Fédération des usagers : “La région Occitanie est l’une des plus dynamiques pour le train”

Francois Deletraz, sur la petite ceinture dans le 15eme arrondissement de Paris. Ph. Vincent Boisot.

François Deletraz préside la Fnaut, principale fédération d’usagers des transports. Il affirme que la région Occitanie fait beaucoup pour le développement du train du quotidien. Et plaide d’ailleurs pour davantage de rames dans une région où, avec 85 000 usagers par jour, la fréquentation explose. Il se montre cependant critique sur les transports gratuits à Montpellier.

Inauguration de la gare de Bagnères-de-Luchon ce mardi ; réussite inconstestable du train à 1 € qui bat des records (1) ; réouverture de lignes : Rive droite du Rhône avec de nouvelles gares accessibles en 2028-2030 ; fin juin, Carole Delga ouvrira la ligne Montréjeau-Luchon. Suivra Alès-Bessèges prochainement… La sauvegarde du “Canari”, le train jaune des P.-O. ; et même l’achat d’une gare, celle de Figeac (Lot), comme Dis-Leur vous l’a expliqué ICI. Il y a, parallèlement, la bataille pour faire avancer la ligne TGV Montpellier-Perpignan. Qui permettra de libérer des sillons pour les trains du quotidien. Et il le faut : on compte 85 000 voyageurs par jour en moyenne sur les lignes ferroviaires d’Occitanie contre moins de 60 000 en 2016… Et ce n’est pas fini.

Tortillards mythiques, “RER” métropolitains…

Pas un mois ne défile sans que Carole Delga et la région Occitanie qu’elle préside n’évoquent une initiative autour du train, comme un train hybride. Il y a aussi de belles histoires de tortillards. Dans la région, deux trains se distinguent. Le Cévenol, symbole de la lutte des territoires, désormais exploité par la Région Occitanie, et la ligne de l’Aubrac ou Causses-Cévennes qui a bénéficié d’investissements lourds. Ces deux trains mythiques devraient le rester pour les générations futures.

Et que dire des futures “RER” métropolitains (les fameuses Serm) qui mettront le transport collectif au coeur des territoires ? Comme Dis-Leur vous l’a détaillé ICI. Pour parachever cette politique hyper-volontariste, la Région vient de signer un avenant au contrat État région de 1,5 milliards d’euros pour développer vélos, routes et, bien sûr, les trains du quotidien, comme Dis-Leur vous l’a expliqué ICI. 

Qu’en pensent les usagers du train ? Pour Jean-Luc Gibelin, vice-président de la Région Occitanie, “le tiercé gagnant de l’augmentation de la fréquentation c’est : une augmentation de l’offre, une amélioration de la qualité de service et une gamme tarifaire attractive !” La satisfaction ? “Globalement, les résultats s’améliorent même s’il faut toujours maintenir la pression.” Nous l’avons surtout demandé à un spécialiste : François Deletraz, président de la Fnaut, principale fédération d’usagers des transports, qui répond à nos questions.

“Entre Perpignan et Villefranche, cette histoire est ubuesque”

Vous êtes venu dans les P.-O. en marge d’une histoire de train à l’arrêt. Qu’en pensez-vous ?

Le train accidenté. Ph. DR

François Deletraz, président de la Fnaut : Entre Perpignan et Villefranche, cette histoire est ubuesque. Où a-t-on déjà vu une commune (Eus) et le propriétaire d’une porcherie empêcher la démolition d’un pont, privant des centaines d’usagers de train ? Il y a une route communale qui passe sur un pont ; le pont a été endommagé par un train qui l’a percuté à cause d’un talus qui a glissé. Il a glissé parce qu’un canal d’irrigation a débordé, soit parce qu’il était mal entretenu soit mal réglé.

Problème, ce canal est sur une propriété privée… Les experts diront un jour qui est responsable. En attendant, tout est bloqué parce que le propriétaire de la porcherie est au conseil municipal et ne veut pas de démolition du pont s’il n’a pas la garantie d’une reconstruction. Ce que nous demandons, c’est que la justice fasse son travail et qu’à l’issue on pense à la reconstruction. Cette histoire est scandaleuse : personne ne prend son sifflet pour dire stop. Pas même le préfet. Il serait arrivé la même chose sur une route départementale, on aurait tout déblayé sans rien demander à personne pour que la circulation reprenne ; et on aurait vu après !

D’autant qu’en dehors de ce clochemerle, cette région est plutôt bien pourvue en “petites” lignes ?

