Voie Domitienne : Un tronçon de “l’autoroute romaine” retrouvé à Loupian !

La mise au jour de la voie Domitienne à Loupian. Des fouilles menées par Cécile Jung. Photo : Inrap

À dix kilomètres à peine de Sète un tronçon de la doublement millénaire antique Voie Domitienne, en “état remarquable”, a été exhumé par les archéologues de l’Inrap. “Elle a servi activement à l’essor de Narbonne et de Nîmes durant cinq cents ans, entre Arles et l’Hispanie (l’Espagne) et aux voyageurs, marchands…”

Incommensurable, l’héritage romain perdure depuis l’antiquité dans notre région. Une preuve récente : le projet de sécurisation des besoins en eau, qui prend la forme d’une énorme conduite hydraulique souterraine de 100 kilomètres de long, entre Montpellier et Narbonne, posée par la société nîmoise BRL, la compagnie du Bas-Rhône, a été baptisée d’un doux nom romain : Aqua Domitia comme Dis-Leur vous l’a expliqué… Ce gros tuyau serpente sous l’antique Voie… Domitienne. Parallèle à la Voie Domitienne, l’A 9 n’en est-elle pas, réactualisée, la réplique bitumée…?

À deux mille ans de distance

Voie Domitienne Loupian. Fouilles menées par Cécile Jung. Photo : Inrap

Légèrement à l’intérieur des terres, à hauteur de Loupian, également connue pour son ancestrale Villa, à dix kilomètres à peine de Sète-la-jeune à peine âgée de 350 ans, Voie Domitienne et Aqua Domitia, construites à 2 000 ans de distance, longent la Méditerranée. On n’a rien inventé ! Le chemin le plus court étant la ligne droite, les Romains l’ont vite compris. “Il y a une certaine pérennité”, confirme Cécile Jung, qui dirige pour l’Inrap les recherches menées en novembre 2020, dont l’ampleur de ce tronçon a été révélée il y a quelques semaines.

De gros blocs de pierre calcaire in situ et du sable

Depuis le Sud de la Gaule, tous les chemins mènent à Rome ! Ce tronçon de Voie Domitienne se situe en pleine et sauvage garrigue  et file vers ce qui s’appellera d’un côté l’Occitanie, de l’autre Paca. “Malgré la renommée de la Voie Domitienne, son tracé exact n’était pas connu partout et peu de fouilles avaient été réalisées“, précise Cécile Jung. Ce sont les légions romaines ont effectué ce travail d’évergétiste. Un travail de… Romain ! Des milliers d’hommes, se sont affairés à l’époque pour construire ce tronçon de Voie Domitienne, avec de gros blocs de pierre calcaire trouvés in situ et certains concassés sur place ; avec du sable provenant de carrières que l’on situe non loin de là, vers Poussan.

Les archéologues ont mis au jour une voie “complexe”

Voie Domitienne Loupian. Fouilles menées par Cécile Jung. Photo : Inrap

Pour bâtir cette voie de façon bien solide, la terre avait été bien nivelée et stabilisée avec des “couches de préparation. Tout commence par une saignée sur la largeur future de la voie pour pouvoir ensuite asseoir ces bordures, ces radiers de construction, etc. Ce n’est qu’ensuite que se superposent les couches qui servent de chaussée. On a pu mettre en évidence au moins trois chaussées successives remises en état régulier. De part et d’autre de cette voie principale, il y avait des bas-côtés moins bien solidement réalisées, avec des ornières.” Ceux-servaient à s’écarter quand les légions fonçaient sur la chaussée principale. “C’est une voie complexe que nous avons mise au jour”.

“Surpris par l’envergure et le soin apporté”

Ce tronçon a été mis au jour par les archéologues de l’Inrap agissant pour le compte de la Drac Occitanie (Direction régionale des affaires culturelles), préalablement à l’enfouissement de cette conduite d’eau de BRL. Les fouilles se sont concentrées sur 1 500 m2 de ce tronçon rural, à Loupian.Nous avons été surpris par son envergure et le soin que les Romains avaient apporté à cette voie domitienne”, précise Cécile Jung.

Voie Domitienne Loupian. Fouilles menées par Cécile Jung. Photo : Inrap

“Sa qualité est remarquable. Les archéologues ont l’habitude d’une Voie Domitienne de 10 mètres à douze mètres de large. Là, c’est bien davantage : 18 mètres !” Ces largeurs importantes de chaussée ont été mises en évidence dans la région pour des endroits particuliers ; c’était sans doute une manière ostentatoire d’arriver en ville. “Comme à Marinesque, au niveau d’un ancien relai à Loupian, donc ; idem sur un relai du côté de Castries, à Mas de Roux ; et à l’entrée de Nîmes…”

Elle a servi activement à l’essor de Narbonne et de Nîmes durant cinq cents ans, entre Arles et l’Hispanie (l’Espagne) aux voyageurs, marchand…”

Cécile Jung, de l’Inrap

La voie domitienne est un aménagement antique reliant ce qui allait devenir l’Espagne et l’Italie. Elle est attribuée à Domitius Ahenobarbus, un pro-consul en 118 avant JC. Avant ce tracé avait sans doute, avant les Romains, été emprunté par Hannibal le Carthaginois pour son expédition guerrière en Italie… Cette voie telle que les Romains nous l’ont léguée date de la fin du IIe siècle avant notre. “Elle a servi activement à l’essor de Narbonne et de Nîmes durant cinq cents ans, entre Arles et l’Hispanie (l’Espagne) aux voyageurs, marchands ; aux passages des armées et aussi au cursus publicus”, le service postal de l’époque avec “facteurs” à cheval. “C’est probablement une voie plus ancienne (1) qui a dû être utilisée.”

