Toulouse : Cette start-up qui bourdonne d’idées pour sauver les abeilles

Spécialisée dans la biosurveillance des ruches, Beeguard utilise une méthode avec capteurs, intelligence artificielle et ce que l’abeille nous apprend elle-même sur son écosystème. Pour se développer, elle lance une levée de fonds via la plateforme de crowdfunding Wiseed. Déjà 100 contributeurs ont cru à la démarche innovante.

On est loin de la chanson enfantine qui accompagnait le dessin animé de l’insouciante Maya l’AbeilleFinie la légèreté… Néonicotinoïdes, pesticides, herbicides, fongicides et insecticides, pollution, dérèglement climatique…

Pas moins de 35 % des 14 millions de ruches existantes en Europe meurent chaque année – soit plus d’un tiers du cheptel ! Une hécatombe dont ne connaît pas précisément les contours ni les solutions. La moitié de ces ruches sont gérées par des apiculteurs professionnels.

84 % des espèces cultivées dépendent des abeilles !

L’extinction des abeilles, qui ont su résister à de multiples avanies durant 80 millions d’année coûterait 2,9 milliards d’euros à la France, selon la Fondation Nicolas-Hulot, sans parler de leur utilité pour l’humanité : cet insecte est l’un des principaux pollinisateurs de la planète – en Europe, 84 % des espèces cultivées en dépendent !

Une pollinisation qui se raréfie et peut porter atteinte à la chaine alimentaire et in fine à l’homme. Ce sont aussi des sentinelles de l’environnement particulièrement précieuses.

La start-up Beeguard lance un crownfunding

De plus, si dans les années 1980, une ruche pouvait offrir une cinquantaine de kilos de miel grâce à ces insectes mellifères qui ne mesurent qu’un seul centimètre, cette production a considérablement baissé.

Si vous ajoutez à cela des vols de ruche, il est urgent de restaurer les population d’abeilles mellifères et de mieux connaître ce qui les décime car, “plus de 75 % des légumes, fruits, graines que l’on consomme ont besoin des pollinisateurs. L’enjeu c’est notre souveraineté alimentaire…”

C’est justement l’ambition d’une start-up toulousaine, BeeGuard. Installée à Labège, la société, créée en 2016, vient de lancer une opération de financement participatif sur la plateforme Wiseed jusqu’à fin juillet. Elle fait même partie des 20 premières sociétés retenues par la plateforme qui a monté un partenariat avec la région Occitanie, comme Dis-Leur ! vous l’a expliqué. Car l’opération va plus loin et ouvre à cette occasion son capital : de quoi placer son argent dans un projet qui a du sens et de participer à une belle aventure qui enregistre déjà 100 souscripteurs. Cet argent récolté servira à continuer à investir dans le recherche et développement et exporter ce modèle à l’étranger.

Vérifier à distance la bonne santé de la ruche

Beeguard veut rendre l’apiculture résiliente en étudiant notamment la santé des abeilles. La société est spécialisée dans les ruches connectées qu’elle équipe de capteurs, moyennant un abonnement (1).

D’une part, pour aider les apiculteurs à gérer au plus près les besoins de leurs ruches, vérifier que la ruche se porte bien et donc aller vers elle à bon escient, quand elles en a le plus besoin. Il s’agit également d’éviter qu’elles soient volées, grâce à un GPS intégré. Ce qui arrive de plus en plus fréquemment.

Température, hygrométrie, localisation GPS avec détecteur de mouvement contre le vol, poids et sa variation (ce qui rend compte du rendement de butinage et l’état des stocks de la ruche), une station météo ultralocale (avec vitesse de vent, température) car quand il pleut l’abeille ne sort pas. Et donc ne produit pas. Cette apiculture de précision mesure tout ! Comme, également, quantité et qualité du pollen.

Plus de 4 000 ruches sont déjà équipées

Déjà, plus de 400 apiculteurs font confiance à Beeguard et plus de 4 000 ruches sont équipées de ces capteurs autonomes en énergie pendant plus d’un an. Notre levée de fonds via Wiseed est de l’ordre de 250 000 € dont 40 % servira à continuer les programmes de recherche auxquels nous participons, notamment avec le CNRS Toulouse et le restant à muscler notre service commercial, notamment à l’étranger, notamment l’Italie, où il y a des demandes.”

