Chronique littéraire : Diamant noir, conte solaire et histoire d’amour hors normes

Photo d'illustration Unsplash.

Chaque mois, le Sétois Alain Rollat propose un rendez-vous littéraire, le Marque-Page. Cet éminent journaliste, qui fut directeur-adjoint du Monde, nous fait découvrir les livres d’auteurs régionaux issus de maisons d’éditions d’Occitanie et d’ailleurs. C’est au tour de Gérard Muller, Claude Bresson et Laurent Charrier.

Polars gourmands

Le Toulousain Gérard Muller est en passe de devenir le maître queux du polar gourmand en Occitanie. Sa recette est très simple : il choisit un terroir réputé pour une spécialité gastronomique d’excellence ; il imbrique l’intrigue policière qu’il imagine dans le milieu professionnel concerné par cette spécialité ; il développe son roman en s’appuyant sur une documentation rigoureuse ; le résultat impressionne par la qualité de son expertise sur le terroir et la gourmandise choisis. Son savoir-faire est si éprouvé qu’il produit désormais deux polars gourmands par an.

 En 2021, La Fondue avait un Drôle de Goût mettait à l’honneur le fromage de Beaufort dans une enquête menée jusqu’au Val d’Aoste après la découverte des cadavres d’un homme et d’un chien retrouvés au bord d’une piste de la station de ski des Arcs. La même année, Du Piment dans le Foie Gras donnait, lui, la vedette au foie gras du Gers dans une enquête ouverte par la découverte d’un éleveur de canards retrouvé mort dans son atelier, assassiné après avoir été gavé avec du maïs.

Gers, Pyrénées-Orientales, bassin de Thau

 En 2022, Du Vinaigre Rouge dans le Grenache Noir montait en épingle la meilleure AOC des Côtes du Roussillon dans une enquête provoquée par la jalousie d’un viticulteur des Pyrénées-Orientales accusant de fraude un rival, capable, apparemment, de transformer, du jour au lendemain, une piquette en nectar. La même année, encore Ascenseur pour une Huître exaltait la qualité des coquillages du bassin de Thau dans un scénario commençant par la découverte d’un cadavre attaché au bout d’une corde servant à attacher les huîtres…

Gérard Muller excelle dans ce genre parce que son talent est très éclectique. Il y parvient parce que ses polars sont publiés dans un format de poche (17 cm/11,5) qui en rend la lecture facile partout, vendus à petit prix (10 € pour moins de 200 pages), donc accessibles à tous les lectorats et parce que son écriture sait s’adapter à tous les genres, y compris à la littérature fast-food qu’apprécie le public pressé.

Diamant noir du Minervois

Son nouveau polar miniature s’inscrit dans la continuité des quatre titres précédents. Concerto Gris pour une Truffe Noire met en valeur le diamant noir du Minervois. L’histoire commence quand un chien truffier déterre l’avant-bras d’une femme décédée depuis une semaine. Elle fait découvrir au lecteur, tout à la fois, la Montagne Noire et les subtilités de la cuisine aux truffes. Elle est aussi bien ficelée que les autres parce que Gérard Muller est lui-même un gourmet qui se régale de mélanger l’art du roman policier et l’art culinaire. Bravo l’artiste !

Mais la question est de savoir combien de temps un auteur peut user d’un procédé aussi répétitif sans courir le risque, un jour, de devenir indigeste…

  • Concerto Gris pour une Truffe Noire, Gérard Muller, Les Presses littéraires, 186 pages, 10 €.

“Un conte solaire”, dont l’auteur a eu l’idée “en regardant la mer à l’infini depuis son promontoire sétois”

La répétition est une figure de style précieuse. Elle est d’une utilité majeure en pédagogie. En littérature, comme en musique, son emploi permet à l’auteur de produire des effets positifs. On y recourt pour insister sur un point, marteler une idée, sortir d’un ronronnement, créer un rythme, accentuer une émotion, gonfler une sensation, donner de l’allégresse à l’écriture.

Mais son emploi nécessite du doigté parce que l’effet produit n’est pas le même selon le contexte dans lequel il intervient. Si l’auteur d’un texte ne recourt à la répétition que par précipitation, par habitude ou par facilité, elle perd son statut de figure de style pour devenir un procédé dont l’utilisation n’enrichit pas le texte mais, au contraire, l’appauvrit. Un nouvel auteur sétois, Claude Bresson, vient de publier un ouvrage, intitulé L’Altération, dont la structure illustre cette problématique.

