Burn out parental : Quand les trop “bons” parents n’en peuvent plus…

Le phénomène préoccupe, davantage encore chez les parents d’enfants handicapés pour lesquels il existe des solutions de répit. Moïra Mikolajczak, professeure de psychologie à Louvain, intervenant à Sète ce jeudi, nous amène à repenser la relation avec nos enfants malgré la hausse des standards d’exigence, à oublier la notion de perfection, “toxique” ; ne pas répondre aux injonctions permanentes, y compris de l’Etat…

Le burn out professionnel, tout le monde connaît ; le burn out parental, ce non-dit tabouisé, commence à être reconnu ; quant au burn out des parents d’enfants handicapés… Ludivine Benoît est directrice régionale de la branche handicap du Groupe SOS Solidarités, association qui regroupe 20 000 salariés dans différents domaines : demandeurs d’asile, problématiques d’addiction, de SDF, et du handicap. Elle dit à propos du colloque qu’elle organise ce jeudi à Sète sur ce sujet qui s’est imposé de lui-même à l’occasion de la Journée nationale des aidants : “Il n’y a pas assez de places en établissements spécialisés depuis longtemps pour ces enfants souffrant de handicap. On a accumulé beaucoup de retard et il y a aussi beaucoup de nouveaux arrivants dans notre région. Mais il y a des solutions intéressantes.”

En France, actuellement, on compte 6 % de parents en burn out. Cela ne comprend pas ceux qui l’ont été et qui ne le sont plus et ceux qui vont y plonger…”

Moïra Mikolajczak

Moïra Mikolajczak, professeure de psychologie à l’université catholique de Louvain, en Belgique, qui intervenait ce matin à Sète, étudie ce phénomène qui prend de l’ampleur. “En France, dit-elle, actuellement, on compte selon plusieurs études, 6 % de parents en burn out. Cela ne comprend pas ceux qui l’ont été et qui ne le sont plus et ceux qui vont y plonger…” Il n’y a pas de statistiques avant 2017. On ne peut pas quantifier une possible hausse des cas mais “on peut avoir des indices indirects : on en parle beaucoup plus. En tout cas, cela préoccupe davantage”, dit-elle.

Mais qu’est-ce donc que le burn out parental ? Moïra Mikolajczak en donne une définition précise :“C’est un syndrome d’épuisement mais un syndrome contextuel. Dans le burn out professionnel, on finit en arrêt maladie et peu à peu, normalement, cette souffrance va se résorber. Le burn out parental est lié, lui, à la parentalité.” Au passage, on ne dit d’ailleurs plus du tout j’élève mon enfant mais on parle de bonne ou mauvaise parentalité…

Épuisement, distanciation affective, perte d’épanouissement…

Moïra Mikolajczak, professeure de psychologie à l’université catholique de Louvain, en Belgique, spécialiste du burn out parental. Ph. DR.

Quatre grands symptômes caractérisent le burn out parental. “Le premier, énonce-t-elle, c’est l’épuisement, pas la simple fatigue qui part après deux ou trois bonnes nuits de sommeil. Là, la simple pensée de ce que vous devez faire pour ou avec vos enfants, vous donne déjà l’impression d’être au bout du rouleau. Le second, c’est ce que l’on appelle la distanciation affective : tout comme l’employé dans le burn out professionnel qui va commencer à se détacher de son travail (l’infirmière qui ne parle plus de sa patiente mais d’un numéro de chambre), ici les enfants on ne va pas être spécialement contents quand ils rentrent à la maison après l’école. On leur dit très vite : “Arrête tes jérémiades…” On les écoute d’une oreille distraite ; en gros, on est en mode automatique. Comme un robot.”

“On ne se reconnaît plus en tant que parent” et on peut se demander : mais qu’est-ce que j’ai raté ?

Le troisième symptôme c’est la perte d’épanouissement. “On n’est plus heureux d’être parent. Ce n’est pas que l’on n’aime plus son enfant, cela n’a rien à voir mais on perd le plaisir d’être avec eux. Typiquement, ces parents-là vont nous dire : j’adore mes enfants mais quand je suis avec eux c’est un sentiment d’épuisement qui domine. J’adore aller les voir de nuit, quand ils dorment, parce que c’est à ce moment-là que je peux ressentir à nouveau tout l’amour que j’ai pour eux. Sinon, quand il est éveillé, ce sont des émotions négatives qui prédominent.” Le dernier symptôme consiste à ressentir un “contraste entre le parent que l’on était et celui que l’on voulait être. On ne se reconnaît plus en tant que parent”. Et on peut se demander : mais qu’est-ce que j’ai raté ? “Et vous avez honte du parent que vous êtes devenu qui ne correspond pas à l’image que vous vous en faisiez.”

