Chronique littéraire : Mœurs épilatoires, sociales et rurales…

une fois par mois, le Sétois Alain Rollat vous propose un rendez-vous littéraire. Cet éminent journaliste, qui fut directeur-adjoint du Monde, nous fait découvrir les livres d'auteurs régionaux issus de maisons d'éditions d'Occitanie.Photo : Olivier SCHLAMA

Chaque mois, le Sétois Alain Rollat propose un rendez-vous littéraire, le Marque-Page. Cet éminent journaliste, qui fut directeur-adjoint du Monde, nous fait découvrir les livres d’auteurs régionaux issus de maisons d’éditions d’Occitanie et d’ailleurs. C’est au tour de Laura M. ; Alain Condaminas et Frédéric Guyonnet et Jérôme Coll.

Histoires de poils

“Entrez, déshabillez-vous…” Un titre pareil porte la promesse de caleçons ou de petites culottes. Dans quel but ? Le sous-titre fournit un indice : Confidences et secrets d’un institut de beauté parisien. On se dit que les déshabillés en question seront plus esthétiques que médicaux. Mais l’ouvrage est signé “Laura M.”, une abréviation qui semble vouloir cacher quelque chose. Quoi ? Le mystère est d’autant plus étrange qu’il n’en est plus un depuis que ladite Laura M. a accepté que Midi Libre publie sa photo dans ses éditions gardoises. Dès les premières pages de ce livre, cette fausse inconnue se présente elle-même à ses lecteurs sans occulter les détails professionnels permettant de découvrir son identité. On en déduit que cette entrée en matière n’est qu’une coquinerie de mise en scène destinée à piquer la curiosité du public.

C’est réussi. Le déshabillage auquel se livre Laura M. est celui de sa clientèle. Il consiste en une série de portraits anecdotiques dont la somme témoigne de la réussite d’une jeune Alésienne qui rêvait de devenir esthéticienne, l’est devenue dans sa ville natale, puis est “montée” à Paris où l’institut de beauté qu’elle a créé fait désormais référence.

Cet inventaire croustillant est écrit d’une plume légère, souriante, et on peut le parcourir sans culpabiliser de céder à la tentation du voyeurisme parce que ce qu’il révèle sur le culte du corps, la mode du piercing et des foufounettes colorées en dit long sur l’évolution du nombrilisme contemporain et de ses surprenants dessous. Cet étalage des coulisses des salons de beauté a même quelque chose d’ethnographique. Car la galerie de portraits qu’exhibe Laura M.  invite à la réflexion sur les rapports singuliers que l’espèce humaine entretient, de nos jours, avec son sexe, qu’il soit masculin ou féminin, en particulier sur ces menus plaisirs masochistes qui vont jusqu’à pousser certain(e)s esthètes à transformer – à coups de perles, d’anneaux ou d’épingles – leurs parties intimes en parcours du combattant. Pour ne pas dire en champs barbelés…

Cela ne donne pas envie d’aller se faire épiler mais cela mérite d’être lu parce que c’est… désopilant !

  • Entrez, déshabillez-vous…, Laura M., Editions Baudelaire, 244 pages, 19€.

Regards croisés

Dialogue social ou dialogue de sourds ? La question est d’une actualité brûlante (surtout pour les poubelles parisiennes). À toutes fins utiles, deux praticiens des rapports sociaux portent un regard croisé sur leurs expériences professionnelles respectives pour partager les enseignements qu’ils tirent de leur vécu à partir des situations concrètes qu’ils ont connues dans les entreprises où ils ont travaillé.

L’un, Alain Condaminas, fait partie du patronat du secteur bancaire. Il a été, pendant vingt ans, directeur général d’une banque de la région toulousaine. L’autre, Frédéric Guyonnet, appartient à l’univers syndical du même secteur bancaire. Son action militante en Occitanie lui a valu d’accéder à la présidence du Syndicat national de la Banque pour le Groupe coopératif BPCE issu de la fusion de la Caisse nationale des caisses d’épargne et de la Banque fédérale des banques populaires. L’un et l’autre pratiquent depuis si longtemps le dialogue social entre employeurs et salariés qu’ils possèdent, en la matière, un niveau de compétence rarement égalé et auquel rendent hommage, dans la préface de leur ouvrage, le président du Medef, Geoffroy Roux de Bézieux, et l’ancien secrétaire général de Force ouvrière, Jean-Claude Mailly.

Néophytes et experts trouveront dans ce manuel de savoir-vivre ensemble à l’intérieur du monde du travail des exemples de relations sociales intelligentes qui leur seront très utiles. La lecture en est moins jubilatoire qu’une séance d’épilation chez Laura M. mais elle est plus profitable à l’intérêt général. Tout le monde, en haut lieu, devrait même, d’urgence, en lire le chapitre intitulé : Comment ne pas dépasser un point de non-retour ou inverser la spirale infernale

  • Dialogue social ou dialogue de sourds ?, Alain Condaminas et Frédéric Guyonnet, Vérone éditions, 180 pages, 16,50€.

Anthropoésie ?

“Pour tout l’or de Sainte-Claire”… C’est l’histoire ordinaire de l’un de ces villages ordinaires où il ne se passe jamais rien d’extraordinaire jusqu’au jour où… C’est une pure fiction mais celui qui la raconte, Jérôme Coll, né en Catalogne et demeurant à Céret, ne fait qu’emprunter son scénario et ses personnages à des réalités locales qui n’ont rien de fictif, ni dans son département des Pyrénées-Orientales ni dans aucun des autres terroirs d’Occitanie.

La vallée imaginaire où il situe son histoire, le Val d’Ursus, ressemble en tous points au Vallespir, la Vallée âpre, dont Céret est le centre urbain, et qui est aussi le haut-lieu pyrénéen des Fêtes de l’Ours. Quant à Sainte-Claire, son village tout aussi imaginaire, il emprunte un peu à presque toutes les localités du Vallespir : Arles-sur-Tech, Saint-Laurent-de-Cerdans, Serralongue, Coustouges, etc. Tous les habitants des environs s’y retrouveront donc avec plaisir car ce conte est plaisant.

Il s’agit, au demeurant, d’une histoire typique : récemment élu, le maire de Sainte-Claire endosse sa nouvelle fonction avec tranquillité. Jusqu’au jour où deux sympathiques néo-ruraux, venus de Corrèze, achètent sur la commune une friche pour y pratiquer la permaculture et y développer “un écohameau participatif à gouvernance partagée” … Et voilà le brave maire confronté aux turbulences que l’irruption des “modes de vie alternatifs” provoque immanquablement dans les communautés rurales qui restent ancrées dans leurs usages immémoriaux et ont peur d’en sortir.

Ethnologue de profession, Jérôme Coll porte sur le microcosme villageois de son “Pays catalan” un regard plein de tendresse. Son vécu personnel et l’abondance documentaire mise à sa disposition par les situations de ce genre, très répandues en Vallespir, lui inspirent une fresque attachante peuplée de personnages hauts en couleurs. Son éditeur va jusqu’à y voir une forme… “d’anthropoésie” ! Nous n’irons pas jusque-là car nous connaissons en Vallespir d’authentiques histoires sorties du même tonneau dont la charge conflictuelle agrémente plus les procès-verbaux de gendarmerie que la littérature poétique…

  • Pour tout l’Or de Sainte-Claire, Jérôme Coll, Librinova, 173 pages, 15,90€.

Alain ROLLAT
alain.rollat@orange.fr

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