Biodiversité : Après 30 ans, les sites Natura 2 000 changent d’ère pour un second souffle

Lac de Balcère, dans les Pyrénées-Catalanes. Ph. DR

Bilan mitigé pour les 1 756 sites en France dont 249 en Occitanie affichant ce label hybride que l’Europe a créé en 1992 pour concilier préservation de la biodiversité et activités humaines. Pendant deux jours, à Matemale (P.-O.), les élus ont planché sur les défis comme le sur-tourisme. Pour la FNE, 121 atteintes ont été recensées. Agnès Langevine, vice-présidente de la région qui aura en charge ces sites au 1er janvier 2023, explique pourquoi ils sont une pièce essentielle dans la sauvegarde du vivant.

La réserve naturelle nationale de la vallée d’Eyne, baptisée “vallée des fleurs”, intégrée au magnifique massif Puigmal-Carança, paradis des randonneurs et des botanistes ; le lac des Bouillouses, au pied du Carlit ; le sentier pastoral des Angles… Les participants au Congrès national des élus des sites Natura 2000 ont été gâtés du 28 au 30 septembre dans les Pyrénées-Catalanes par la beauté des paysages. Les participants étaient réunis à Matemale, près de Font-Romeu. Cet anniversaire entendait faire le bilan des 30 d’existence du fameux label européen Natura 2 000 qui vise à conserver la biodiversité en France et à l’échelle européenne en conciliant les activités humaines. Et de se projeter vers l’avenir (1).

Incendie, piétinement, dérangement de la faune…

Le tout, en tentant de répondre à des questions cruciales. Comment gérer l’hyper-fréquentation dans les sites Natura 2000 ?, par exemple, sachant que la fréquentation des espaces naturels a été accentuée par la pandémie et “prend dans certains sites Natura 2000 une ampleur vertigineuse”. Avec de nombreux impacts sociaux et environnementaux en résultent comme le dérangement de la faune, le piétinement de la végétation, le risque accru d’incendies… Quelles sont les solutions pour anticiper et/ou gérer les fortes affluences dans les sites Natura 2000 ?

“Apporter de nombreux avantages socio-économiques aux territoires…”

A 2000 mètres d’altitude, Le lac des Bouillouses retient 17 millions de mètres cubes d’eau pure alimentant Font-Romeu, Egat et Bolquère (P.-O.). Photos : Olivier SCHLAMA

Autre questionnement qui en découle : comment valoriser les bénéfices apportés par le réseau Natura 2000 ? “En plus de sauvegarder la valeur intrinsèque de la nature, le réseau Natura 2000, souligne la Fédération des parcs naturels régionaux qui gère l’événement, peut également apporter de nombreux avantages socio-économiques aux territoires tels que le maintien de la qualité de l’eau, la préservation du paysage ou le développement du tourisme de nature”. Quels retours d’expériences sur des actions de valorisation des plus values apportées par les sites Natura 2000 et d’initier des pistes de réflexion sur l’utilisation qui pourrait être faite du logo Natura 2000 ?

Il y a un grignotage des sites Natura 2 000 et des pressions relativement fortes que le réseau labellisé n’arrive pas à stopper…”

Circuit illégal 4X4 dans zone Natura 2000, Ph FNE

Écobuages interdits, notamment dans les Cévennes où des tourbières ont été brûlées ; organisation de rallyes illégaux avec quads et autres véhicules 4X4 ; manifestations diverses ; des remblais de plusieurs hectares, là aussi illégaux ; urbanisation interdite… Par la voix de son président régional, Simon Popy, par ailleurs écologue, la FNE Languedoc-Roussillon fête ces trois décennies à sa façon. “De façon générale, dit-il, il y a un grignotage des sites Natura 2 000 et des pressions relativement fortes que le réseau labellisé n’arrive pas à stopper… Et même quand ils sont signalés, rien ne se passe à cause d’un manque de moyens de la police environnementale. Parmi les lieux  les plus touchés, il y a l’Hérault et le littoral et dans les zones urbaines ; ça ne veut pas dire qu’il n’y en a pas en Lozère ou dans les P.-O. ou dans les zones rurales.”

Parc éolien d’Aumelas…

Manifestations sportives – souvent mécaniques – illégales ; destruction de forêts alluviales à Marsillargues dans des zones préservées ; le parc éolien d’Aumelas construit en pleine zone Natura 2000 sans dérogation pour destruction d’espèces protégées ! “Cela fait dix ans que l’on se bat pour que l’Etat fasse respecter le droit auprès d’EDF dans cette zone protégée… On est en procès depuis longhtemps.”