Goûters hyper-structurés, robotisation des tâches…

Les parents d’enfants handicapés se noient, eux, en plus, dans des démarches administratives très lourdes. “Ils portent la situation de leur enfant à bout de bras, explique Ludivine Benoît. C’est terrible et il faut faire avec le fonctionnement de l’Education nationale qui a du mal à s’adapter à ces situations particulières…”

Les parents d’enfants handicapés sont comme les autres parents de notre époque : en quête de perfection ; de gestion des activités, y compris extra-scolaires ; de goûters d’anniversaire hyper-structurés où il ne manque pas une bouteille de Champomy, qu’ils en sont épuisés par la robotisation des tâches…Avec des mamans qui sont souvent dans l’obligation d’arrêter de travailler et qui ne se donnent pas le droit d’aller mal parce qu’elles doivent tenir en permanence…”

On aimerait que cette souffrance-là soit reconnue et se dire surtout qu’il y a des solutions permettant d’offrir un peu de répit…”

Ludivine Benoît

Ludivine Benoît souligne : “l’idée de ce colloque, c’était de dire : les parents ont des vies hypercomplexes. En souffrance, manquant de moyens, de relais et on aimerait que cette souffrance-là soit reconnue et en parler librement pour que les parents dans la salle se disent : “On n’est pas les seuls à vivre ça”. Et se dire surtout qu’il y a des solutions permettant d’offrir un peu de répit. Avec un accompagnement de qualité pour son enfant même s’il n’est pas encore dans un établissement médico-social.” Quelles sont-elles, ces solutions ?

Parmi les solutions, un numéro unique : 0800 360 360

Ludivine Benoît  énonce : “Il y a ce que l’on appelle des communautés 360 qui ont été mises en place lors de la crise covid par l’ARS, l’agence régionale de santé, avec 16 associations gestionnaires qui y participent. Et on peut les appeler en composant un numéro unique : le 0800 360 360. Qui est pour tout le monde : les personnes en situation de handicap et les aidants quel que soit leur âge. En composant ce numéro, l’appelant est mis en relation avec un professionnel du médico-social de son département qui va tenter de trouver des solutions. Il y aussi une association, Halte-Pouce, qui propose des solutions de répit. Qui peut proposer aussi des séjours d’une semaine ; d’une journée ; des interventions à domicile…”

“Des équipes mobiles qui puissent intervenir dans des centres de loisirs, pendant les vacances”

Ce n’est pas tout. “Il y a aussi des solutions de familles qui se sont regroupées avec des temps de rencontre régulier pour pouvoir échanger sur les problématiques ; faire du partage d’expérience pour faciliter les démarches administratives ; donner des bons conseils… Et, enfin, il y a désormais une dynamique en place auprès de l’ARS, notre financeur. Celle-ci a développé plein d’appels à projets avec des équipes mobiles qui puissent, par exemple, intervenir dans des centres de loisirs, pendant les vacances scolaires, pour que ceux-ci deviennent inclusifs ; pour cela, ils ont des éducateurs spécialisés ; des psychomotriciens… C’est en cours d’attribution avec un budget de 500 000 €. Il y a aussi eu des appels à projets pour développer des actions culturelles, des actions sportives, etc.

Oui, c’est extraordinaire d’être parent ; on nage dans le bonheur, c’est vrai ; mais on m’a juste caché l’autre moitié de cette vie-là !”

Reste qu’être parent, c’est un sacré métier ! Ce sont des héros ! Lorsque son premier enfant est né, en 2012, Nadège a eu la très nette impression de s’être fait avoir. “Tout le monde m’avait menti, grimace cette femme de 34 ans. Oui, c’est extraordinaire d’être parent ; on nage dans le bonheur, c’est vrai ; mais on m’a juste caché l’autre moitié de cette vie-là ! Mon gosse n’a pas dormi pendant deux ans. J’ai fini en burn out… On m’avait caché la moitié de la réalité de la vie de parent. J’étais épuisée, mon enfant ne dormait pas.” Quand elle commença à évoquer un possible burn out, les langues des amis se sont alors déliées…

Nadège a trouvé du réconfort sur une page Facebook, Parent épuisé (527 000 followers). Le sujet est austère voire difficile mais le ton y est résolument humoristique (“La communauté décalée des parents qui ont décidé de rire de leur condition de parents épuisés”). Ça aide. Exemples : “Mon mari et moi avons décidé de ne pas avoir d’enfant… Nous allons le leur dire ce soir.” Ou : “Si vous pensez toujours que l’éducation parfaite existe, sachez que je suis pédiatre et mon enfant mange des fraises trempées dans du ketchup pour le dîner ce soir.”