Les Romains bâtissent une voie pérenne

Voie Domitienne Loupian. Fouilles menées par Cécile Jung. Photo : Inrap

Il y eut aussi précédemment à cet emplacement une voie proto-historique employée par le Carthaginois Hannibal pour ses expéditions en Italie mais les Romains ont vraiment bâti une voie “pérenne“. “Cette même voie a aussi pu en certains endroits continuer à être utilisée au-delà de ce demi-millénaire. Certaines voies adjacentes construites aussi par les Romains à cette époque qui reliaient des bourgs plus petits que les grands centres urbains et qui sont toujours utilisées aujourd’hui vers des agglomérations secondaires qui pré-existaient. Il s’agit de chemins ruraux encore actifs avec assiduité des relais comme Ambrussum. “En revanche, la Voie Domitienne n’a pas structuré l’habitat. Les villas, par exemple, se tiennent à distance de cette voie.”

La Rome antique avait créé d’innombrables veines pavées comme cette voie domitienne pour mieux relier les territoires conquis comme ceux de l’Hispanie aux Carthaginois et lancer sur ces voies des marchands et des armées rapidement.

Olivier SCHLAMA

Cette voie existait depuis plus longtemps…

Un habitant d’Agde, Dominic Vallières, vient de soutenir justement une thèse le 11 mai dernier à l’université… Via Domitia de Perpignan, titrée Rome et la Gaule Transalpine occidentale, du passage d’Hannibal au contrôle intégral de l’accès terrestre à l’Espagne. “C’est une voie terrestre très importante car elle permit de sécuriser les transports entre Espagne et Italie : par voie maritime, c’était parfois très compliqué dans le Golfe du Lion à cause de la tramontane et des vents marins…”, explique Dominic Vallières.

Un vrai “pont terrestre” entre Espagne et Italie

Que dit-elle ? Voici un résumé de la thèse qui ne sera rendue publique qu’en 2024 : “Située dans le Midi de la France actuel, la Gaule Transalpine occidentale fut l’objet de convoitises de la part des Carthaginois et des Romains à partir des premiers temps de la deuxième guerre punique (218-201 ). La région est de fait un véritable pont terrestre entre l’Espagne et l’Italie. Cette situation constitua un facteur de risque pour Rome tout au long de la guerre et entraîna son intervention en Espagne à la suite du passage d’Hannibal en Gaule Transalpine.”

Convoité par les Romains

Voie Domitienne Loupian. Fouilles menées par Cécile Jung. Photo : Inrap

Et de poursuivre : “Après l’expulsion des Carthaginois d’Espagne en 206, l’accès terrestre entre l’Italie et ce territoire fut convoité par les Romains désireux de sécuriser les communications avec leurs nouvelles possessions d’Espagne, transformées en provinces en 197. Les sources littéraires à notre disposition sont peu nombreuses, mais suffisamment explicites en ce qui concerne cet état de fait contesté par de nombreux historiens depuis le XIXe siècle. Associant histoire, archéologie, géologie et science maritime, cette étude permet de considérer sous un nouveau jour l’histoire de la Gaule Transalpine occidentale avant la date de 121, longtemps considérée comme point de départ de l’entreprise romaine sur ce territoire.”

Une première mention par l’historien Polybe

De plus, dans son pré-rapport de thèse, Stéphane Mauné Directeur de recherche au CNRS UMR5140 “Archéologie des sociétés méditerranéennes” LabEx-Archimede Montpellier, souligne : “La problématique traitée dans cette thèse est celle de l’intérêt de Rome pour la Gaule Transalpine, antérieurement à la conquête de 118 av. J.-C., qui se manifeste au moment de et après la seconde guerre punique, en raison de sa position de pont terrestre entre l’Italie et l’Espagne.”

Il ajoute : “Examinant l’ensemble des sources littéraires disponibles et proposant un large examen de cette question historiographique, l’auteur analyse en détail les raisons et motifs qui ont poussé Rome à contrôler de façon précoce ce territoire. Le point de départ de l’étude est constitué de la mention par Polybe d’un premier bornage, fixé aux alentours du milieu du IIe s. av. J.-C., de l’axe terrestre qui allait, en 118 av., devenir la Voie Domitienne.”

Et de conclure : “L’idée de partir de cette question controversée est intéressante et fixe d’emblée l’ambition de ce travail qui est de se pencher sur une question historique difficile. Dominic Vallières (…) prend position pour l’authenticité du texte de Polybe puis aborde dans le second chapitre de cette première partie l’exposé des données de la seconde guerre punique et en particulier le passage d’Hannibal en Gaule Transalpine, à la fin du IIIe s. av. J.-C.”

O.SC.

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