Élu il y a bientôt trois ans, Alain Luneau entame la seconde partie de son mandat marqué comme pour tous les maires par la parenthèse covid. Pour autant, les projets de ce village-station emblématique, à la notoriété d’envergure nationale, avancent, au coeur d’une saison de ski qui se présente bien.
Depuis votre élection, le 15 mars 2020, vos projets avancent-ils comme vous le souhaitiez ?
Pas nécessairement. Je fais partie des gens pressés qui ne sont pas habitués à la vie élective et à la fonction territoriale. C’est un peu compliqué de se plier à ça quand on a vécu longtemps dans le privé {il a été le directeur de la station de Font-Romeu de décembre 2002 au début de la prelmière DSP Altiservice, à fin 2018, Ndlr}. Il faut s’adapter. Maintenant, ça va mieux, même si mon organisation nécessite que je sois souvent présent en mairie. Et, somme toute, tout ce temps de présence est relativement inefficace… On devrait pouvoir être efficace avec la moitié moins de temps de présence. Depuis deux ans, je suis aidé par un directeur général des services qui organise et rythme la vie municipale ; il effectue les suivis administratifs avec l’ampleur qu’il faut en fonction de l’importance du sujet ; moi, j’accordais le même poids à pratiquement tout.
Hôtels, centres sportifs, bien-être… : Font-Romeu entame “une renaissance”
Quel bilan tirez-vous de votre action à mi-mandat ?
Il n’est pas extrêmement positif mais c’est indépendant de notre volonté : la période du covid nous a fait perdre du temps. Depuis, c’est plutôt satisfaisant. Pour la bonne marche de la municipalité et des projets qui se structurent bien, il fallait restructurer les services administratifs et techniques partout où ça pêchait. C’est le socle. C’est fait ou en cours de perfectionnement.
Ça donne une légitimité : la population voit que l’on s’occupe de la ville ; les services sont très présents. Côté administratif, l’ambiance et la réorganisation fait que les services s’entendent bien et se coordonnent bien. C’était une nécessité absolue de compter sur sa base. Du coup, le projet politique peut se mettre en place. On sent du mieux ; la population et les services nous le disent. C’était une période d’apprentissage. Le temps de mettre en route mille et un sujets qui n’avaient pas été faits depuis longtemps, sans agressivité envers mes prédécesseurs.
Par exemple… ?
Au niveau des services techniques, au-delà de la restructuration, il y avait aussi un plan de renouvèlement des matériels, des engins, des véhicules. C’est la base. Il faut systématiquement prévoir cela dans le budget annuel quand on doit changer deux ou trois engins chaque année. C’est fait. Pour le déneigement, par exemple, nous bénéficions d’engins de qualité en nombre suffisant avec les formations qu’il faut. On répond présent. C’est appréciable et apprécié.
La saison de ski se présente-t-elle bien ?
Oui. Avec nos amis de la commune de Bolquère, nous sommes réunis dans le cadre d’un Sivu depuis 20 ans. Celui-ci a relancé la délégation de service public au printemps 2022. C’est la même société, Altiservice, qui a été reconduite pour 25 ans avec 30 M€ d’investissement prévus. Ils vont retoucher le domaine skiable qui reste notre force et notre richesse.
Comme nous sommes encore loin de ne plus avoir de ski, il faut continuer à investir avec les circulations sur le domaine. On a aussi prévu, et c’est une demande y compris des services de l’État, de commencer à prévoir une orientation nouvelle, sans parler du “quatre-saisons” – cela signifierait que les Français auraient des vacances toute l’année…- mais des ailes de saison plus longues.
Ces investissements, de quelle nature sont-ils ?
Il y a du remplacement de matériels, plus performants, plus rapides qui vont améliorer la fluidité sur le domaine skiable. Il y a, notamment, à Font-Romeu, le renouvèlement de la télécabine qui part du centre-ville pour arriver au pied du domaine skiable. Agée (elle date de 1976 !) et en terme de débit, elle est obsolète. Dès décembre 2023, une nouvelle télécabine sera mise en place avec une gare de départ un peu plus bas, au bord de la route, en lieu et place de l’office du tourisme actuel.
Ce qui va nécessiter, entre autres, d’abattre quelques bâtiments en coeur de ville. Les reconstructions futures se feront autour de cette “gare”. Ce sera donc la première opération de notre projet Aménagement en centre-ville. C’est, en fait, une coïncidence puisque c’est notre délégataire, Altiservice, qui fait l’investissement et nous nous sommes regroupés pour travailler autour et en même temps que ce renouvèlement.
Croyez-vous au ski aussi loin dans le temps malgré le réchauffement climatique ?
