A 15 kilomètres de Nîmes, s’étend un poumon vert sur 8 500 hectares : le Bois des Lens. C’est là, à Moulézan, que Total Energies veut ériger un parc de cinq éoliennes de 150 mètres de haut. La grande majorité des élus sont défavorables au projet qui sera soumis à enquête publique en septembre. Et ce, alors que le même collectif d’habitants avait déjà gagné la bataille juridique pour un précédent projet au même endroit. Sauf que les temps changent : les éoliennes sont devenues l’alfa et l’oméga de la lutte contre le réchauffement…
C’est une forêt méditerranéenne typique qui a déjà réchappé jadis à un projet similaire nécessitant un “joli” déboisement… Cible d’un revendeur national d’énergies, et maintenant de vent (Total Energies), on l’appelle joliment Bois des Lens mais l’appellation le sous-estime. Il s’agit d’un vrai massif de 8 500 hectares – plus étendu que l’étang de Thau, avec “une riche faune et flore” en son sein.
Ce que confirme Laurent Burgoa. Sénateur LR du Gard, il dit : “Je suis très favorable aux énergies renouvelables ; mais je suis contre ce projet qui va défigurer le Bois des Lens. Il va falloir défricher une grande zone d’au moins 200 hectares ; l’éolien défigure contrairement au photovoltaïque ; je suis d’ailleurs favorable à un projet de ce type de Total Energies, à Tavel.”
Enquête publique du 26 septembre au 27 octobre
Comme l’explique Total Energies (le projet local est porté par une filiale, la SARL Puech Peyron), ce parc de cinq éoliennes de 150 mètres de hauteur chacune, est projeté sur un terrain communal, produira 35 GWh d’électricité verte, soit l’équivalent de la consommation électrique annuelle de près de 16 000 personnes.
Ce projet s’inscrit dans le cadre de la loi Energie et Climat de 2019, expliquent ainsi ses promoteurs. Ces derniers espèrent que le commissaire-enquêteur – c’est ainsi que se nomme le personne désignée qui va réunir les avis autour du projet et émettre un avis favorable ; défavorable ou favorable avec réserves. Cet avis n’est que consultatif : le préfet pourra in fine faire ce qu’il veut. Le dossier sera soumis donc à enquête publique, ouverte dans la commune de Moulézan, du 26 septembre au 27 octobre prochains.
“Contexte national favorable à de plus en plus d’éolien…”
La plupart des élus locaux sont contre le projet d’éoliennes dans le Bois des Lens. “Le maire le plus directement concerné est celui de Montagnac, la commune voisine de Moulézan, par exemple”, souligne Thierry Caugne. Ce dernier, ex-prof d’anglais à la retraite, préside le collectif pour la préservation du Bois des Lens réunissant une dizaine d’associations locales. Il poursuit : “Parmi les élus défavorables, il y a aussi Serge Rouvière, qui préside le SIVU Leins-Pignède, un syndicat intercommunal qui gère la DFCI sur le bois des Lens. Sont également signataires d’un courrier des maires à la préfète du Gard : Françoise Laurent-Perrigot (PS), présidente du département, Laurent Burgoa (LR), sénateur et M Sala (LFI) député. L’opposition est variée.” Et des élus qui ont l’habitude des vents contraires chahutant leur territoire.
“Pas contre les éoliennes ni les énergies renouvelables”
Thierry Caugne souligne : “On n’est pas contre les éoliennes ni les énergies renouvelables. Mais, pour nous, le Bois des Lens est mis en danger par ces éoliennes. Dans notre fédération d’associations, il y a des gens de toutes obédiences, chasseurs comme écologistes. Tous sont des amoureux du Bois. Et tous sont contre ces éoliennes. Les chasseurs veulent garder leurs espaces de chasses intact ; les naturalistes font eux remarquer qu’il y a beaucoup de rapaces (c’est classé en Znieff).” Aigle de Bonelli, vingt espèces de chauve-souris… Mais “il y a un contexte national favorable à de plus en plus d’éolien…”, maugrée Laurent Burgoa à propos de l’issue de l’enquête publique.