Si vous vous comportiez aujourd’hui comme un parent d’il y a 50 ans, on vous taxerait de négligent”

Pourquoi certains parents se sentent-ils sous l’eau, totalement dépassés, en burn out ? Les enfants ne sont pas plus pénibles qu’il y a 50 ans…! “Vous avez tout à fait raison ! Mais beaucoup de choses ont changé, confie Moïra Mikolajczak. D’abord, la manière dont les jeunes parents ont investi leur parentalité. Si on remonte à un demi-siècle, les critères d’un bon parent n’étaient pas du tout les mêmes. Si vous vous comportiez aujourd’hui comme un parent d’il y a 50 ans, on vous taxerait de négligent. Pourquoi ? Parce que vous enverriez vos enfants à vélo toute une après-midi sans surveillance ni aucun moyen de savoir où ils sont ; vous les laisseriez jouer sur une place sans surveillance, sans savoir si c’est adapté ; et vous ne vous soucieriez pas de savoir si le programme qu’ils regardent à la télé est adapté. À l’aune des standards d’aujourd’hui, on serait taxés, oui, de parents négligents.”

“Avec, à chaque fois, l’idée que si on ne respecte pas ces recommandations, votre enfant va mal se développer. Ce qui est faux !”

Les parents d’aujourd’hui sont placés sous le bombardement d’injonctions permanentes. “Voilà. Le nombre d’injonctions a augmenté ; c’est lié à l’augmentation des connaissances en médecine, en psychologie, en éducation, et à la diffusion de celles-ci par les réseaux sociaux, abonde Moïra Mikolajczak. Une diffusion qui est en général simplifiée. Du coup, on assiste à une hausse de l’exigence en même temps que des standards de parentalité. Avec, à chaque fois, l’idée que si on ne respecte pas ces recommandations, votre enfant va mal se développer. Ce qui est faux !”

“Les parents comptent entre 5 % et 12 % de la qualité du développement de leurs enfants”

Les parents sont aussi en quête de la perfection. Moïra Mikolajczak livre un aspect méconnu selon elle : “On nous laisse croire que nous, parents, on a un rôle déterminant. En réalité, c’est un mythe : à deux, les parents comptent entre 5 % et 12 % de la qualité du développement de leurs enfants. Bien sûr, si vous violentez votre enfant, si vous l’humiliez c’est presque la garantie d’un mauvais développement. Mais en donnant une éducation normale, vous ne garantissez pas un bon développement. Il y a tout l’environnement non familial, les professeurs ; la culture, etc. Et puis l’Etat responsabilise de plus en plus les parents et se déresponsabilise. Ce qui l’arrange bien.”

Car il y a un discours politique de plus en plus normatif de ce qui serait la “bonne parentalité”, sous l’influence de la fameuse éducation positive (lire plus bas). Même si, en 2006, dans un rapport titré Evolution de la parentalité, enfants Aujourd’hui, parents demain publié à l’occasion d’une conférence des ministres européens chargés des affaires familiales, on peut lire notamment en conclusion : “Les parents ne sont pas et ne devraient pas être laissés seuls face à leurs responsabilités (…) Les etats parties ont le devoir de veiller à ce que les parents aient accès aux ressources et aux conditions nécessaires pour leur permettre d’élever leurs enfants de façon positive.”

Plus près de nous, en 2022, le ministère de la Santé a signé une charte nationale du soutien à la parentalité ainsi qu’un dispositif d’acompagnement baptisé les “1 000 premiers jours” (application, site et livret), rappelant que les trois premières années de l’enfant sont “une période de grande vulnérabilité”

Dissolution des liens sociaux

Autre facteur qui a beaucoup changé depuis 50 ans, “c’est la dissolution des liens sociaux. “Votre grand-mère devait sans doute être régulièrement assise sur une chaise devant sa porte ; on sortait ; on parlait avec ses voisins ; il y avait en même temps les enfants qui jouaient dans la rue et il y avait toujours un parent qui surveillait les enfants d’un oeil… Ça s’est complètement perdu. Les parents sont aujourd’hui très seuls. C’est un facteur majeur. Dans le monde, la prévalence des burn out est particulièrement élevée dans des pays qui sur-responsabilisent les parents. Et où, en plus, il n’y a plus de support social informel.”

