle des inondations pourrait augmenter de 6 % à 19 % et celle des submersions marines de 75 % à 91 %.
Ardèche, Aude, Var…

La progression de l’aléa climatique et la concentration des logements et des entreprises dans les zones inondables devraient ainsi conduire à une augmentation de près de 85 % du coût des sinistres provoqués par des inondations et la submersion marine, passant ainsi de plus de 56,4 milliards d’euros entre 1989 et 2019 à 104 milliards d’euros entre 2020 et 2050.
Les phénomènes météorologiques extrêmes de l’automne 2023, puis de janvier 2024 sont venus rappeler la réalité de ce risque. Plusieurs centaines de communes du Nord, du Pas-de-Calais, des Alpes-de-Haute-Provence, de l’Ardèche, de l’Aude, de Charente-Maritime, de Corse-du-Sud, du Finistère, de Loire-Atlantique et du Var ont été reconnues en état de catastrophe naturelle. Face à l’ampleur et à l’accélération de ces phénomènes, la question de l’adaptation du financement de la prévention des risques (taxe GEMAPI, fonds Barnier…) et de l’indemnisation des victimes se pose.
Olivier SCHLAMA
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