Télétravail, semaine de 4 jours, retraite : “Aux Mutuelles du Soleil, on croit au partage du travail”

Aux Mutuelles du Soleil, on a l’âme pionnière en matière de progrès social et de conditions de travail. Deux jours de télétravail depuis 2018 ; semaine de quatre jours depuis ce 1er janvier et en ligne de mire la retraite progressive… Productivité en hausse, baisse de l’absentéisme, une image attractive : le directeur général, Claude Leblois en décrypte les points positifs.

À l’heure du débat façon salmigondis sur les retraites et du test esseulé à l’Urssaf de Picardie sur la semaine de quatre jours – qui fut aussi l’une des rares propositions phares de la dernière présidentielle à gauche – , peu d’acteurs économiques franchissent le pas et peu de salariés l’ont testée. Les statistiques officielles ne mesurent d’ailleurs pour l’instant que le temps travaillé en heures et non pas en jours. Cela donne des chiffres étiques : à peine 2,3 % des salariés ont travaillé entre 32 heures et 35 heures par semaine au premier trimestre. Mais 61 % des salariés se disent prêts à passer à la semaine de quatre jours, d’après l’Observatoire des rythmes de travail.

À peine 2,3 % des Français travaillent entre 32 et 35 heures

Dans l’hôtellerie-restauration, par exemple, 76 % d’entre-eux, c’est-à-dire les trois-quarts, souhaiteraient travailler quatre jours par semaine, selon le rapport People at Work 2022 : Workforce View, de fin juillet 2022. Selon encore une autre étude, les Français verraient son application en 2025, soit deux ans avant l’échéance du plein-emploi prophétisé par… Macron himself.

Le déclic : la mise en place du télétravail

Aux Mutuelles du Soleil (1), une mutuelle de santé présente de Marseille à Montpellier, le déclic est lié à deux raisons principales, notamment le “télétravail que nous avions mis en place en 2018, avant le covid, explique Claude Leblois, directeur général des Mutuelles du Soleil. Et quand la crise est arrivée, on s’est dit que l’on avait eu du nez. Cela nous a permis de bien traverser cette période. Dans ma tête, la semaine de quatre jours, c’est la suite logique.” Pourquoi le télétravail ? “Parce que, énonce-t-il, nous avons deux grands sites, l’un au centre-ville de Nice, le second au centre de Marseille. On a donc peu de gens qui habitent là ; donc beaucoup de nos salariés qui font du transport (une heure en moyenne par salarié chaque jour) ; subissent des embouteillages…”

“La semaine de 4 jours nous est apparue comme une évidence…”

Claude Leblois, DG des Mutuelles du Soleil. DR.

Et de préciser : “On a commencé à se dire qu’il y avait une déperdition de temps et de productivité importantes. Et une fatigue tout aussi forte pour les salariés. On s’est dit : ne peut-on pas trouver une organisation qui puisse y pallier ? Surtout si, un jour, on était confrontés à une perte d’activité. On ne pensait évidemment pas à ce moment-là au covid mais davantage à un incendie majeur qui stopperait notre activité. Et dans le monde de l’assurance, nos organismes de contrôle nous demandent un plan de continuité d’activité. Tous ces paramètres mélangés, la semaine de quatre jours nous est apparue comme une évidence et que les gens puissent travailler en partie de chez eux.”

Les trois jours par semaine sans travail sont une vraie coupure ; les salariés reviennent au boulot plus en forme”

La seconde raison du passage au télétravail, “c’est que dans les années 1990, confie encore Claude Leblois, directeur général des Mutuelles du Soleil, dans une mutuelle beaucoup plus petite que je dirigeais, on avait déjà mis en place et testé le télétravail, sauf pour l’encadrement. Et je m’étais déjà aperçu, à l’époque, que les salariés étaient beaucoup plus productifs. Les trois jours par semaine sans travail sont une vraie coupure. Les salariés reviennent au boulot plus en forme. Pour plusieurs raisons, ils ne sont pas, notamment, pollués dans leur tête pour le rendez-vous chez le toubib ou chez le coiffeur ou de devoir s’occuper des gosses…”

