Maintenir la qualité de vie pour les résidents à l’année, continuer à attirer habitants et touristes – mais pas trop – pour une meilleure cohabitation. Martel, dans le Lot, est selon le géographe François Taulelle l’exemple d’une commune qui arrive à maintenir “un point d’équilibre”. “Grâce au volontarisme municipal.”
C’est un message d’espoir alors que les “grandes vacances” d’été débutent. Non, le surtourisme, le tout-tourisme, ne sont pas une fatalité. Exemple, Martel. Les touristes sont, certes, de plus en plus friands de ce genre de commune de quelques milliers habitants encore ingénument authentique. Mais les élus ont du pouvoir pour faire cohabiter tout le monde sans rien dénaturer. C’est le cas de cette petite ville du Lot. Initiative à suivre.
Savoir “gérer le point de bascule”
Mais, il ne faut pas tarder. La “commune est aujourd’hui dans un moment clé où le territoire pourrait tomber dans les premiers signes du tout-tourisme”, alertent les auteurs de : Martel, Allier Tourisme et vie quotidienne ? Martel (Lot) face à son attractivité, livre appartenant à une collection des éditions Autrement. Dirigé par François Taulelle, professeur d’université (1) en géographie à l’institut universitaire François-Champollion d’Albi, l’ouvrage a pour ligne directrice : “Gérer le point de bascule” en recherche du point d’équilibre. Pas facile face aux sirènes mercantiles. Martel est en train de maîtriser cet équilibre “grâce à un volontarisme municipal”, assure Francois Taulelle.
“Bien vivre dans une petite ville touristique à la campagne” en mettant en oeuvre des “complémentarités“
Pour “éviter ce scénario inacceptable pour la collectivité, plusieurs champs d’action constituent des perspectives (…) : l’action foncière et immobilière ainsi que la coopération territoriale”. Il s’agit de “bien vivre dans une petite ville touristique à la campagne” en mettant en oeuvre des “complémentarités“. Par exemple, “la mairie de Martel mène des opérations foncières et immobilières (…) De plus, ses élus et ses agents disposent d’une bonne connaissance du terrain permettant de repérer les enjeux localisés tout en valorisant des relations interpersonnelles (…)” C’est ce que François Taulelle nomme une recherche “d’équilibre“.
Classé parmi les plus beaux villages de France, Martel tente ainsi de relever plusieurs défis : continuer à attirer de nouveaux habitants ; maintenir un niveau de services au public et éviter le trop plein de touristes. Donc, maintenir une certaine qualité de vie et un équilibre socio-économique. Dans une cohabitation supportable et intelligente.
“Cette ville est intéressante, présentant un double profil : industrielle et agricole”
“Ce livre, c’est le retour de la monographie : on choisit une petite ville et on regarde son implication dans le territoire”, introduit François Taulelle. “Aurelio Labat, l’un de mes doctorants, qui avait fini sa thèse, s’est intéressé à ce sujet lors d’une année post-doctorat.” Bureaux d’études, partenaires institutionnels, collègues du CNRS et de l’université ont composé un consortium d’étude. Le thème : la vie à l’année.
Il dit : “Cette ville est intéressante, présentant un double profil : industrielle, elle dispose d’une entreprise de 200 salariés qui fabrique des flacons de verre pour le secteur parfumerie ; on y trouve de l’agriculture de qualité, avec des producteurs de noix, d’huile, etc. ; les fameuses confitures Andros, non loin de là… Des emplois publics, avec des écoles, des services à la population qui est présente à l’année. Qui se logent sur place.”
“La commune de Martel est à un point de bascule. Autour, il y a des communes où il y a du sur-tourisme…”
Et le tourisme. “Depuis quelques années, la vallée de la Dordogne, peut-être encore plus après le covid, c’est un territoire de grande qualité avec un patrimoine historique, un paysage lui aussi de grande qualité. Ce qui vient percuter cette vie paisible à l’année des habitants dont des retraités de plus en plus nombreux et qui demandent des services mais pas les mêmes que ceux qui travaillent. Les premiers, c’est davantage des kinés, un pôle de santé fourni, etc. Les seconds, c’est surtout des garderies pour les enfants, des écoles, des services du quotidien.”
Forte tendance à la “touristification”
Martel est-il un exemple à suivre ou un enjeu à gérer ? “La commune est à un point de bascule. Autour de cette petite ville, nous avons des exemples de communes du même type avec du sur-tourisme. Collonges-la-Rouge ; Rocamadour… À Martel, on vit encore dans un équilibre. Mais on remarque une forte tendance à la “touristification”.