Actuellement, Font-Romeu tire son épingle du jeu grâce à ses 514 canons à neige pour 43 km du domaine skiable et ses huit dameuses dotées de radars mesurant l’épaisseur de la couche de neige. Font-Romeu était précurseur pour les enneigeurs. Les sports d’hiver sont nés chez nous ont failli être lancés en 1913 mais la Première Guerre mondiale était imminente ; mais le Touring club français avait choisi Font-Romeu depuis très longtemps. Le Grand hôtel avait été bâti à cet effet. Les sports d’hiver existaient en 1900 et le ski en 1915-1920. Les gens montaient avec leurs skis sur l’épaule et puis un jour ils ont été fainéants ; on a construit des téléskis dans les années 1930… C’est le prince de Monaco qui est venu en 1920 lancer les sports d’hiver officiellement à Font Romeu.
Le résultat de la station est en hausse de quelques pourcents par rapport à l’année dernière qui était déjà une année exceptionnelle, conforme aux chiffres nationaux du secteur. L’année dernière, le chiffre d’affaires de la station était de 14 M€. Traditionnellement, on réalise la moitié du chiffre d’affaires annuel aux vacances de février.
La collectivité n’a pas de bureau d’études. En revanche, nous bénéficions de l’étude Climsnow, reconnue par le Giec dont elle compile les données. Et qui promet que au-delà des 25 prochaines années, il y aura toujours suffisamment de froid pour fabriquer la neige. Et suffisamment de neige pour assurer une saison correcte, d’environ 120 jours d’exploitation nécessaires par an. À Font-Romeu comme à Pyrénées 2000.
La station doit faire face à ce fameux nouveau débit minimum vital pour les milieux aquatiques de la Têt ; quelles conséquences engendre cette limitation d’une eau si vitale pour vous, les Pyrénées-Catalanes et les vallées ? (1)
Il y a eu une décision du tribunal administratif de Montpellier du 22 novembre et publié le 29 novembre n’a été connu que tardivement et cela a généré une manifestation de tous les métiers (agriculteurs, arboriculteurs, éleveurs…) Le préfet vient de faire appel de cette décision {qui oblige à un débit minium de la Têt de 1 500 litres par seconde au lieu de 600 litres par seconde jusque-là pour limiter les prélèvements agricoles, Ndlr) mais il n’est pas suspensif.
Tel que le nouveau débit réservé est prévu, notamment sur un tronçon en basse vallée de la Têt, cela a des répercussions jusqu’au barrage des Bouillouses, près de Font-Romeu, où la commune puise l’eau potable et celle des canons à neige. Or, pour l’assurer, ce nouveau débit, il ne faudrait plus y emmagasiner d’eau ; il faudrait le laisser ouvert. Et le barrage serait vide dès la fin août…
Il y a des études qui vont nécessiter au moins une année complète, soit quatre saisons. En attendant, pour ne parler que de l’eau potable, il est inimaginable d’habiter à côté d’un barrage et de ne pas en bénéficier ! Il s’agit de l’eau potable d’au moins trois communes : Bolquère, Egat et Font-Romeu n’auraient ainsi plus d’eau ! Il y a une tranche d’eau importante utilisée par la Shem (Société hydroélectrique du Midi) pour l’énergie : il n’y aurait donc plus de production d’électricité et enfin l’eau des canons à neige qui ne peut pas dépasser 540 000 mètres cubes par an – qui ne les atteint jamais, on prélève de l’ordre de 450 000 m3 à 480 000 m3 – sur un barrage qui contient 18 millions de mètres cubes.
Et cette eau prise pour les canons est prise à l’intérieur du volume réservé à l’énergie. C’est difficile de croire qu’il n’y aurait là non plus de prélèvement possible. Mais on a peur. On a peur pour l’économie générale des plateaux et le tourisme. La station de Font-Romeu est la première des Pyrénées-Catalanes. Elle a une aura et une influence importantes ; on ne peut se priver de cette eau. Il y a une vie économique, sociale énorme en jeu. C’est inimaginable.
Côté tourisme, justement, votre cheval de bataille, c’était la montée en gamme de l’hébergement, cela le reste-t-il ?
Il y a des initiatives privées, comme celle de Jean Parent qui réalise un quatre-étoiles, l’Ermitage, à l’entrée de Font-Romeu. C’est très long mais c’est en phase d’achèvement. On a pu lui vendre les murs il y a un peu plus d’un an. Il peut travailler sur son projet en toute sérénité. Il y aurait là un très bel établissement qui accueillera du monde à l’entrée du corridor olympique de la cité pré-olympique. Ce qui contribuera au rayonnement de Font-Romeu.
Il y a d’autres initiatives, privées celles-là, en cours. Pour la création de résidences hôtelières de grande qualité qui sont en train de voir le jour ou qui ont vu le jour. Côté public, l’aménagement du coeur de ville de Font-Romeu passera aussi par la création d’un hôtel de qualité avec du bien-être aquatique et une salle de séminaire.
Comme Angléo, aux Angles, une commune-station voisine…?
