La science défie les moustiques : “Anticiper la présence des virus pour limiter les cas humains”

Moustique-tigre femelle au cours d'un repas de sang. Ph. IRD Maxime Jacquet.

Spécialisée dans les analyses de l’ADN environnemental, la société montpelliéraine Iage a mis au point un protocole mettant au jour de faibles concentrations de virus. Pour traiter plus vite les gîtes contenant des traces de dengue, chikungunya, usutu… L’actualité rattrape cette annonce avec trois récents cas suspects de chikungunya à Castries, près de Montpellier…

Il ne s’agit pas de lire dans le marc de café ! En 2020, la société Iage avait frappé un grand coup en proposant une méthode scientifique pour anticiper un rebond de l’épidémie de covid, juste en analysant les eaux usées, comme Dis-Leur vous l’avait expliqué ICI. “Depuis la crise sanitaire, nous avons répondu à un appel d’offres de la Direction générale de la santé, piloté par Santé publique France. Nous travaillons avec eux sur la surveillance épidémiologique du covid”, prolonge Olivier Courot, directeur scientifique de Iage (Ingénierie et analyse en génétique environnementale).

Analyse moléculaires de l’ADN environnemental

Un filtre de capture de moustiques… Plus il y en a, plus statistiquement il y a de personnes infectées. Ph Olivier SCHLAMA

La société Iage met en oeuvre des protocoles d’analyse moléculaires de l’ADN environnemental par PCR digitale, une technologie de rupture permettant de repérer des traces virales en très faible concentration dans les eaux stagnantes ou les moustiques piégés, pour “anticiper la présence des virus et limiter les cas humains”.

C’est la même société montpelliéraine qui proposait, aussi, une “détection révolutionnaire” contre les pertes massives d’huîtres attaquées par un herpès virulent. Et lutter précocement contre ces pathogènes grâce à des phages, bactéries spécifiques, comme Dis-Leur vous l’avait également expliqué ICI. Mais ce dernier n’est finalement resté qu’à l’état de projet. “Les ostréiculteurs n’ont pas souhaité mettre en place un système de surveillance anticipée des mortalité pour des questions de coûts” (1), explique Olivier Courot, directeur scientifique de Iage confiant avoir un projet en cours “avec l’Ifremer sur la surveillance du phytoplancton toxique dans l’étang de Thau qui pose des problèmes en santé humaine”

Dengue, virus du Nil occidental, chikungunya, usutu

L’ARS Occitanie a choisi Altopictus dans la lutte anti-vectorielle des moustiques. La société participe au projet Misarbo qui associe également la société Iage, l’université Paul-Valéry. Ph. Altopictus

Cette fois, il s’agit d’utiliser le même principe “reconnu” pour détecter (2), là aussi, des virus : ceux véhiculés par le moustique bien de chez nous, celui des marais, (culens pipiens) autant que ceux du fameux “tigre”. Les deux espèces nuisibles peuvent transmettre des maladies graves : dengue, virus du Nil occidental, chikungunya, usutu, zika, l’encéphalite de Saint-Louis, etc. Voire mortelles.

Le but de ces scientifiques est d’anticiper avant même qu’il ne provoque des cas humains. Rien de magique dans tout cela : Olivier Courot, directeur scientifique de Iage, explique le principe de cette méthode baptisée Misarbo (Méthodologie innovante de surveillance des arbovirus), déployée dans la région pour la seconde année et bénéficie de financements de la Région Occitanie (500 000 € sur 36 mois) et de France 2030, de l’écosystème spécialisé MedVallée et financé par la BPI, Banque publique d’investissement.

Suivi, échantillons, lutte contre les virus

Misarbo s’inspire du suivi du covid dans les eaux usées. Mais, cette fois, outre les eaux usées, on s’intéresse aux gîtes larvaires et aux pièges à moustiques pour détecter la présence de virus le plus tôt possible et déclencher les traitements les plus ciblés. Olivier Courot détaille : “On réfléchit régulièrement avec nos partenaires pour savoir où il est pertinent de réaliser des échantillons prélevés lors de deux tournées par mois dans des zones humides et où il y a des gîtes d’oiseaux. C’est la surveillance de base. Parallèlement, on a mis en place une optimisation des stratégies de gestion des cas autochtones ; c’est ce que l’on fait à Castries en ce moment où il y a un foyer depuis une dizaine de jours. L’idée, c’est de piloter au mieux la stratégie de lutte. Avec des analyses en 24 heures.”

L’ARS Occitanie a choisi Altopictus dans la lutte anti-vectorielle des moustiques. La société participe au projet Misarbo qui associe également la société Iage, l’université Paul-Valéry. Ph. Altopictus

La démoustication actuelle – faite par Altopictus – est très normée : elle se pratique 300 mètres autour du foyer identifié. Désormais, elle s’accompagne de la pose de pièges. “On nous les apporte avec des échantillons d’eau, donc : ce qui nous permet de savoir plus précisément où il y a des risques réels. Ce travail de terrain est fait par l’un des trois partenaires du projet, la société Altopictus qui est missionnée par l’ARS” pour, par exemple, “nettoyer” des foyers de moustiques au BTI. L’université de Montpellier et son unité PCCEI sont aussi partenaires. 