Les réseaux sociaux n’y sont pas pour rien : chacun y partage le meilleur de sa parentalité ; personne n’y poste la vidéo de ses enfants tout sales qui se vautrent devant la télé ou qui s’arrachent la télécommande du poste…”

En utilisant le mot burn out, on emprunte un terme issue de la pensée managériale. Donnant l’impression que les parents doivent être les P.-D.G de leur famille… ! “Vous avez raison ! Il y a une pression infernale qui pèse sur leurs épaules, partage Moïra Mikolajczak . Et les réseaux sociaux n’y sont pas pour rien : chacun y partage le meilleur de sa parentalité ; personne n’y poste la vidéo de ses enfants tout sales qui se vautrent devant la télé ou qui s’arrachent la télécommande du poste… Ou la frustration devant un paquet de bonbons que vous leur refusez au supermarché. Non, on se montre tout souriant, heureux. Chacun ne poste que ses réussites, pas ses échecs que l’on garde pour soi.” 

Qu’en est-il de la fameuse éducation positive qui ne reconnaît que les affects des enfants et nie les affects des parents ? Moïra Mikolajczak dit : “Il faut être nuancé. Il faut distinguer la parentalité positive originelle selon la littérature scientifique et les textes fondateurs et tout ce que l’on en a fait aujourd’hui. Si on regarde les traités européens en la matière eux-mêmes se basant sur la littérature scientifique, la parentalité positive c’est deux choses : la chaleur, la bienveillance, une attention aux besoins de l’enfant et, de l’autre, un cadre, des limites et la prise en compte des besoins des autres.”

Elle ajoute : “Les meilleures issues parentales allient ces deux concepts. Mais il y a 50 ans, justement, tous les parents étaient fermes et autoritaires ! Et donc, forcément, les nouveaux parents se sont dit : il faut aussi être chaleureux et bienveillants. Il est normal que les premiers auteurs aient attiré l’attention sur cette notion-là mais, au fil du temps, le cadre s’est perdu. Et on en arrive à des dérives complètement folles où certains prétendent que tout cadre, toute limite est une violence pour l’enfant ! C’est archifaux.”

Vouloir la perfection est “toxique pour soi et les autres”

Le burn-out, sujet tabou mais inquiétant… Photo D.-R.

Pour Moïra Mikolajczak, professeure de psychologie à l’université catholique de Louvain, il existe des solutions pour rééquilibrer les choses. “Il faut déjà se rappeler que le déterminisme parental est un mythe. Et si on n’est pas des parents humiliants et violents, et si l’on est suffisamment bons, c’est déjà une bonne chose. Ensuite, se dire et se répéter que la perfection – qui n’existe pas et donc on est forcément déçu de ne pas y arriver – est toxique.”

“Elle est toxique pour soi et toxique pour l’autre : l’injonction de perfection, vous l’a mettez aussi sur les épaules de votre enfant qui lu aussi pensera qu’il doit être parfait. Pire, de la même manière que l’on a construit nos muscles parce qu’on a fait l’effort de se lever, que l’on a appris plein de choses parce que l’on est tombé, eh bien, psychologiquement, on construit notre résilience sur l’adversité. Toute une partie de nos forces se construit sur les faiblesses de nos parents. Et donc c’est très important pour son enfant d’être confronté à une certaine adversité pour qu’il puisse développer sa propre résilience. Dans le monde en crise dans lequel on vit, ce serait presque criminel de priver les enfants de possibilités d’une résilience.”

“Balance parentale déséquilibrée”

Les parents d’enfants handicapés supportent un poids supplémentaire. “Il n’y a pas de différence fondamentale entre parents d’enfants handicapés et non-handicapés. Le burn out est vécu de la même manière. Il survient chez tout parent qui, pendant trop longtemps, va avoir sa “balance parentale” déséquilibrée. Cette balance est faite de  facteurs qui vont augmenter votre stress ; avoir un enfant handicapé en fait partie comme vouloir atteindre une soi-disant perfection et ceux qui vont alléger ce stress, comme le soutient d’un parent, de voisins, de grands-parents.”

“Que puis-je faire pour retirer un facteur de stress ?”

Et, ajoute la spécialiste, “certains parents d’enfants handicapés vont trouver des ressources pour obtenir de l’aide d’institutions, de professionnels qui vont poser un diagnostic précoce. Et, à côté de cela, il y a en effet des parents qui vont se sentir très seuls, sans moyens financiers ni humains avec un diagnostic tardif générant des tensions dans le couple, une fratrie qui peut vivre mal la situation, etc. Ces parents-là ont leur “balance” déséquilibrée. L’enjeu, c’est qu’est-ce que je peux retirer comme facteurs de stress. Pour un enfant handicapé, le handicap est là : on ne peut pas le retirer. Mais que puis-je faire pour retirer un facteur de stress ? C’est là que le tissu associatif, notamment, doit se développer absolument partout et pas seulement dans les grandes villes.”

Olivier SCHLAMA

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