La surmortalité des abeilles est planétaire. Cette démarche innovante permet de créer un “indicateur pour nous dire si l’environnement est favorable ou défavorable. De nous fournir une échelle. Pour savoir s’il y a besoin d’agir et quand. Et si ces actions ont réussi. Les apiculteurs n’ont pas d’outil à part le contrôle visuel de leurs ruches qu’ils vont visiter tous les 15 jours en moyenne”.

“L’abeille est un capteur vivant idéal pour de la biosurveillance…”

L’abeille est un “capteur vivant”, et “même un drone”. “Nos capteurs mesurent l’état des ruches toutes les heures. Et chaque jour ils ont une vision précise de ce qui se passe dans leurs ruches. Avec une vue précise du “bol alimentaire” disponible vu par les abeilles. On va pouvoir dire tels mois la ruche est excédentaire, donc tout va bien ; et tels mois c’est l’inverse. Ils vont donc recevoir des alertes d’interventions nécessaires pour se synchroniser le plus possible avec les besoins des ruches. Ils peuvent constater que l’environnement est excédentaire en nectar ; que la ruche est en train de produire du miel. L’apiculteur va pouvoir alors positionner ses éléments de récolte au bon moment. De quoi augmenter le résultat de ses récoltes.”

Suivre l’état du stock de la ruche

Christian Lubat, le gérant de Beeguard poursuit les avancées de sa méthode.À l’inverse, l’apiculteur peut suivre l’état du stock de la ruche. Et s’apercevoir que les abeilles n’en sortent pas à cause, comme le printemps dernier de gelées, le vent, de la pluie qui se sont succédé en avril-mai, en plein printemps, au moment où théoriquement les ruches sont justement en pleine production de miel.”

Et dans ce cas-là, “les abeilles consomment leurs réserves et, au-delà d’un certain niveau, elles vont mourir de faim, si l’apiculteur n’intervient pas. Notre procédé permet d’intervenir au bon moment, plus tôt que ce qui était prévu, par exemple, en leur donnant du miel, du sirop, de la pâte alimentaire pour compenser les carences. Il y a la même problématique dans un environnement de monoculture où il va y avoir un gros pic de miellée et le reste du temps, rien. Là encore, il va falloir les nourrir…”

Leur activité nous renseigne sur leur écosystème. Nous décodons ensuite ce qu’elles savent de cet environnement et donc nous le transmettre…”

Christian Lubat, gérant de Beeguard

Ces données, récoltées dans la zone de butinage (3 km autour de la ruche), sont ensuite traitées avec l’intelligence artificielle pour définir la quantité de nourriture disponible tout au long de l’année, autour des ruches témoins mais aussi la qualité et la compatibilité avec la vue des pollinisateurs.

Et pour comprendre, si c’est le cas, pourquoi l’activité de la ruche, n’est pas au rendez-vous. Les abeilles font ainsi un travail d’une minutie incroyable. “Ce sont véritablement des sentinelles de l’environnement ! Leur activité nous renseigne sur leur écosystème. Nous décodons ensuite ce qu’elles savent de cet environnement et donc nous le transmettre”, souligne Christian Lubat, le gérant de Beeguard.

Capable de reconnaître chaque abeille !

Dans la ruche, les abeilles utilisent les alvéoles pour le stockage du miel et du pollen. Photo D.-R.

“Nous travaillons également à une nouvelle génération de capteurs, notamment avec l’Inrae, qui consistera à filmer en continu les allers et venus des abeilles. Avec l’IA on arrive à reconnaître chaque abeille et les traquer sur la planche d’envol. On a donc le nombre d’abeilles qui entrent et qui sortent. C’est extraordinaire car cela donne la mortalité journalière d’une colonie : les abeilles meurent à l’extérieur, soit parce qu’elles ne peuvent pas revenir – il faut que ce soit avec le soleil et qu’elles en soient capables physiquement. Quand elles sont victimes des “stresseurs”, comme des empoisonnements via des produits phytosanitaires, elle ne reviennent pas parce qu’elles vont avoir un dysfonctionnement de leurs capacités d’orientation et se perdre. On peut donc déterminer des pics de mortalité qui nous alerte que quelque chose ne va pas.”

Olivier SCHLAMA

Ces services ont un coût : il en coûte entre 10 € et 50 € par mois en location, tout compris, maintenance incluse pour l’apiculteur. Et en biosurveillance sur une ruche, cela coûte 550 € par an et 1 200 € par an pour trois ruches témoin.

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