Mieux anticiper les cas autochtones

À partir de là, les données remontent à l’ARS (Agence régionale de santé) qui peut affiner et adapter rapidement sa lutte sur le terrain et se concentrer plus vite sur une zone précise pour éviter qu’il y ait (trop de) cas. S’agissant du “tigre” et des maladies qu’il véhicule, cette surveillance permet de mieux anticiper les cas autochtones. “On est aussi mobilisés dans la région sur les virus west nile et usutu, véhiculés par le culex pipiens, précise Olivier Courot. Ce que l’on fait remonter, c’est qu’il y a des leçons à tirer de l’Espagne et de l’Italie : cela fait des années que ces virus et ces moustiques y sont présents. Leur densité s’est accrue et, mathématiquement, le nombre de cas humains sera plus important.”

Ce travail de terrain est fait par l’un des trois partenaires du projet, la société Altopictus qui est missionnée par l’ARS. Ph. Altopictus.

Sans cette méthode, l’approche est très différente. Valider la présence d’un foyer peut prendre beaucoup de temps. Et prendre la bonne décision par les autorités peut s’avérer aléatoire : “Prenons le cas – sans appliquer notre méthode – d’une personnes infectée – à l’étranger ou en France. Elle va voir son médecin. Si son médecin est bien sensibilisé aux maladies véhiculées par les moustiques, celui-ci enclenchera une demande de diagnostic d’arbovirus – il faut le chercher pour le trouver. Si c’est positif, il faut l’envoyer ensuite au Centre national de référence pour confirmation. L’ARS prend alors la suite et, là, on déclenche une stratégie de gestion du cas, importé ou autochtone.” Et, pendant ce laps de temps, l’épidémie peut s’étendre à partir d’un foyer non encore traité parce que la chaine de prise de décision prend du temps.

Trois nouveaux cas suspects de chikungunya à Castries

Aedes albopictus, femelle de moustique-tigre (Aedes albopictus) est une espèce originaire d’Asie du Sud-Est et de l’Océan Indien. C’est son corps, noir tigré de blanc, qui lui a donné son nom. En zone tropicale, il peut inoculer une trentaine de virus, propageant le chikungunya, le virus du Nil occidental, le virus zika, l’encéphalite de Saint-Louis, la dengue.

Ce projet Misarbo intervient alors qu’il y a quinze jours trois nouveaux cas suspects de chikungunya ont été mis au jour dans une commune, près de Montpellier, Castries, considérée comme “un foyer de contamination”. Il est désormais considéré comme un foyer actif de transmission autochtone. Depuis, les autorités sanitaires intensifient la surveillance. Ces trois cas suspects s’ajoutent à trois épisodes récents de transmission autochtone dans la région. Un premier cas, survenu à Prades-le-Lez (Hérault) fin mai, qui avait été isolé, un épisode aujourd’hui clos, selon le bulletin du 17 juillet 2025 de Santé publique France

Un autre cas avait été identifié à Bernis dans le Gard début juin. L’origine de cette infection a été retracée : elle provient d’un voyageur revenu de l’île de La Réunion. Le 2 juillet 2025, enfin, un cas autochtone avait été confirmé à Saint-Brès, à nouveau dans l’Hérault, avec une suspicion de contamination dans la zone de Castries, déjà. Ce cas reste sans source identifiée.

Sollicitée pour une expertise par le ministère de la Santé, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation (Anses) estimait, en septembre 2024, qu’il y a “des risques de saturation de la lutte ou de tension sanitaire” alors que le moustique tigre est désormais présent dans 78 départements de l’Hexagone et fortement ancré en Occitanie. Et affirmait que “la probabilité d’apparition d’épidémies est assez élevée d’ici cinq ans”.

Pour Olivier Courot “cette méthode pourra s’appliquer à l’avenir à des problématiques de santé similaires. On pourrait l’appliquer à des épidémies saisonnières comme la gastro-entérite. Pour l’instant, elles ne sont pas anticipées”.

Olivier SCHLAMA

  • (1) Sur ce sujet, Patrice Lafont, président du Comité conchylicole de Méditerranée explique que “l’herpès est présent toute l’année dans le milieu avec une mortalité des huîtres de mai à novembre. Cette méthode ne nous apporte rien de spécial pour limiter la mortalité des huîtres”.
  • (2) De son côté, Olivier Courot, précise : Notre laboratoire est le premier à avoir obtenu l’accréditation ISO 17025 pour l’analyse des virus dans les eaux usées par PCR digitale, avec une portée flexible de type 3 qui reconnait le processus R&D utilisé par Iage dans le développement et validation de méthodes déployées sous accréditation Cofrac. Tous nos développements de méthodes répondent donc aux exigences de la norme 17025.” Par ailleurs, “nous utilisons l’IA pour analyser les données que nous générons et les corréler aux autres données disponible afin de faire du prédictif”.

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