Déserts médicaux : En Occitanie, le pari déjà réussi des centres de santé

Face à la désertification médicale, les centres de santé fleurissent. L’ancien élu Jérémie Malek en a créé un, associatif, à Montpellier et étudie la possibilité d’en créer un second. Pour la Région Occitanie, qui en compte par ailleurs une vingtaine d’autres indépendants, c’est l’un des grands oeuvres du mandat avec la volonté de créer 60 à 70 centres de santé et d’embaucher 200 médecins. Vice-président de la Région, Vincent Bounes explique pourquoi cette solution fonctionne alors que l’hôpital public est, lui, en grande souffrance.

Comme une bouffée d’oxygène. “Nous avons été pris d’assaut dès l’ouverture du centre de santé avec beaucoup de demandes de déclarations de médecins traitants… Plus de deux cents. Ce sont des patients dont le médecin est parti à la retraite ou qui est malade, notamment, décrypte Jérémie Malek qui vient d’en créer un, associatif, à Lemasson. Ces patients qui poussent la porte d’un centre de santé, “ils n’avaient plus de médecins traitants, pour certains depuis des années…”

Il ajoute : “On a même eu des demandes d’habitants de la Paillade, de l’autre côté de Montpellier. Sachant que notre but n’est pas là mais de donner du sens, de travailler avec le patient sur sa propre prise en charge. Nous faisons beaucoup de travail, aussi, autour de la prévention et de l’éducation à la santé. Au total, depuis notre ouverture le 13 juin, nous avons enregistré 3 437 rendez-vous honorés et 1 603 patients.”

35 000 € de budget par mois pour fonctionner

Jérémie Malek devant le centre de santé de Lemasson, à Montpellier. DR.

Jérémie Malek avait vu juste : le centre de soins du quartier Lemasson, à Montpellier, créé par son association Quartiers Santé, fait “malheureusement” le plein. Ouvert il y a moins de six mois, ce centre est l’un des deux seuls dans la capitale languedocienne. Il a nécessité un investissement de 200 000 € pour sa création (dont une aide du fonds européen Feder de 58 000 €). Pour le faire fonctionner, il a besoin d’un budget de 35 000 € par mois. “C’est beaucoup parce qu’on a une grosse masse salariale avec les médecins. Nous n’avons pas d’aide pour cela. À 80 %, nous nous rémunérons sur les actes remboursés par la CPAM aux patients, l’Assurance maladie. Après nous avons une subvention annuelle de la CNAM ; nous avons une aide municipale de 5 000 € ; d’à peine 1 500 € de la Métropole ; 2 000 € de la Région Occitanie et 3 000 € de la part de l’Etat”, dit Jérémie Malek en toute transparence.

Le but de ce centre ? Tenter de pallier le désert médical prégnant de ce quartier. “On ne s’est pas du tout trompés sur l’intérêt de notre installation”, souffle Jérémie Malek, par ailleurs responsable régional de la Fédération des centres de santé qui existe depuis 1954 dont l’objectif est de réunir les centres de santé qui ont commencé à apparaître dès l’après Seconde Guerre mondiale et aider les porteurs de projets autour de l’accès aux soins pour tous.

Montpellier : forte demande dans d’autres quartiers

C’est une idée qui s’est réactualisée. Face au renoncement de soins dans les quartiers prioritaires, il existe donc des structures généralistes, non lucratives, ouvertes à tous, sans frais, et qui se multiplient. À Montpellier ou Capestang et peut-être demain à Béziers, Olargues, etc. Autre originalité, les médecins y sont salariés. En Occitanie, à peine une vingtaine ont ouvert, comme Dis-Leur vous l’a expliqué ICI.

Il y a une forte demande dans d’autres quartiers de Montpellier qui ne compte que deux centres de santé, dont un participatif, de l’association Human Santé qui est une expérimentation lancée par la CNAM, Caisse nationale d’assurance maladie ; il y en a un à Toulouse aussi, la Case de Santé. “On n’a pas la culture des centres de santé en Occitanie. Historiquement, c’est davantage en région parisienne et dans des communes plutôt communistes”, rappelle Jérémie Malek.