Je ne copie pas les Angles ! Déplacez-vous dans les stations qui reçoivent du monde… À Font-Romeu, en période de vacances, nous avons de 20 000 à 25 000 vacanciers dans le village chaque semaine ! Et plus de la moitié ne font pas de ski ; ils viennent à Font-Romeu pour Font-Romeu. Ils viennent sur une destination où ils vont se plaire ; et c’est souvent les non-skieurs qui choisissent justement la destination. On a donc tout intérêt à choyer les non-skieurs. Dans les Alpes, et maintenant dans les Pyrénées, beaucoup de stations proposent des solutions de bien-être aquatiques. C’est devenu une nécessité. Alors, on n’est pas obligés de faire comme aux Angles (lisez l’article de Dis-Leur ! ici).
Plus personne ne skie toute la journée. D’où l’intérêt d’avoir des activités “péri-ski”. Nous ne serons pas les pionniers mais nous serons dans le mouvement.
Ce projet autour de l’eau, des bassins, du ludique, est donc acté… ?
Oui. C’est une initiative publique dans le cadre de l’aménagement du coeur de ville. Après, est-ce que l’on ira chercher le concours d’entreprises privées…? Nous en sommes, pour l’instant, qu’à avoir ébauché les différentes “strates” qui seront colonisées au fil des années. La strate zéro se passera devant l’office du tourisme, devant la place des Comtes de Cerdagne avec des bâtiments qui vont être abattus ; avec l’implantation d’un nouvel office de tourisme et l’arrivée d’une nouvelle télécabine ; plus une halle sur la place.
Quinze mètres plus haut, ce sera la plate-forme de l’ancienne école. Là, il y aura de l’hôtellerie avec une salle de spectacle, ou de congrès ou de séminaires. Le complexe aqua-ludique pourrait être contigu à cet hôtel ou à l’entrée de la commune, cela reste à définir. La 3e strate sera consacrée au sport. Au plus haut de Font-Romeu, où il y a le départ du golf, les terrains de tennis, il y a aussi un immense bâtiment, Les Chalets. Et le centre Colette Besson. Ce dernier est formidablement bien tenu mais obsolète, les structures prennent l’eau ; il n’y a pas assez de volume. Dans les années à venir, il sera démonté et transposé quelque part ou reconstruit à côté.
Votre projet a besoin d’un budget de combien ?
Nous ne le savons encore ; c’est la prochaine étape. Nous devons valoriser tous les biens, notamment les terrains que le commune va mettre à disposition dans l’affaire, et qui viendront en soustraction du montant global. De ce montant du résultat obtenu dépend la possibilité ou non de tout réaliser (les trois strates) par la collectivité qui va devoir nécessairement emprunter. Je pense que fin février nous aurons bien dégrossi les choses et nous aurons une vision réaliste. Il nous reste également à connaître toutes les aides auxquelles nous pouvons prétendre, avec des montants raisonnables.
Il y a aussi, par ailleurs, un projet porté par des cardiologues toulousains qui ont le projet de créer un centre de remise en forme pour leurs patients convalescents pourrait se greffer autour des établissements hôteliers ou près des installations sportives existantes.
Et les JO 2024, quel rôle va jouer Font-Romeu, a-t-elle l’ambition d’une base arrière ?
À un moment, il faut faire la part des choses. Je ne me désolidarise pas mais il faut savoir qui fait quoi. Des athlètes internationaux viendront s’entraîner chez nous parce que nous avons une cité pré-olympique, les structures du CNEA, Centre national d’entraînement en altitude. On ne connaît pas le nom des délégations qui viendraient éventuellement. Les athlètes qui veulent préparer au mieux de grandes échéances comme les JO évitent de le dire pour pouvoir s’entraîner en toute quiétude. On aura, sans nul doute, des équipes étrangères. La Région Occitanie, propriétaire des installations, et l’Etat, qui assure leur fonctionnement, sont évidemment des moteurs dans cette aventure.
Et le Train Jaune, le Canari, que va-t-il devenir ?
Il faudrait qu’il continue mais qu’il fonctionne différemment. Ce n’est qu’un train touristique qui fonctionne pour les touristes. Ça vivote plus qu’autre chose. On ne peut pas l’utiliser et dire que c’est une vraie solution de locomotion. Que faudrait-il faire ? Il faudrait qu’il ait davantage de rames ; qu’il y ait davantage de fréquences…
Nous sommes désignés par la Région avec trois autres gares principales, la Tour de Carol, La Cabanasse et Villefranche-de-Conflent. Nous allons bénéficier d’aménagements importants, de pôles d’échanges multimodaux avec des cars qui vont permettre d’avoir des mobilités pour arriver au centre-ville plus aisément {actuellement la gare du Train Jaune pour Font-Romeu c’est à Odeillo-Via à quelques kilomètres du centre-ville du village, Ndlr}.
Vous allez avoir besoin d’un second mandat avec tous ces projets…!
(Rires). On en reparlera le moment venu !
Olivier SCHLAMA
(1) Ce jugement du tribunal administratif de Montpellier est venu exacerber les crispations. Saisie par l’association France Nature Environnement, la juridiction a décidé, fin novembre, d’augmenter le débit de la Têt jugé nécessaire pour la biodiversité du fleuve : autant d’eau en moins pour l’agriculture mais aussi… pour Font-Romeu.
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