“Seul endroit où l’on peut implanter un parc d’éoliennes”
Mairesse de Fons-Outre-Gardon et vice-présidente du département du Gard, Maryse Giannaccini (PS) ne dit pas autre chose : “Ce bois des Lens est un poumon. Ce projet, c’est désolant. On multiplie les actions pour qu’il ne passe pas ; des pétitions en ligne et sur papier ; on mobilise pour garder ce massif intact… Mais vu le contexte actuel…” Avec Laurent Burgoa, elle renchérit : “C’est le seul endroit du Gard où l’on peut implanter un parc d’éoliennes ; ailleurs, ce n’est pas possible et, en limite des Bouches-du-Rhône, il y a un radar météo qui l’empêche…”
Les instances administratives traditionnelles ont été saisies. Circonspecte, la Mission régionale d’autorité environnementale (MRAE) émet beaucoup de réserves. “La société Total Energies présente le projet de création d’un parc éolien sur la commune de Moulézan, dans le Gard. Le site éolien est localisé au lieu-dit Puech Peyron en bordure d’un plateau calcaire boisé (bois des Lens) dominant le bourg de Moulézan, zone d’habitation la plus proche située à environ 1 000 mètres du projet.”
“Ce projet éolien s’inscrit dans cet objectif national de développement des énergies renouvelables”
Dans le cadre des politiques nationales et européennes de lutte contre le changement climatique et de diversification des sources d’énergie, “la France s’est engagée dans un programme ambitieux de développement des énergies renouvelables. Ce programme prévoit notamment que la part de consommation électrique assurée par les énergies renouvelables soit portée à 32 % en 2030. Ce projet éolien s’inscrit dans cet objectif national de développement des énergies renouvelables”.
Canadairs empêchés
Le projet est constitué d’un alignement de cinq éoliennes, rappelle-t-elle, d’une puissance totale de 11 MW, implantées selon une ligne courbe orientée nord-ouest-sud-est, de leurs plate-formes de montage et de maintenance, d’un réseau électrique inter-éolienne, d’un poste de livraison, de deux réserves incendie (de 30 m3) et d’une base de vie de 1 200 m2. Le type d’éolienne envisagé serait haute de 90 mètres, avec un diamètre du rotor de 120 mètres et une hauteur maximale en bout de pale d’environ 150 mètres. Avec “un réseau de tranchées destiné au câblage du parc relie les éoliennes et le poste de livraison (2 500 mètres). Le projet s’étend sur un linéaire d’environ 1 000 mètres.”
La MRAE, qui propose beaucoup de recommandations au point, si on lit entre les lignes, de remettre en cause le projet, s’arrête sur le “risque d’incendie”, ce que confirme Thierry Caugne, ajoutant que, selon lui, “les Canadairs n’auraient pas la possibilité de survoler un champ d’éoliennes qui sont considérées comme des immeubles dont les avions ne pourraient pas s’approcher à moins de 600 mètres.”
Risques d’incendie, nappes et animaux à protéger
Et Thierry Caugne rappelle : “Ce Bois a déjà été l’objet de l’un des deux incendies majeurs, historiques, du Gard, en 1990 à Montagnac”. Après le feu, l’eau : ce lieu est celui de tous les antagonismes ! “Ces dernières années, dans le Gard, les communes ont changé leur approvisionnement en eau, passant des nappes sous-fluviales (sous le Vidourle ou sous le Gardon) aux nappes karstiques, notamment sous le Bois de Lens. Qui sont extrêmement sensibles aux recharges ; il faut les protéger au mieux…”
Et il ajoute : “L’idée de développer un projet éolien sur ce secteur est ancienne ; un projet de onze éoliennes avait été déposé en 2006 par la société Tencia. Ce secteur présente des enjeux élevés notamment vis-à-vis du risque incendie. La sensibilité au feu de végétation y est majoritairement élevée à très élevée. Le permis de construire avait été refusé, la présence des éoliennes remettant en cause l’utilisation des moyens aériens pour lutter contre les incendies. Ces risques sont toujours présents aujourd’hui, mais Total Energies a souhaité réétudier l’opportunité de développer un projet de parc éolien en proposant une stratégie de protection du massif face au risque incendie.”
Le conseil national de la protection de la nature contre
Ce n’est pas tout. “L’étude fait état d’une recherche de sites dans un rayon de 10 km autour du secteur retenu, mais n’indique pas si d’autres sites pouvant présenter moins d’enjeux ont été explorés, au-delà de ce rayon, même si une grande partie du territoire gardois est concerné par des contraintes rédhibitoires à l’implantation d’éoliennes.