Il s’agit, selon son éditeur, d’une “histoire fantastique”, conçue comme “un conte solaire”, dont l’auteur a eu l’idée “en regardant la mer à l’infini depuis son promontoire sétois”. On y entre facilement parce que Claude Bresson a la plume facile, légère, aussi assurée que les pinceaux et autres outils qu’il utilise avec bonheur dans l’art de la peinture et des collages impressionnistes, sa passion première. Une passion qui, selon sa biographie, s’exprime “aux marges du réel”, dans des œuvres aux couleurs vives ou diaphanes, posées par petites touches ou à grands traits, composant un univers imaginaire “aux confins des paysages et des constructions” sous un regard d’un “alchimiste” à la recherche “de plis telluriques propices aux contrastes…” Whaou !

Chant des sirènes et failles spatio-temporelles

Cette fiction commence à Sète, par un bel après-midi d’été, quand “une force irrésistible” aspire soudain les femmes dans la mer où elles disparaissent, tranquillement, sans raison ni explication, laissant, sur le rivage, les hommes désespérés, et, ici ou là, quelques femmes “empêchées” de répondre à cet étrange “appel du large” parce que coincées dans un ascenseur ou un garage…

La même chose, au même moment, se passe partout, ailleurs, dans le monde. Claude Bresson raconte comment ses personnages la vivent à New-York, Calcutta, Rio de Janeiro, Oran, Guelendjik (Russie) et jusque dans les rizières chinoises du Yuanyang, comme ils la vivent à Sète : dans un silence vidé de sens, les hommes éplorés pleurent les disparues. Jusqu’à ce qu’un “plissement temporel imprévu” les ramène progressivement chez elles…

Il y a là la combinaison de deux thèmes chers aux amateurs de science-fiction : le thème du chant des sirènes, popularisé depuis des siècles par l’Odyssée d’Homère ; et le thème des failles spatio-temporelles, dont on ne compte plus les adaptations, en littérature, depuis Le Voyageur Imprudent, de René Barjavel, paru en 1943, et au cinéma, depuis La Jetée de Chris Marker en 1962.

Répétition systématique des mêmes scènes à New-York, Calcutta, Rio de Janeiro, Oran, Guelendjik et Sète

Quand un nouvel auteur a l’audace de revisiter ces thèmes on s’attend donc à ce qu’il innove, surprenne, bouscule les clichés, se libère des influences. Claude Bresson fait exactement le contraire. Il surfe sur le “plissement temporel” qui est pourtant la clef du mystère fondateur de son scénario ; il ne cherche même pas à voir ce qui se passe sous les flots où disparaissent ses héroïnes. Son récit accorde plus d’importance aux états d’âme et aux pulsions amoureuses de ses personnages qu’à l’élucidation de l’énigme planétaire qui les hante. Du coup, la répétition systématique des mêmes scènes à New-York, Calcutta, Rio de Janeiro, Oran, Guelendjik et Sète apparaît comme une banale facilité.

Jusqu’à ce qu’on comprenne que Claude Bresson écrit comme il peint, pour son seul plaisir, à grands traits et à petites touches. L’écriture n’est pour lui qu’une autre façon de laisser libre cours à l’imaginaire sans se soucier de savoir si son expression littéraire sera bien comprise ou non.

“Utiliser la plume tel un filet à papillons imaginaires”

 Il s’en explique plus en artiste, au demeurant, qu’en écrivain : “Durant mon activité professionnelle “sérieuse”, en qualité de directeur des affaires sociales et de la formation du Groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales, la peinture était pour moi une sorte de nécessité vitale afin d’échapper à la monotonie du temps qui passe, vide de sens. Et, puis, à la retraite, sans doute libéré de toutes ces contingences obligées qui m’enfermaient, un puissant désir d’écriture m’est venu”.

Il ajoute : “Devant moi, les images défilaient. Il me fallait les capturer à la hâte avant qu’elles ne s’échappent. Je crois que tous mes romans – déjà huit – ont tous été d’abord, dans ma tête, des films défilant devant mes yeux émerveillés. Oui, c’est cela, utiliser la plume tel un filet à papillons imaginaires pour s’emparer des couleurs et fixer par des mots les mouvements volatils de la vie…”

 Les scènes répétitives de L’Altération ne sont donc, en quelque sorte, que les collages que Claude Bresson dispose, à petites touches, sur le support que constitue le livre une fois que les thèmes constitutifs du scénario ont délimité, à grands traits, le cadre à l’intérieur duquel l’auteur-chasseur lance son “filet à papillons imaginaires”.