Télétravail aussi à la demande pour raisons personnelles

Le télétravail avait été proposé “de manière facultative et on a mis trois ans pour trouver la bonne formule. Ce qui était clair c’est que cela ne devait pas dépasser deux jours par semaine pur garder un contact sur site et une culture d’entreprise”, souligne le dirigeant. La semaine de quatre jours, elle, a été lancée le 1er janvier dernier. “C’était : soit tous les salariés y vont soit personne n’y va”, précise-t-il. “Pour l’instant, on a peu de recul encore. On n’a pas eu d’arrêt de productivité. Ce sont les salariés qui sont à quatre jours, pas l’entreprise.” Les Mutuelles du soleil proposent aussi une variante du télétravail, déclenchée à la demande quand le salarié doit garder un enfant malade, par exemple. “Du coup, on a quasiment plus d’arrêt pour cette raison-là.”

“80 % de nos 250 salariés se sont dit favorables à la semaine de quatre jours”

Les Mutuelles du Soleil ont pu compter sur les binômes et les trinômes qu’elle avait déjà constitués pour le télétravail pour enclencher la semaine de quatre jours. Les choses se sont passées en co-construction. Claude Leblois décrypte :“On en a parlé en interne en juin 2022 et on s’est donné trois mois pour faire remonter toutes les objections, les peurs, les questionnements. On voulait quelque chose de participatif et de collaboratif. Fin septembre, on a revu le premier jet que l’on a revu et amendé. En octobre, nous avons effectué un sondage où tout le monde a voté : 80 % de nos 250 salariés se sont dit favorables à la semaine de quatre jours. Novembre et décembre ont été consacrés aux derniers réglages, aux signatures d’accord avec les délégués.”

On croit beaucoup au partage du travail. Il faudra bien que, dans ce pays, on comprenne bien un jour qu’il faut partager”

Pour les personnels administratifs (180 sur 250), il s’agit d’une semaine de quatre jours sur la base de 35 heures (et non pas de 8h45 par jour), dont deux jours de télétravail. En télétravail, “les salariés travaillent davantage de chez eux”, en allongeant naturellement leur journée de travail et n’ayant pas l’obligation de perdre du temps dans les transports et les réunions. Pour d’autres salariés, principalement les commerciaux, “le télétravail n’est pas possible, pointe Claude Leblois. Ils travaillent donc eux à 32 heures par semaine. L’idée c’est aussi que les administratifs passent à 32 heures hebdomadaires dans trois ou quatre ans. On croit beaucoup au partage du travail. Il faudra bien que, dans ce pays, on comprenne bien un jour qu’il faut partager.” C’est le dernier tabou.

Dès que je croise un salarié je lui pose la question : on est toujours dans l’effet bénéfique des trois jours de repos qui l’emportent sur la charge de travail sur quatre jours”

Aller sur la semaine de quatre jours, c’est être pionnier, voire s’affranchir d’un tabou. “Attention, nous sommes passés à la semaine de quatre jours mais nous avons gardé l’option cinq jours. C’est-à-dire qu’un salarié qui le voudrait, pour différentes raisons (il a peur d’une trop forte charge de travail, besoin de journées de travail plus courte pour s’occuper de ses enfants en bas âge ; de ses parents en fin de vie…) peut repasser à une semaine classique de cinq jours. Avec la semaine de quatre jours, la charge est forcément un peu plus forte. Au bout d’un mois et demi, c’est en train de rentrer dans un rythme. Dès que je croise un salarié je lui pose la question ; pour l’instant, on est toujours dans l’effet bénéfique des trois jours de repos qui l’emportent sur la charge de travail sur quatre jours.”

La semaine de 4 jours “ne devrait pas coûter grand-chose” à l’entreprise

Toutefois, aucune embauche n’est prévue. “Nous sommes dans une activité qui se digitalise de plus en plus et on était légèrement en sur-effectif avant le passage aux quatre jours et enfin il y a une génération qui va partir à la retraite dans les trois prochaines années : cela va nous permettre d’atteindre doucement une taille d’effectifs “adéquate”, note le DG des Mutuelles du Soleil. Il y a quand même des domaines où l’on embauche, comme les commerciaux.” Mais cette réorganisation en semaine de quatre jours “ne devrait pas coûter grand chose à l’entreprise”. 