La MRAe estime donc que la séquence éviter, réduire, compenser (ERC) n’est pas correctement mise en œuvre, car il n’est pas fait état de recherche de solutions alternatives, au titre notamment de l’article L. 122-3 du code de l’environnement, malgré les enjeux locaux mis en évidence.”
Les habitats naturels sont représentatifs des coteaux calcaires. Quatre habitats sont identifiés comme habitats d’intérêts communautaires : les matorrals à chêne vert (habitat le plus représenté), les pelouses à brachypode, les prairies hygrophiles para-tourbeuses et les mares à characées. Ces trois derniers représentent de faibles surfaces mais revêtent un enjeu modéré à fort selon l’étude. Une seule espèce de flore patrimoniale a été répertoriée, le glaïeul douteux, protégé au niveau national. Mais, surtout, le projet se heurte à la présence de couloir aérien emprunté par les oiseaux migratoires et par le fameux aigle de Bonelli. Et à la présence de chauve-souris. Sans parler des évidentes “nuisances sonores” émises par les pales…
Le Conseil national de la protection de la nature (CNPN) a émis, un avis défavorable. Même une lettre ouverte à la Première ministre, Elisabeth Borne est restée lettre morte. Le plus ironique dans l’histoire, c’est que le collectif avait déjà gagné, devant le Conseil d’Etat, en 2015, après une longue procédure judiciaire face à un précédent projet… Une vraie saga juridique que l’on peut retrouver sur le site du collectif ICI. D’où cette nouvelle pétition ICI.
“Sinon, comment faire contre le changement climatique ?”
Pourquoi Pierre Lucchini, maire de Moulézan est-il favorable, lui, à ces moulins ? “D’abord, c’est moi qui l’ait initié. Et on est en pleine transition énergétique ; le gouvernement favorise les énergies renouvelables. Dans le Gard, il n’y a guerre qu’à Beaucaire qu’il y a quatre éoliennes où on a pu en poser. Et quand on superpose toutes les zones d’interdiction, il n’y a que le Bois des Lens qui pourrait en accueillir.”
Celui qui est aussi vice-président de l’agglo de Nîmes précise qu’il y a déjà eu “une sorte de feu vert de la préfecture qui permet cette enquête publique et puisque c’est le seul projet qui a été retenu sur une dizaine au départ. A priori, la DDTM (direction départementale des territoires et de la mer) a émis un avis favorable. On verra bien ce que dit l’enquête publique, note Pierre Lucchini. Dans toutes les études, géologiques, au niveau des incendies, de la faune, etc., les éoliennes ne représentent pas plus de danger que des pylônes à haute tension, par exemple. Et même au niveau incendie, les éoliennes apportent un plus contre le feu : comme elles seront alignées, ça représente une sorte de frontière. Les élus qui sont contre ce projet doivent alors nous expliquer comment on fait pour lutter contre le changement climatique ? Pour avoir de l’électricité verte.”
“Il y a aussi de la jalousie : des éoliennes rapportent de l’argent à ma commune”
Certes, selon Pierre Lucchini, il y a bien sûr l’expression du phénomène bien connu de “Nimby”, acronyme de l’expression anglaise not in my backyard (pas dans mon jardin), une expression utilisée depuis longtemps pour décrire l’opposition de résident à un projet local d’intérêt général. Un syndrome qui touche largement des personnes qui veulent tirer profit des avantages d’une technologie moderne mais sans les accepter dans leur environnement.
Mais, pas seulement : “Il y a aussi de la jalousie : des éoliennes rapportent de l’argent à ma commune. Tout compris, cela va nous rapporter entre 80 000 et 100 000 € par an. Il y aura des emplois d’abord pendant la construction. Total Energies va privilégier les emplois locaux pour déboiser, couler le béton, manipuler de la ferraille… Ensuite, un berger va s’occuper de l’entretien avec son troupeau autour des éoliennes. Et quand elles seront montées, il y aura aussi des emplois pour les entretenir. Si tout se passe bien, le parc qui entre dans le plan climat de l’agglo de Nîmes se montera en un an.” S’il n’y a pas de recours et si tous les feux sont au vert, le parc sortirait de terre fin 2024. Pour le collectif de défense, tel Sisyphe, cela ressemble à une guerre d’usure…
Olivier SCHLAMA
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