François Deletraz, président de la Fnaut : C’est la région de France, avec Grand Est, qui fait le plus. Regardez le combat que mène Madame Delga pour la réouverture de la rive droite du Rhône : c’est admirable. Rouvrir une ligne, c’est se heurter à un mille-feuilles administratif démentiel. Et pour arriver à débloquer la situation de la rive droite du Rhône, pour y transporter des passagers alors qu’il y avait du fret, Carole Delga a été obligée d’affronter toute la technocratie française.

Et n’y arrivant pas, elle a fait appel à Jean Castex, quand il était Premier ministre, pour rouvrir cette ligne. Vous vous rendez compte de ce qu’il faut faire en France pour rouvrir une ligne de passagers ! En plus, quand le train arrive à Pont-Saint-Esprit, il ne peut pas faire son demi-tour. Il doit monter à 80 km, jusqu’en Rhône-Alpes, où il passe par deux gares mais le président de cette Région, Laurent Wauquiez, a décidé de ne pas donner d’argent pour rénover ces gares pour les mettre aux normes… Du coup, le train ne s’arrête pas dans ces deux gares-là !

Le Cévenol a été sauvé comme d’autres lignes grâce à la volonté de la Région Occitanie, une bonne chose ?

F.D. : La politique ferroviaire de la Région Occitanie est l’une des plus dynamiques de l’Hexagone.

“Il faut davantage de trains”

Les usagers souffrent souvent de trains bondés…

Francois Deletraz, sur la petite ceinture dans le 15eme arrondissement de Paris. Ph.Vincent BOISOT

François Deletraz : C’est une réalité. C’est dû à une énorme augmentation de la fréquentation en Occitanie (2). En particulier grâce au train à 1 €. Il y a des moments où, oui, c’est compliqué (le TER à 1 €, ce sont 14,5 millions de voyageurs par an dont 12 millions pour le domicile-travail avec la prise en charge de l’employeur, Ndlr).

Moi-même, quand je suis allé à Perpignan il y a quelques jours pour faire  une intervention, je devais prendre le train de 14h50 à Montpellier : impossible, il y avait trop de monde. J’ai pris l’Intercités – un train géré par la SNCF qui relie des villes transversalement, comme le Marseille-Bordeaux, Ndlr – qui partait après. Sauf que le billet du premier, un TER, n’est pas valable pour l’Intercité… J’ai dû racheter un autre billet pour aller d’abord à Narbonne et à Narbonne, il faut descendre et prendre un autre train, celui que j’aurais dû prendre à l’origine à Montpellier…

En Occitanie, il y a un autre phénomène incroyable : le Béziers-Clermont-Ferrand. Une fois par jour, c’est un TER et, une fois par jour, c’est un Intercités ! Les billets pour l’un ne sont pas valables pour l’autre… Toute cette problématique-là gène le développement de l’usage du ferroviaire et du coup le rapport modal de la voiture vers le train.

Par ailleurs, nous avons écrit à la direction des TER et à M.Gibelin à propos de la ligne du littoral, de Nîmes à Perpignan. Il n’y a pas assez d’offres. Il faut absolument qu’il y ait davantage de trains sur la ligne.

Plus généralement, il y a une très forte augmentation de l’usage du train. Du train régional et du TGV. Malheureusement, dans un cas comme dans l’autre, les opérateurs ont beaucoup de mal à augmenter l’offre. Quant à l’état des infrastructures, ça ne s’améliore pas : on a 40 ans de retard. L’État met un peu d’argent depuis quelques années mais ça ne suffit pas. Ce que l’on arrive à faire, c’est que le réseau ne vieillisse plus. Mais on n’arrive pas à le rajeunir. Pour cela, il faudrait encore quelques milliards d’euros d’investissement pendant dix ans. Pour que les trains puissent rouler à la bonne vitesse sur tout leur parcours.

Comment va-t-on faire pour financer les Serm ? Ce sont des centaines de millions d’euros qu’il faut…

François Deletraz : Il y a une conférence de financement qui débute le 5 mai prochain. On verra ce qu’il en sort et quels sont les leviers dont dispose l’État pour financer tous ces projets. Il y a déjà en cours le versement mobilité inspiré de ce qui se pratique en Ile-de-France mais certaines régions ne l’acceptent pas. Ce n’est pas ça, en tout cas, qui va financer ces Serm. ll ne faut pas se faire d’illusion : ces Serm ce seront pour beaucoup une nouvelle organisation de l’existant. Mais rien que cela, en mettant d’accord les compagnies d’autobus, les tramways, les trains, etc., avec un ticket unique, cela aura une énorme incidence sur l’offre. Et sans augmenter les coût, on augmentera naturellement l’offre. Et dans certains cas, des bouts d’infrastructures qui manquent pour aller d’un endroit à l’autre ou rejoindre deux lignes séparées. Le gros travail des Serm c’est de travailler avec l’existant.

Et le train à 1 €, qu’en pensez-vous ?