Qu’est-ce que ça change pour le client de la mutuelle ? Est-ce qu’il a quelque chose à y gagner ? “À ce jour pour nos adhérents et clients, ce sont des salariés en forme, bien dans leurs baskets qui accueillent mieux, renseignent mieux et ça se ressent : il n’y a pas d’erreur ; la relation-client est meilleure.” Et il y a espoir d’une meilleure productivité.

Le télétravail a généré une hausse de 20 % de la productivité

Il y a moins de présentéisme et d’absentéisme. “Toutes ces mesures jouent dans ce sens.” Et ces meilleures conditions de travail génèrent un profit. “Lors de la mise en place du télétravail, la productivité des salariés a progressé de 20 %, confie encore Claude Leblois. Chez eux, les salariés vont peut-être faire des pauses un peu plus longues. Mais, à côté de ça, quand ils se mettent sur la tâche, il n’y a plus aucune “pollution”. Ça dépote.”

Sur les commerciaux, “on a fait un “carreau”

“Et on sait que que l’on travaille encore mieux la dernière demi-heure. Ce que l’on espère aussi, c’est que cette semaine de quatre jours sera une mesure d’attractivité pour l’entreprise. Sur les commerciaux, on vient de faire un “carreau” : cela faisait deux ans que l’on cherchait à combler onze postes ; en se demandant si on n’allait fermer des agences. Et en deux mois on en a recruté huit ! Notre cellule recrutement reçoit – et ça fait très longtemps que ce n’était pas arrivé – des appels de gens pour nous demander si on embauche.” 

Surtravail : “Pendant le confinement, il a fallu que l’on hausse le ton pour que les salariés arrêtent de travailler quand il le fallait”

N’est-ce pas paradoxal d’installer la semaine de quatre jours sur 35 heures alors que, globalement, les salariés, en France, travaillent davantage…? Selon la Dares, en 2020, l’ensemble des actifs en France travaillaient 37,4 heures par semaine… Avec du boulot ramené à la maison, le sur-travail le soir tard, le week-end… “Chez nous, défend le DG, la qualité de vie au travail, est justement une culture maison. On insiste sur la déconnexion, le repos… Pendant le confinement, il a fallu que l’on hausse le ton pour que les salariés arrêtent de travailler quand il le fallait. On est vigilants.”

Fidéliser les salariés sans augmenter la masse salariale

Pour l’instant, le phénomène de la semaine de quatre jours est marginal en France. Mais tous les pionniers cherchent la martingale : fidéliser leurs salariés sans augmenter la masse salariale voire en embaucher dans des secteurs en tension. Et pourquoi pas, vu du salarié, une façon de “tenir” fasse à l’allongement de la carrière qui se profile ?

En vue la retraite progressive

Claude Leblois exprime :“Ça peut être l’une des réponses mais pour moi la vraie réponse, c’est que l’outil existe déjà mais il est mal perçu : cela s’appelle la retraite progressive. Et j’y pense pour nos salariés. Ce serait certainement le troisième étage de notre organisation : c’est un projet que nous avons. On a tendance à dire que le travail, c’est aliénant. Mais, pour certains, c’est épanouissant. Il faut juste le mettre en rapport avec l’âge, la pénibilité… Certains sont prêts à faire deux ans de plus en travaillant deux jours par semaine. C’est de cela qu’il faut discuter.”

Olivier SCHLAMA

  • (1) Issues de la fusion de différentes mutuelles, Mutuelles du Soleil, fort de près de 170 ans d’expérience dans les métiers de la protection sociale et de l’assurance de biens, est un acteur majeur en régions Provence-Alpes-Côte d’Azur, Occitanie et Corse.
  • Déjà adoptée en Islande depuis 2019 et en Belgique depuis novembre dernier, la semaine de 4 jours permettrait une augmentation de la productivité et de la satisfaction au travail, mais aussi une baisse de l’absentéisme. Aujourd’hui, 64 % des salariés français se disent prêts à l’expérimenter (étude ADP), et 35 % des employeurs l’envisagent en 2023 (étude Robert Half).

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