Un système de veille collaborative sur les dégradations

Décharge sauvage dans zone natura 2000. Ph. FNE

La FNE explique s’être appuyé, pour établir ce constat, sur “un système de veille sur les dégradations commises dans les zones Natura 2000. Depuis un peu plus de trois ans, le projet Sentinelles de la nature – des observateurs bénévoles – nous a ainsi permis d’identifier et publier 121 atteintes à l’environnement dans les sites Natura 2000 des cinq départements de l’ex-Languedoc-Roussillon. Soit environ 20 % des atteintes identifiées sur l’ensemble de ce territoire. Ces chiffres, inquiétants, témoignent de la pression constante que subissent ces zones désignées pour protéger une biodiversité exceptionnelle et fragile. Nous appelons à mettre en place de véritables contrôles des activités humaines sur ces sites et s’inquiète du manque de moyens affectés à leur gestion.” Ces signalements font l’objet d’un tri et d’une étude un peu plus approfondie chaque mois donnant lieu, en fonction des atteintes à une mobilisation auprès des pouvoirs publics voire une plainte déposée par FNE.

Vers un transfert aux régions

“Le niveau de protection de Natura 2 000 est faible au regard d’une zone centrale d’un parc naturel national, par exemple, mais il n’est pas sans intérêt. On y trouve des actions de sensibilisation des gestionnaires ; cela permet aux gens de prendre conscience des enjeux ; au niveau réglementaire, ce label oblige à faire des études d’incidence.” Avec peut-être un horizon plus heureux ? Pas sûr… Le gouvernement a décidé de transférer la gestion de ces sites aux régions, dit-il. Notre inquiétude est d’une tendance à la baisse des moyens affectés dans les zones Natura 2 000…”, y compris pour suivre les atteintes à la biodiversité. Oui, c’est vrai mais. Mais, de plus, seule la gestion des zones Natura 2000 sera transférée aux régions, pas le pouvoir de police qui reste dans le giron de l’État.

Natura 2000 : moins efficace qu’espéré

Une approche qui rejoint celle de l’Etat via une étude de Patrinat, le bras droit en la matière du ministère de l’Ecologie. En clair, les Natura 2000 sont moins efficaces qu’espéré, résume Aurélie Philippeau, coordinatrice du réseau des zones Nature 2000 (1 756 sites en France dont 249 en Occitanie), “ce label a réussi à freiner le déclin de la biodiversité mais pas à l’enrayer. Le côté positif à retenir, c’est que la biodiversité y est quand même mieux conservée qu’en dehors de ces périmètres.”

“Ne plus faire de la promotion d’une offre touristique pour tel ou tel site auprès du grand public mais pour une zone plus large…”

L’idée, maintenant, c’est de travailler pour qu’il n’y ait pas d’effet de seuil : “Ce que les élus nous disent, c’est qu’il faut aussi avoir des mesures de protection aux abords d’une zone Natura 2000.” Par ailleurs, un atelier a attiré beaucoup de monde en particulier, celui de l’hyper-fréquentation qui concerne beaucoup d’élus. “L’idée en cours c’est celle du “démarketing” : ne plus faire de la promotion d’une offre touristique pour tel ou tel site auprès du grand public mais pour une zone plus large…” Exemple-type : le Canigou, la montagne sacrée des Pyrénées-Orientales, où même après l’interdiction de la voiture au-dessus de 1 000 mètres, continue d’être hyper-fréquentée à 2 784 mètres, tel un phare, un symbole de la catalanité. Et du tourisme de masse.

Il est irréfutable que les zones Natura 2000 ont permis à des espèces directement menacées d’être sauvées dans ces espaces labellisés. Je pense au gypaète barbu en Occitanie…”

Michaël Weber, président de la Fédération des parcs naturels régionaux

Pour le président de la Fédération des parcs naturels régionaux français, Michaël Weber, “France nature environnement est dans son rôle. Pour autant, il est irréfutable que les zones Natura 2000 ont permis à des espèces directement menacées d’être sauvées dans ces espaces labellisés. Je pense au gypaète barbu en Occitanie ; au Castor dans l’Est de la France ; à la cigogne noire… En dehors des zones Natura 2000, c’est sûr que les animaux du quotidien sont en net déclin et c’est un vrai problème.”

Eduquer, informer, gérer les flux…

Et quid la sur-fréquentation ? “Il ne faut pas regretter que nos concitoyens aillent se promener dans la nature. Mais un Parisien ou un Lyonnais n’ont pas forcément les codes. Ils doivent savoir qu’il ne suffit pas d’aller en forêt pour tomber nez-à-nez avec un lynx ; il faut continuer à éduquer et à informer ; à gérer les flux. Et arrêtons de “vendre” auprès des touristes tel ou tel site (comme celui du Canigou en Occitanie) ; il faut faire de la communication plus large. Il faut communiquer sur les Pyrénées-Catalanes, par exemple…”

“Gestion de proximité s’intégrant dans le territoire”

Agnès Langevine. La vice-présidente de la Région Occitanie. Ph. DR.