Il précise : “Dans le centre-ville, par exemple, se concentrent beaucoup de restaurants, ouverts pendant la saison, fermés l’hiver ; des commerces qui disparaissent laissant la place à des galeries d’art et de desing. Les magasins à l’année ont eu tendance à diminuer. On note une moindre vitalité dans le centre-ville. Ce qui est intéressant c’est que la commune est consciente de tout cela ; elle a, par exemple, répondu à un appel à manifestation d’intérêt de l’État ; elle a acheté un bâtiment vide en centre-ville où il n’y avait plus de commerce en rez-de-chaussée. Après son appel, sont arrivés un bijoutier, une galerie d’art mais aussi un charcutier, ouvert à l’année, qui a déjà une loge au marché Victor-Hugo, à Toulouse.”
“Il faut du volontarisme municipal”
Comme quoi, quand on veut, on peut ? “Évidemment. La commune de Martel est volontariste. Il faut du volontarisme municipal. Et il ne ne faut pas se voiler la face : l’électorat est celui du quotidien qui n’a pas envie d’avoir des touristes partout. Et qui pèse.”
Nécessité d’une ingénierie
Martel, un laboratoire de belles et bonnes idées ? “Martel montre la possibilité pour de petites villes et même pour des villes de taille moyenne la nécessité d’avoir de l’ingénierie. Il faut qu’elles soient aidées à concevoir avec des gens à l’urbanisme, à l’aménagement qui puissent comprendre comment fonctionnent ces villes ; comment elles se développent ; quels sont les projets envisageables… C’est indispensable. Martel, n’a pas d’agence d’urbanisme mais elle peut s’appuyer sur le Caue (Conseil d’architecture, d’urbanisme et d’environnement), des bureaux d’études spécialisés.” En somme, le message c’est : “réfléchissez à ce que vous pouvez faire pour garder un équilibre”. “Je dirige un master en aménagement sur des villes petites et moyennes. Je forme des étudiants à être en capacité de gérer cela. Et je me rends compte des enjeux que ça soulève.”
Éviter autant que possible le sur-tourisme, n’est-ce pas un voeu pieux, à l’heure des influenceurs qui dévoilent çà et là de nombreuses pépites, des endroits secrets, dans de petites communes, souvent complètement dépassées ? Comme aux gorges du Sautadet, dans le Gard, ou celles de la Vis totalement intagrammables et qui font de ces petits paradis fragiles des enfers…
Programme Petites Villes de Demain
Pour François Taulelle, un premier pas positif a été franchi. “Déjà, l’État a pris conscience de cela et a lancé des programmes ciblés sur les petites villes. L’un d’eux s’appelle Petites villes de Demain (et pour les villes moyennes, c’est le programme Action Coeur de Ville). Par exemple, nous-mêmes grâce ce programme a financé l’intervention d’un agent qui a servi d’interlocuteur en mairie et qui était sur deux projets ; il était aussi chargé d’aller chercher des financements, de réfléchir avec des agences d’urbanisme, de cabinets d’architectes pour savoir comment on peut développer la commune. L’État a aussi mis de l’argent là dessus.”
“Il faut que les élus ne soient pas sous l’influence de lobbies touristiques”
On peut imaginer des initiatives “très concrètes à mettre en oeuvre grâce au volontarisme municipal. Il faut que les élus ne soient pas sous l’influence de lobbies touristiques. Qu’il aient suffisamment de recul, c’est très important. Ils ont énormément de pouvoir, les élus ; ils peuvent dire oui ou non sur des projets. Nous, également, nous avons beaucoup insisté sur l’enlaidissement du paysage. On leur a dit : “Vous avez une pression foncière maximale ; à Martel, on ne trouve pratiquement plus de biens à la vente ; le marché locatif aussi ; les saisonniers, c’est très compliqué pour les loger…”
Reprendre les “dents creuses”, des bâtiments à l’abandon, des places que l’on peut réaménager ; des parcelles inoccupées : il faut retravailler sur ce qui existe déjà”
Ces spécialistes ont conseillé à la commune de Martel “de réfléchir à ne pas étaler la commune, détaille François Taulelle. En arrivant, on voit tout de suite cette ville avec ses tours et si on commence à autoriser du lotissement partout, ça va être compliqué. L’idée, c’est de voir ce qu’il est possible de faire en terme de densité vertueuse ; reprendre les “dents creuses”, des bâtiments à l’abandon, des places que l’on peut réaménager ; des parcelles inoccupées : il faut retravailler sur ce qui existe déjà. Réactualiser l’existant. Investir dans ces “dents creuses”, en rechercher les propriétaires ; que la collectivité les achète, en fasse des logements locatifs, sans forcément penser en premier lieu à des lotissements sur des terres agricoles. Surtout qu’il y a la loi zéro artificialisation nette. Il existe plein de cabinets avec de jeunes urbanistes avec des idées intéressantes. Ils comparent, notamment, les projets et ce qui se fait ailleurs.”