François Deletraz : C’est une très bonne idée quand il y a des trains qui y sont dédiés. Quand on fait du 1 € toute la journée pour tout le monde, ça devient très compliqué : il y a un appel d’air colossal et on ne sait pas y faire face au pic d’utilisation. En revanche, faire du 1 € à certaines heures, certains jours de la semaine, c’est une très bonne idée ; cela fait venir du monde au train et cela génère du chiffre d’affaires.

Justement, la future LGV Montpellier-Perpignan va-t-elle libérer sillons et cadences ?

F.D. : Ce TGV c’est peut-être pour dans dix ans, voire quinze ans. Ou plus. En attendant, il faut absolument améliorer l’offre. Et le meilleur moyen, c’est de faire des unités multiples : que les trains soient les plus longs possibles. Et d’avoir davantage de trains.

Vous dîtes à la Région Occitanie d’acheter des trains ?

F.D. : Oui, c’est indispensable {la Région Occitanie a suspendu la commande de nouveaux trains, comme la région Aquitaine avec qui l’Occitanie forme un consortium d’achat de rames, Ndlr}. La problématique du train c’est que cela s’inscrit dans un temps long. Si, aujourd’hui, vous décidez d’acheter une voiture, vous pouvez la revendre dans un mois. Pour un train, on l’achète mais il est livré des années plus tard.

“Les bénéfices de la SNCF permettent à l’État d’éviter de payer pour le réseau”

Qu’espérer des Serm, ces “RER” métropolitains autour des deux métropoles ?

Francois Deletraz, sur la petite ceinture dans le 15e arrondissement de Paris. Ph. Vincent Boisot

François Deletraz : L’avantage, c’est d’essayer de faire du multimodal en regroupant tous les moyens de transports pour permettre aux usagers de passer de l’un à l’autre facilement, de la voiture au train, au bus. Et il faudra du TER en plus.

À Toulouse, par exemple, il y a un problème à l’entrée et la sortie de la ville vers Bordeaux ; avec les travaux en cours pour la LGV Toulouse-Bordeaux, cela va s’améliorer. C’est une très bonne chose pour les trains du quotidien qui auront davantage de place et de fréquences. Mais il y a deux paramètres : la fréquence et la capacité des trains : entre Montpellier et Perpignan, il est très compliqué de rajouter de l’offre, la ligne est déjà très remplie, mais on peut ajouter de la “capacité”.

Quand aux quais pas assez longs dans certaines gares, il existe un système peu connu en France, mais présent dans plein de pays : les trains y sont plus longs et l’opérateur prévient les voyageurs dans quelles voitures il faut monter pour s’arrêter à la bonne gare. C’est faisable.

Nous regrettons aussi qu’il n’y ait pas d’accord entre la SNCF-TGV et l’Occitanie TER  pour que des gens avec un billet TER puissent prendre un TGV en bout de ligne. Exemple : le TGV Paris-Perpignan perd un tiers de ses passagers à Nîmes, un autre tiers à Montpellier et après il se vide au fur et à mesure. Pourquoi n’autoriserions nous pas des voyageurs de Béziers et à Narbonne avec des billets TER ? Cela solutionnerait une partie du problème. Cet accord existe dans les Hauts-de-France. Nous plaidons pour cette solution. comme pour les Intercités.

Le TGV est devenu un luxe ! Pourquoi est-ce si cher ?

Sète, le TGV, en bordure de l’étang de Thau. Photo : Olivier SCHLAMA

François Deletraz : Pour le TER, le passager ne paie que 30 % du coût. C’est l’Occitanie qui paie la différence. Pour les TGV, c’est différent. Le TGV n’a pas le droit d’être subventionné. Le passager doit supporter la totalité du coût du voyage. L’État prend la moitié du prix du billet… Quand on achète un billet de train d’une valeur de 100 €, l’Etat en prend 40 € pour le réseau et 10 € de TVA. En fait, la SNCF fait rouler le TGV pour 50 € par personne pour un billet à 100 €, soit la moitié. Et si l’Etat était dans son rôle, le billet coûterait 50 € et non pas 100 €. C’est Bercy qui souhaite que la SNCF fasse le plus de bénéfices possibles. L’actionnaire principal de la SNCF, c’est l’Etat qui a intérêt à ce qu’elle fasse le plus de bénéfices. Pourquoi ? Ces bénéfices lui permettent d’éviter que l’Etat paie le réseau et de mettre de l’argent dans le budget général de l’Etat. Tout cela incombe au passager et aux régions.

Que pensez-vous de la gratuité des transports collectifs à Montpellier ?