Vice-présidente de la Région Occitanie, Agnès Langevine va plus loin : “Au 1er janvier 2023, il y aura le transfert des sites Natura 2000 terrestres vers la région Occitanie. Régions de France a été l’un des interlocuteurs pour organiser ce transfert, hors moyens de police. Et appuie très fortement pour que les moyens soient à la hauteur, notamment en nombre de postes. Pour la Région Occitanie, c’était aussi l’occasion de rassurer. Nous aurons la charge de l’animation des sites et de la gestion et des chargés de mission et des agents.” Avec des moyens financiers issus des aides Feader de la Pac. “La France avait fait le choix d’avoir des gestionnaires bien ancrés dans les territoires avec des collectivités, notamment. C’est une gestion de proximité qui s’intègre dans le projet de territoire.”

Entrainer les élus pour que dans leurs documents d’urbanisme la biodiversité y soit intégrée”

Sur le bilan mitigé, Agnès Langevine dit que “ces zones Natura 2000 ont quand même permis de mieux protéger la biodiversité voire parfois la restaurer. Et puis dans le détail le bilan est inégal : si la zone est dans un espace parc naturel non urbanisé ce n’est pas la même situation que dans un Natura 2000 en forte pression entropique. Il faut renforcer les Natura 2000 et surtout que ces labels intègrent la stratégie régionale de défense de la biodiversité. Il faut arrêter de détruire. L’idée, c’est d’être dans la transversalité et faire en sorte du moindre impact de nos politiques sur le vivant. Ces aires sont un outil très important de connaissance. Ces Natura 2000 ont aussi une vocation d’aménagement du territoire ; d’appropriation par les élus locaux ; d’entrainer les élus pour que dans leurs documents d’urbanisme la biodiversité y soit intégrée.”

“Alléger l’empreinte touristique sur les milieux les plus fragiles. La question c’est comment on les régule ?”

CANIGOU TROBADA
En route pour le sommet ! Photo © Michel CASTILLO Cd 66.

Quant à la sur-fréquentation des sites, Agnès Langevine confie que “c’est un grand sujet que nous avons abordé pendant ces deux journées. C’est un sujet majeur depuis la sortie des confinements, y compris auprès des acteurs touristiques. Il y a toute une réflexion à avoir pour la régulation des “flux” pour alléger l’empreinte touristique sur les milieux les plus fragiles.”

La vice-président de la région précise : “La question c’est comment on les régule ? Soit par l’argent : en faisant payer ou en augmentant le prix d’entrée comme les parcs aux USA. On peut aussi le faire par de l’aménagement, comme en certains endroits du littoral languedocien pour ne pas que les gens marchent en nombre n’importe où. A ce sujet, nous sommes allés hier avec la secrétaire d’Etat Bérengère Couillard on est allé visiter, au Grand et Petit Travers à la Grande Motte, tout l’aménagement du lido avec régulation des flux : la route a été supprimée, il y a des parkings, etc., en marge du forum de l’Anel, l’association nationale des élus du littoral. Il y a déjà, dans la région, des interdiction de rouler en 4X4 au Canigou ; pour aller aux Bouillouses, dans les P.-O., le choix a été faite d’en interdire l’accès en voiture, etc.”

Mieux articuler les actions

Comme la région est chef de file dans la sauvegarde de la biodiversité, “cela va nous permettre de mieux articuler les actions avec les aires naturelles, les parcs naturels, de mieux les inscrire à notre schéma de développement. En clair, plus ces Natura 2000 sont intégrées aux territoires plus on les porte efficacement et collectivement, du tourisme aux documents d’urbanisme jusqu’au zéro artificalisation nette ou la lutte contre l’érosion…”

Olivier SCHLAMA

  • (1) Mis en place en application de la directive européenne habitats de 1992, le réseau Natura 2000 est composé de sites naturels désignés par les États membres et la commission européenne. L’objectif de ce réseau écologique européen est de stopper la dégradation des habitats naturels et les menaces qui pèsent sur les espèces de faune et de flore sauvage d’intérêt communautaire.
  • Les Etats membres sont tenus de mettre en œuvre les mesures nécessaires à la conservation de la biodiversité qui a justifié la désignation des sites. En France, ces mesures sont identifiées et mises en œuvre par les gestionnaires des sites (dans la majorité des cas des collectivités locales) à travers des plans de gestion établis en lien avec les acteurs intéressés.
  • Le financement des mesures de restauration est assuré en majeure partie par l’Union Européenne. Les responsables des plans, programmes, projets et interventions susceptibles d’affecter les objectifs de conservation spécifiques des sites sont tenus de produire des évaluations environnementales, qui peuvent, s’il apparaît qu’ils remettent en cause lesdits objectifs, compromettre l’obtention des autorisations nécessaires.

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