Paul Valéry l’aurait réprouvé, Salvador Dali l’aurait adoré

Cela donne un ouvrage surprenant, hybride, qui s’affranchit des normes académiques de l’édition traditionnelle. Mais pourquoi pas ? Les codes sont faits, en littérature, pour que les écrivains s’en libèrent. Trop long et trop complexe pour être une nouvelle ; trop court, et trop elliptique, pour être un roman classique, il n’est, pour l’instant, qu’un objet littéraire fantasmagorique. Paul Valéry l’aurait réprouvé mais Salvador Dali l’aurait adoré. Il faudra attendre la publication des cinq ou six autres ouvrages déjà annoncés par l’auteur pour savoir vraiment à quoi s’en tenir sur l’ensemble de la mosaïque dont cette Altération n’est qu’une tesselle.

  • L’Altération, Claude Bresson, Vérone éditions, 110 pages, 14 €.

Une histoire d’amour hors normes

Comment raconter une histoire d’amour ? Raconter les choses, les événements et les êtres, Laurent Charrier sait le faire. Adolescent, il écrivait déjà des poèmes sur la vie, la mort, l’amour. Professeur d’histoire, il est entré en littérature en consacrant un ouvrage aux victimes de la Révolution en Vendée puis un roman policier sur fond d’histoire du IIIe Reich.

Ce natif de Marseille installé aujourd’hui à Sauteyrargues (Hérault) sait aussi faire de bons polars ex nihilo. Il en a déjà publié deux d’inspiration très différente. Mais raconter l’amour, révéler les secrets d’une intimité, le faire avec simplicité, sincérité, pudeur, et essayer de le faire comme on le ferait d’une histoire vraie, vécue, Laurent Charrier ne l’avait pas encore tenté.

Mon Alice est le produit de l’exercice personnel qu’il semble s’être imposé pour rompre avec les thrillers. C’est une histoire d’amour racontée avec une tendresse infinie. Laurent Charrier la met en scène à partir d’une scène de la vie quotidienne très ordinaire. Son héros, Christophe, est un bel homme de 53 ans. Chef d’entreprise, il vit séparé de sa femme, Nathalie, une pharmacienne avec laquelle il conserve toutefois des relations très amicales.

Découverte de cette vieille photo

Il est le père de deux filles, Christelle, 22 ans, et Sarah, 20 ans, très proches de lui. Un soir, alors qu’elles passent un moment chez lui, l’une des deux sœurs, en fouillant dans une vieille boîte remplie de vieilles photos, découvre un cliché montrant son père, trente ans plus tôt, alors qu’il avait 21 ans, en compagnie d’une jeune inconnue. La découverte de cette vieille photo bouleverse Christophe. Invité par ses filles à révéler l’identité de cette jeune femme, le père plonge dans ses souvenirs et leur raconte l’histoire d’amour qu’il a vécue avec Alice, une jeune fille de 18 ans rencontrée par hasard dans un hôpital où elle demeurait, malade, frappée par une maladie rare et incurable… C’est une histoire d’amour hors normes.

Une performance d’auteur

Comment la raconter ? Comment la raconter sans verser dans les clichés des romans à l’eau de rose ? Laurent Charrier, qui s’est imposé là, de toute évidence, un défi d’écriture, fait le pari, osé, de la raconter au présent, au “je”, sous la forme d’une longue conversation avec ses filles. Son récit durera toute la nuit, entre l’apéro et la fin d’un repas. C’est le choix de l’oralité. Un choix théâtral : unité de temps, unité de lieu, unité d’action. Le choix d’un huis clos. Le pari est audacieux parce qu’il impossible, en général – tous les romanciers le savent – de capter durablement l’attention du lecteur si l’on recourt à des dialogues interminables, et encore moins à des monologues. D’emblée, on redoute le pire, c’est-à-dire l’ennui.

Mais le talent et le savoir-écrire font parfois des merveilles. Le défi est relevé, le pari réussi. Laurent Charrier y parvient en intégrant dans son récit, construit comme une pièce d’orfèvrerie, en alternant les rythmes, en évitant les longueurs, en ménageant des instants de respiration, tout ce qu’il faut pour qu’une belle histoire d’amour devienne aussi haletante qu’un polar. Non seulement le livre ne vous tombe pas des mains mais, dès qu’on entre dans ce drame, on éprouve le désir d’en connaître l’épilogue. Laurent Charrier signe là une performance d’auteur.

  •  Mon Alice, Laurent Charrier, Editions Maïa, 186 pages, 20 €

Alain ROLLAT
alain.rollat@orange.fr

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