On apporte un confort à nos médecins, totalement libérés des tâches administratives ; ils arrivent à l’heure de la première consultation et finissent leur journée avec la dernière”

Jérémie Malek
Jérémie Malek et une partie du personnel devant le centre de santé de Lemasson, à Montpellier. DR.

Il précise : “Petit à petit, le modèle se développe. On y pratique l’exercice de la médecine coordonné avec des équipes pluri-professionnelles. Cela plait de plus en plus, y compris aux praticiens. C’est un modèle parallèle aux maisons de santé qui, elles, sont des regroupements de médecins libéraux. Nous, nous avons l’obligation de salarier nos professionnels et de pratiquer le tiers-payant intégral. On apporte un confort à nos salariés, à nos jeunes médecins – nous en avons trois aujourd’hui ainsi qu’un travailleur social, une sage-femme et un infirmier – en étant totalement libérés des tâches administratives. Ils arrivent à l’heure de la première consultation et finissent leur journée avec la dernière. Je pense qu’il y aura de plus en plus de projets.”

“On va réfléchir à un second centre à Montpellier…”

Jérémie Malek confie également avoir le projet de développer “un pôle santé des femmes dans le centre de soins de Lemasson ; l’idée est d’apporter un espace-temps ou espace physique dédié, car une femme n’est pas en général prise charge et soignée comme un homme. Elle fait passer sa famille avant et elle est moins attentive à elle-même. Nous sommes par ailleurs interpellés pour créer un autre centre de santé dans un autre quartier de Montpellier, à Saint-Martin, un gros désert médical. On va y réfléchir…”

La région prévoit une enveloppe de 2 M€ à 3 M€ par an

De Montpellier à l’Occitanie : la région a de son côté lancé un vaste plan, baptisé  Ma Santé, ma Région. Complexe, il prévoit la création de 60 à 70 centres de santé partout sur le territoire régional, à raison d’une ouverture par mois sur le mandat. “Ce sont des modèle subventionnés, comme toute la médecine. Il faut savoir qu’un médecin, qui s’installe en libéral dans un désert médical, empoche d’emblée un chèque de 50 000 € de l’ARS. De notre côté, nous avons prévu une enveloppe de 2 M€ à 3 M€ par an mais qui ne sert qu’à ouvrir de nouveaux centres. Le principal financeur reste la Sécurité sociale à travers les actes médicaux pratiqués.”

Il précise : “Nous avons aussi prévu que chaque centre soit déficitaire les trois premières années avec une moyenne de – 70 000 € sur la première année ; moins la deuxième année et autour de l’équilibre la 3e année”, détaille Vincent Bounes. Ce dernier se dit très content du lancement de ce plan “avec déjà plus de 10 000 consultations réalisées auprès de patients. On réalisera plusieurs milliers de consultations sur le mandat, c’est sûr. Certains patients n’avaient pas vu de médecin depuis plus de trois ans et qui sont dans un état de ravissement incroyable”.

Vice-président de la Région Occitanie, c’est lui, “en recherche de sens permanente”, qui a eu cette idée de développer un service public de médecine générale – géré par un Groupement d’intérêt public avec quatre collèges de partenaires : la Région, les départements (pour l’instant, P.-O. et Tarn-et-Garonne ; et bientôt Gers et Tarn) ; collectivités locales et les experts comme les conseils de l’Ordre, facs de médecine, syndicats… – pour pallier là aussi les déserts médicaux.

La région Occitanie a déjà ouvert six centres de santé

Par ailleurs, directeur du Samu de Haute-Garonne, Vincent Bounes confie que, déjà, en cinq mois, six centres de santé ont ouvert leurs portes en Ariège, dans le Lot, les Hautes-Pyrénées, la Haute-Garonne, les Pyrénées-Orientales et le Tarn. Déjà, 25 des 200 médecins nécessaires à ce réseau ont été recrutés et salariés. Et, au total, en comptant les administratifs, ce sont 40 personnes qui auront été embauchés d’ici fin décembre. La moitié sont de jeunes praticiens de 30 ans à 35 ans ; une bonne partie vient du Nord de la Loire qui “goûtent aux douceurs de l’Occitanie et aussi des médecins pré-retraités qui continuent à temps partiel”.

