Mais où est passé Jonathan Livingstone (*) !? Pour certains, le goéland n’est rien d’autre qu’un rat avec des ailes ! Il est vrai que l’oiseau a su prendre ses aises en milieu urbain, se jetant sur les restes alimentaires, déchirant les poubelles à coups de bec et colonisant les toitures pour y nicher. Capable même, parfois, d’une redoutable agressivité. Pourtant, le Goéland leucophée est un habitant traditionnel du bord de mer qui serait bien triste s’il disparaissait…
“Quand les mouettes suivent le chalutier, c’est parce qu’elles pensent qu’on va leur jeter des sardines”, ainsi parlait Eric Cantona, footballeur mythique, devant la presse le 25 janvier 1995, dans le stade de Crystal Palace à Londres… Le goéland, lui, n’attend plus le bon vouloir des pêcheurs. modifiant son régime alimentaire pour s’adapter aux opportunités du milieu urbain, ou même de l’intérieur des terres.
Des colonies de goélands jusque dans le Tarn !
Assez loin même, comme le constatait l’année dernière la mairie d’Albi (Tarn). “Un couple de goélands leucophée a niché sur le toit d’un service de la communauté d’agglomération, rue Lebon. Espèce protégée, le goéland niche d’habitude sur les falaises côtières et les îles rocheuses du littoral méditerranéen voire atlantique. Avec l’apparition des décharges publiques, il s’est peu à peu installé dans les terres, notamment en ville, où il niche sur les monuments causant des nuisances” constatait alors l’administration locale.
Ce qui pouvait passer pour exeptionnel est devenu si important que La Dépêche du Midi titrait en janvier 2022 : “Le Tarn, port d’attache des goélands.” Ce qui donne une idée de l’ampleur du phénomène, Le quotidien précisant que les oiseaux marins “se concentrent principalement sur les sites d’enfouissement technique des Brugues à Lavaur et du bioréacteur de Labessière-Candeil…”
Une évolution des habitudes “favorisée par l’Homme”
Colonisateur le goéland ? Opportuniste surtout ! Et la responsabilité en incombe essentiellement aux activités humaines. Ainsi que l’explique la LPO (Ligue pour la protection des oiseaux) d’Occitanie : “Depuis son installation en milieu naturel sur notre littoral dans les années 1930, le Goéland leucophée, espèce protégée, a vu son aire de répartition s’étendre très rapidement, comme ses effectifs et son comportement changer en colonisant des milieux urbains dès les années 90 (toits terrasses, rebords de cheminées..). Cette progression exponentielle a été favorisée par l’Homme : rejets de pêches, décharges en plein air, poubelles non couvertes…”
En France, l’espèce est protégée comme toutes les espèces de goélands depuis 1962. Actuellement, seule est autorisée la stérilisation de leurs œufs, dans un cadre réglementaire très strict. Les municipalités doivent pour cela obtenir une dérogation auprès du préfet.
C’est régulièrement le cas sur le littoral languedocien, la régulation de la population de goélands permettant “de limiter les risques sanitaires ainsi que les dégradations causant des problèmes d’étanchéité sur les toitures notamment”, précise la mairie de la Grande-Motte (Hérault).
Stériliser les oeufs sans les détruire
La stérilisation, précise l’Agglo du Pays de l’Or, “consiste à tremper les œufs dans de l’huile de maïs pour que la femelle couve sans que les poussins ne naissent. Cette opération de stérilisation est contrôlée par l’État. Le service Espaces naturels de l’Agglomération travaille avec la LPO Hérault pour les comptages annuels.”
La LPO Hérault souligne par ailleurs que “si le public cassait lui même la coquille ou détruisait le nid (ce qui est interdit), les oiseaux procéderaient à une ponte de remplacement…” Il est également demandé aux particuliers de ne pas nourrir les oiseaux.
Un ambassadeur du littoral méditerranéen
Enfin, pour être tout à fait justes, il est tout de même important de rappeler que le Goéland leucophée, bien que pouvant causer du tort à certaines espèces patrimoniales par la prédation qu’il réalise sur les nichées, est un magnifique oiseau, ambassadeur de tout le littoral méditerranéen.
Pour penser aux goélands, oubliez donc le charognard et le pilleur de poubelles. Choisissez plutôt d’admirer le vol stationnaire de cet esprit libre qui tel Jonathan de Richard Bach a choisi de transgresser tous les interdits, et surtout les lois du Clan, pour mener une existence extraordinaire où les périodes sombres alternent avec “les matins où l’or d’un soleil tout neuf tremble sur les rides d’une mer paisible…”
Philippe MOURET
(*) Jonathan Livingston le goéland (titre original : Livingston Seagull – A Story) est une œuvre de Richard Bach, ancien pilote de l’armée de l’air américaine. Le livre est illustré de photos de goélands prises par Russell Munson. Publié en 1970 aux États-Unis, il a été traduit en français par Pierre Clostermann et publié en France en 1973 chez Flammarion. La même année est sorti le film éponyme réalisé par Hall Bartlett, dont la musique composée par Neil Diamond a été multi-récompensée (chanson originale : Lonely Looking Sky.
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