Biodiversité : L’étang de Thau, sanctuaire-nurserie qui peut sauver la Grande Nacre

Grande nacre dans l'étang de Thau juin 2011 Renaud Dupuy de la Grandrive

La lagune abrite une population inégalée de quelque 100 000 de ces coquillages, partout en voie d’extinction. De quoi imaginer repeupler d’autres sites durement touchés par un parasite mortel. Le Syndicat mixte du bassin de Thau pilote ce projet unique mis en oeuvre avec l’aide des conchyliculteurs et financé par France nature environnement.

Nul ne sait pourquoi. On suppose que la salinité et la température – et leurs variations – et l’écosystème de l’une des plus grandes lagunes de Méditerranée y sont pour quelque chose dans sa vitalité hors normes mais une chose est sûre : la Grande Nacre, espèce protégée, et en danger critique d’extinction, se plaît dans l’étang de Thau. Au point que le plus grand coquillage du monde, après le bénitier, pullule ! Alors que partout ailleurs elle est en voie de disparition.

“Ce sont des populations denses mais surtout saines : il n’y a pas de mortalité et il y a de la reproduction”

Responsable biodiversité et Natura 2000 au Syndicat mixte du bassin de Thau, Camille Pfléger rapporte qu’il y a “une population importante dans l’étang de Thau, sans doute la plus importante des lagunes qui en abritent : quelque 100 000 grandes nacres et c’est sans doute une estimation basse” pour une surface de 7 500 hectares. Et elle se portent très bien, allant même jusqu’à 25 individus pour 100 m2, notamment sur les bancs de sable de l’étang de Thau, les fameux “tocs”.

“Ce sont des populations denses mais surtout saines : il n’y a pas de mortalité, il y a de la reproduction, année après année, on constate qu’il y a des individus qui s’y installent. Les herbiers et les tapis d’algues, habitats privilégiés du coquillage, semblent aussi jouer un rôle positif.” Ces prairies sous-marines se sont développés ; le milieu, en général, s’est assaini grâce à une politique de restauration volontaire.

Il existe un programme européen, Life (lire la vidéo ci-dessus), pour la sauvegarde de la Grande Nacre dont l’institut océanographique Paul-Ricard, dans le Var, est le chef de file français, dont les scientifiques pourraient peut-être un jour expliquer pourquoi la grande nacre survit bien dans la lagune de Thau. “Il existe plusieurs sites d’études en France mais Thau fait office de site central avec une densité de populations de grandes nacres qui n’existe nulle part ailleurs”, précise Camille Pfléger.

“La grande nacre a quasiment disparu en mer ouverte, comme l’est la Méditerranée”

Grande Nacre. Ph. Renaud Dupuy de la Grandrive

C’est l’un des derniers sanctuaires pour la conservation de l’espèce. “L’étang de Thau pourrait servir de nurserie pour de possibles tentatives de repeuplement ailleurs”, confie Camille Pfléger. Depuis 2016, les populations de Pinna nobilis, le nom savant de la Grande Nacre, sont victimes d’un parasite, Haplosporidum pinnae. Résultat, souligne Camille Pfléger, “la Grande Nacre a quasiment disparu en mer ouverte, comme l’est la Méditerranée. On a observé des poches de résistance à ce parasite dans des lagunes méditerranéennes dont l’étang de Thau. Le parasite y a été présent en 2021 ; il y a eu des grandes nacres qui sont mortes et, ensuite, plus aucune mortalité.” Sauver cette espèce est un enjeu de biodiversité et un enjeu méditerranéen de premier plan.

Et pas seulement parce qu’il est dit que son byssus, qui lui sert, comme les moules, à se fixer à la base sur un support, aurait servi à confectionner la Toison d’Or dans la mythologie grecque…”, rappelle Renaud Dupuy de la Grandrive, grand spécialiste de la faune et la flore de Méditerranée et directeur de l’aire marine protégée de la côte agathoise et président du Réseau  des gestionnaires d’aires marines protégées de Méditerranée .

Les conchyliculteurs récupèrent des Grandes Nacres juvéniles captées de cette manière heureuse, à les placer en grossissement et en faire profiter ensuite d’autres sites en Méditerranée”

Stéphane Roumeau, directeur du SMBT
Grande nacre. Ph. Renaud Dupuy de la Grandrive

Mais il a fallu gérer cette situation inattendue avec de nombreuses grandes nacres en bonne santé. C’est là qu’interviennent, avec un projet qui lui est propre, les spécialistes du SMBT qui a eu l’idée “d’associer les professionnels de la conchyliculture à la conservation de l’espèce. Ils découvrent des jeunes grandes nacres qui s’introduisent naturellement dans leurs pochons d’élevage d’huîtres. Ce projet, du nom de Recrue, “consiste, complète Stéphane Roumeau, directeur du SMBT, à récupérer des grandes nacres juvéniles captées de cette manière heureuse, à les placer en grossissement et en faire profiter ensuite les autres sites de Méditerranée.” L’étang de Thaucomme nurserie. “Tous les scientifiques qui voient des photos des grandes nacres de Thau ont les yeux qui brillent…”

35 000 € financés par France nature environnement

Ce projet de “transplantation” a été bâti avec France nature environnement (FNE) qui finance les 35 000 € nécessaires sur deux ans permettant de structurer une organisation de récupération et de transplantation de grandes nacres qui nécessitent du savoir et du doigté. “Certains conchyliculteurs-ressources s’occupent de centraliser les grandes nacres que l’on stocke ensuite à la Station marine de Sète qui a des bacs dédiés en attendant de les envoyer ailleurs et si vraiment il y en a beaucoup de coquillages, on est également en partenariat avec le Lycée de la Mer pour éventuellement en stocker”, précise encore Camille Pfléger.

“En novembre 2023, rappelle Simon Fégné, chargé de projet eau, mer et littoral à FNE Occitanie-Méditerranée, FNE a été partenaire de France Télévision pour l’organisation d’une soirée dédiée à la protection des mers et océans sur France 2: “les super-pouvoirs de l’océan”. “A cette occasion, rappelle-t-il, les téléspectateurs ont donné plus de 1 M€ pour financer neuf projets concrets de restauration et de protection de notre milieu marin, dont un de FNE Occitanie-Méditerranée sur les petits fonds côtiers de Méditerranée. C’est grâce à cet argent que nous avons pu financer le SMBT avec le projet Recrue.”

Simon Fégné déroule : “Pour nous, il est important d’aider et de valoriser des acteurs locaux, notamment les conchyliculteurs, qui se mobilisent pour la préservation et la restauration de notre patrimoine naturel. La Grande Nacre est une espèce qui gagne à être connue et qui mérite qu’on fasse le maximum pour empêcher sa disparition. C’est donc en toute logique qu’une partie des dons des téléspectateurs financent ce projet porté par des acteurs qui montrent la voie.”

Olivier SCHLAMA

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