François Deletraz : Pour être franc, c’est un coup politique. On verra dans un an si cela permet à M. Delafosse d’être réélu… Ce qui est loin d’être gagné. Cela va, en tout cas, coûter à la collectivité entre 30 M€ et 40 M€. Qui va payer ? La métropole n’a pas le droit de lever l’impôt. Elle n’a de recettes supplémentaires si ce n’est le versement mobilité. Cela ne suffira pas. Ces 30 à 40 M€ seront forcément pris ailleurs sur le budget. Et qui va payer les tramways, les infrastructures ? C’est beaucoup d’argent en jeu. Ce que nous souhaitons à la Fnaut, c’est défendre la gratuité pour ceux qui en ont besoin.

Une rame de la ligne 1 du tramway de Montpellier aux couleurs du Pacte Vert de l’Europe. photo Marie SARFATI

Un cadre supérieur qui gagne 3 000 € par mois, il peut payer son tram. La gratuité, c’est une mesure politique. Ce n’est pas une mesure écologique parce que pour qu’il y ait un transfert modal de la voiture au tramway, ce n’est pas le prix qui compte, c’est l’offre. Julie Frêche, l’élue aux Transports, dit que l’offre a augmenté. Je l’apprécie car elle est très compétente. Mais nous avons des doutes quand on voit à quel point les tramways sont pleins. De plus quand vous interdisez les vélos, cela veut dire que l’offre est insuffisante, qu’il n’y a pas assez de places pour les passagers. On les enlève pour qu’il y en ait davantage pour les clients.

Comment la prochaine équipe municipale va-t-elle gérer cette situation, sachant qu’il est très compliqué de revenir en arrière ? Par ailleurs, la ville de Montpellier a gardé la vente de billets pour les occasionnels, les touristes et ceux qui habitent en dehors de la métropole. Cela permet d’avoir plus de 10 % de recettes et cela leur permet de continuer à déduire la TVA sur les investissements. Des millions d’euros sont en jeu.

“Les bouchons c’est dissuasif mais pas assez : il faut qu’il y ait une vraie offre”

La problématique de la gratuité, c’est quel service on offre aux gens et comment on la finance sur la durée. Les usagers, la seule dont ils vont se rappeler, c’est : “Le tram est plein, je ne peux pas monter dedans !” La grande problématique des grandes métropoles de province c’est de créer volontairement des bouchons partout. C’est dissuasif mais, pour qu’ils ne prennent par leur voiture, il faut qu’il y ait une vraie offre. Et c’est très compliqué d’améliorer les chose en allant vers la métropole. Là dessus, s’ajoute, comme partout, la baisse de la vitesse commerciale des autobus : à cause des aménagements de voirie qui sont faits, de la suppression d’un certain nombre de couloirs de bus qui crée bouchons et thromboses. Et cette perte de vitesse coûte une fortune à la collectivité. Avec une dégradation énorme du service. Ce sont tous ces freins-là qui, mis bout à bout, créent un vrai problème.

Comment faire quand la gratuité crée un tel appel d’air quand on n’a pas les moyens ; quand on n’a pas les conducteurs ; ni assez de bus et pas encore les tramways… ?

Propos recueillis par Olivier SCHLAMA

  • (1) Pour la première fois, 110 000 billets à 1 € ont été vendus pour le seul week-end du samedi 5 et du dimanche 6 avril 2025. “Au total, plus de 116 000 personnes, en incluant les abonnés, ont voyagé en train liO sur ces deux jours”, se réjouit la collectivité. Cette dernière donnée représente 25 % de voyageurs supplémentaires sur le réseau par rapport à l’année 2024. Une aubaine pour la présidente de la Région Occitanie Carole Delga. Cette dernière y voit “la preuve que les voyageurs font clairement le choix du train dès lors que l’offre est au rendez-vous et que le prix est attractif”.
  • (2) Vice-président de la région Occitanie, Jean-Luc Gibelin confirme : “La hausse de la fréquentation est de + 68 % entre 2019 et fin 2024 contre + 30 % au niveau national. Et encore cette comparaison se fait avec l’année de référence d’avant-covid. Si l’on prend fin 2024 par rapport à fin 2023, c’est une hausse d’une vingtaine de pourcents, le double environ de la valeur nationale.”
  • Selon un bilan provisoire publié par l’Autorité de régulation des transports (ART) le 27 juin 2024, la fréquentation des trains en 2023 a atteint pour la deuxième année consécutive un niveau record avec 108 milliards de passagers/km transportés (+ 6 % par rapport à 2022). Celle des TER est en hausse dans l’ensemble des régions, en dépit d’une offre de trains en baisse. Seule la fréquentation des lignes Transilien et RER en Île-de-France semble avoir été durablement affectée par la crise sanitaire, du fait notamment d’un recours accru au télétravail.

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