Hautes-Pyrénées, Gard, Hérault…

“On va démarrer des embauches de sage-femmes et d’infirmiers, confie-t-il encore. Le recrutement des 200 médecins, ce sera sur la durée du mandat. On a prévu d’ouvrir un centre de santé tous les mois. Un second centre ouvre en janvier dans les Hautes-Pyrénées, dans la vallée de la Barousse. Deux projets vont également ouvrir dans le Gard début 2023, en zone rurale, dont l’un près d’Alès et un second près du littoral. Il y aura deux centres héraultais mi-2023. On a beaucoup de projets pour 2023 et ça marche bien.”

“On est refusés nulle part !”

Vincent Bounes donne les quatre critères pris en compte pour une ouverture : les besoins de la population, sachant que “80 % de l’Occitanie est en tension s’agissant d’accès aux soins ; il faut que l’écosystème local – mairie, politiques – soit réceptif et que les professionnels de santé sur place voient notre arrivée d’un bon oeil. Et, enfin, il faut qu’il y ait des médecins sur place. Et on ne lance un projet que s’il y a au moins deux sur place. Si on remplit tous ces critères, on est refusés nulle part !” Ce sont principalement des centres de santé généralistes, même si des consultations de gynécoles, sage-femme et pédiatres sont envisagées pour 2023.

C’est un choix politique (…) Nous ne sommes que deux régions en France à créer des centres de santé : Centre-Val-de-Loire et nous…”

Vincent Bounes, vice-président de la Région Occitanie

Pourquoi la Région Occitanie investit-elle alors que, théoriquement, c’est une mission de l’État ? Pourquoi une si forte proposition de la Région Occitanie ? “Déjà, réaffirme Vincent Bounes, “c’est un choix politique. Cela ne fait, certes, pas partie des compétences obligatoires des régions. Mais, avec Carole Delga, nous avons considéré qu’il fallait le faire : la santé fait partie, avec le pouvoir d’achat, des préoccupations principales des Français. Quand le dernier médecin d’un village s’en va, c’est un drame. Nous ne sommes que deux régions en France à créer des centres de santé : Centre-Val-de-Loire, qui a démarré il y a quatre ans et salarié 80 médecins, et nous qui avons démarré il y a six mois.”

“Dans certains endroits, une personne sur sept qui ne se soigne pas, faute de professionnels de santé”

Ensuite, pose encore le vice-président de la Région Occitanie, “on est parti du constat que les Occitans sont mal soignés : 11 % de la population française n’a pas de médecin traitant. Cela fait 7 millions de Français et plus de 600 000 personnes au niveau de l’Occitanie.” Principalement parce que les médecins ne prennent plus de patients, leur patientèle étant au complet. Il y aussi un autre indicateur : le taux de renoncement aux soins, parce que l’on ne peut pas être examiné dans des délais convenables par un docteur.

“Il se situe entre 10 % et 15 % en Occitanie. C’est beaucoup. Dans certains endroits, une personne sur sept qui ne se soigne pas, faute de professionnels de santé. Et plus d’un tiers (35 %) des médecins en Occitanie a plus de 60 ans. Mathématiquement, dans les cinq ans à dix ans qui viennent, ils vont partir à la retraite. Enfin, en dix ans le nombre de généralistes est passé de 150 à 110 pour 100 000 habitants”, rapporte Vincent Bounes.

“Un infirmier tient, en moyenne, autour de dix ans dans sa profession avant de changer de métier !”

Photo DR

Combien manque-t-il d’infirmières et de médecins dans la région ? “Pour les médecins, plusieurs centaines, répond-il. Et pour les infirmiers, il en manque sans doute plus d’un millier. Mais c’est davantage un problème de leur maintien dans l’emploi. On a eu une augmentation de 1 500 postes depuis 2019 qui vont donc sortir des écoles en 2023. Le problème, c’est qu’un infirmier tient, en moyenne, autour de dix ans dans sa profession avant de changer de métier ! Le vrai problème, c’est donner et garder du sens à ce métier. C’est vrai aussi que les infirmiers sont moins rémunérés que la moyenne européenne. D’autres régions s’intéressent à notre expérimentation ; certains départements et certaines communes s’y sont lancés mais par d’autres régions autre que Centre-Val-de-Loire et l’Occitanie. On espère faire modèle.

“C’est très lourd, c’est un pari risqué…”

Comment se fait-il que ce grand plan attire les professionnels de santé alors que l’hôpital public est en souffrance et n’arrive plus à recruter…?  Il répond : “Il faut beaucoup de conviction car c’est assez lourd à porter. Il y a un acteur historique, la mutuelle des mineurs, Filiéris, qui en gère pas mal depuis très longtemps, autour de 180 en France. Après, il y a des centres gérés par des communes, des associations, etc. Mais cela reste une énorme entreprise. C’est très lourd. C’est un pari un peu risqué.”

“Que de la médecine, sans aucune autre contrainte…”

Ce n’est pas tout. “Nous proposons la même grille de salaires qu’à l’hôpital public avec une bonification de + 15 % à + 20 % pour les jeunes médecins, pendant dix ans pour se calquer sur la grille de l’hôpital.” Vincent Bounes détaille les raisons du succès : “Les médecins recrutés travaillent en équipes et en équipes pluri-professionnelles, médecins, auxiliaires, etc. Autour d’eux, on peut compter une vingtaine de professionnels de santé , c’est une émulation, un plus pour un médecin. On leur propose aussi un projet de vie ; on les inclut dans un territoire, on leur fait découvrir les beautés du coin. Enfin, ils ne font que de la médecine et aucune tâche administrative, aucune contrainte ni tracas en terme de matériels, voiture… On s’occupe de tout. Et ils bossent en CDI sur la base de 35 heures…”

Olivier SCHLAMA

  • Le vice-président de la Région Occitanie le rappelle : “Nous aidons l’hôpital public. À travers les fonds européens que nous gérons, nous avons débloqué 133 M€ pour participer à la restructuration d’hôpitaux ; d’aider à en rebâtir (Montauban, Auch, Millau-Saint-Affrique) ; nous avons aussi lancé un grand plan santé numérique, etc.”
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Vers une loi contre certaines dérives

Dans leur très grande majorité, les centres de santé, communaux, mutualistes, associatifs…, font un travail de qualité. Mais certains sont décriés pour la dégradation des soins,  le recours à des pratiques frauduleuses de surfacturations… Les centres spécialisés dans les soins dentaires et ophtalmologiques devraient être mieux contrôlés. Responsable du centre du quartier Lemasson, à Montpellier, Jérémie Malek confirme : “Dans certains de ces centres, il y a eu beaucoup de scandales ; beaucoup d’abus, effectivement. Il faut mieux encadrer, oui, face aux dérives. Les valeurs des centres de santé ne sont pas à vendre”, comme le dit notre Fédération.

En attente des décrets d’application

Votée à l’unanimité en commission, une proposition de loi visant à améliorer l’encadrement des centres de santé a été adopté en première lecture le 30 novembre dernier à l’Assemblée nationale. Fadila Khattabi, députée Renaissance de la Côte-d’Or, présidente de la Commission des Affaires sociales et rapporteure, a défendu un projet déposé le 18 octobre qui vise à “protéger” les citoyens et “renforcer la confiance” envers le système de santé. Cette proposition de loi, qui vise à rétablir l’agrément de l’ARS pour tout projet, est en attente de sa promulgation et de ses décrets d’application. Cet agrément restera provisoire durant un an après son accord. Par ailleurs, diplômes et contrats des personnels soignants devront fournis à l’ARS. Et les gestionnaires des centres devront produire, pour chaque exercice, leur bilan financier.

Pratiques médicales douteuses voire dangereuses

De plus en plus nombreux sur le territoire, ces centres de santé étaient décriés tant pour leurs pratiques médicales parfois douteuses, voire dangereuses, que pour leurs méthodes de gestion. Le recours au tiers payant notamment, ne permet pas toujours au patient d’être au courant de ce qui a été facturé.

En 2009, pour favoriser leur développement dans des zones en tension, les pouvoirs publics avaient supprimé l’obligation d’un agrément de l’administration de tutelle. C’est donc fini, sous réserve de l’examen du Sénat et qu’ensuite les décrets d’application soient pris.

O.SC.

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