Observatoire de l’habitat, du foncier…
Il précise : “Dans le catalogue de propositions que nous avons faites à la commune de Martel, on leur a proposé, à l’échelle de l’intercommunalité, de créer un observatoire de l’habitat, du foncier… La surveillance des indicateurs est indispensable. Ils s’en sortent plutôt bien : il n’y a pas d’envahissement touristique. Après, il y a le secteur privé qui veut faire de l’argent, avec AirBnB… Mais l’offre de logements peut aussi être augmentée de façon intelligente si la commune se saisit d’opportunités foncières ou à proximité du bourg, ce qui a aussi l’avantage de ne pas défigurer le paysage avec de la maison individuelle à vau-l’eau.”
“À Martel, il y a une vitalité que je n’ai pas rencontrée dans d’autres communes”
Le sur-tourisme, finalement un mal pour un bien ? Les habitants commencent, eux, aussi, à en prendre conscience. “Je pense que oui, affirme encore l’universitaire. Quand nous avons fait la restitution, nous avons fait une balade avec les habitants en coeur de ville pour leur faire prendre conscience des endroits-clé, de places publiques ; on est allés dans des champs pour leur montrer qu’il faut être vigilants, etc. Nous avons même été surpris de voir des gens de tous âges qui sont venus aux tables rondes que nous avions organisées, toujours dans le cadre de ce programme Popsu, qui se base sur de la démocratie participative. Il y avait une vitalité que je n’ai pas rencontrée dans d’autres communes.”
“Faire du petit collectif, de la végétalisation, mutualiser des parkings…”
François Taulelle explique que les élus ont toujours le choix. “Je compare souvent avec l’Ardèche, d’où je suis originaire. Toute une partie y est mangée par le tourisme, comme Vallon Pont d’Arc ; du côté d’Aubenas, là, on rencontre de l’étalement urbain avec des zones commerciales, des maisons individuelles, à la place de vergers, notamment ; et il y a une partie vers les Vans qui est encore préservée avec des bourgs ramassés et des terres agricoles autour. Là bas, les élus réagissent différemment en réfléchissant à chaque demande à bâtir ; à faire du petit collectif ; à mutualiser là des parkings, ici de la végétalisation. Là encore, cela se fait avec les Caue, par exemple ; les architectes urbanistes et ça marche. Sans avoir à en appeler de grands noms comme Norman Foster.”
“Il y a des gens qui ont des idées et qui, modestement, font des choses”
Hormis Martel, il existe d’autres exemples vertueux (lire ci-dessous). “Avec les élèves de mon master l’an dernier pour la préfecture du département, nous avons sorti un travail. Le précédent préfet du Tarn était en effet très inquiet de l’étalement urbain de certaines communes, de 5 000 à 10 000 habitants dont certaines présentaient beaucoup de vacances immobilières, confie encore François Taulelle.
“Or, dit-il, le centre-bourg se cassait la gueule. On a choisi quelques communes pour étudier cela. Et pour trouver des alternatives. On a recensé une cinquantaine de projets ; nos étudiants sont partis un peu partout en France pour regarder des initiatives vertueuses, originales, alternatives. On a diffusé un guide ; organisé une journée… On a eu beaucoup de retours. Il y a plein d’exemples dans l’Aveyron, le Cantal… J’avais fait venir, avant qu’il ne reçoive le Grand prix de l’urbanisme, le directeur de l’école d’archi de Clermont-Ferrand, Simon Teyssou, qui a cette approche consistant à valoriser l’existant. Il y a des gens qui ont des idées et qui, modestement, font des choses.”
Olivier SCHLAMA
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(1) Ce livre est issu du programme Popsu (Plateforme d’observation des projets et stratégies urbaines), un appel à projet de l’Etat, Petites villes et territoires. Il a été publié sous la direction de François Taulelle, professeur des universités en géographie et aménagement à l’Institut national universitaire Jean-François Champollion (Inuc) d’Albi, une dizaine d’auteurs se sont penchés sur cette question devenue cruciale dans toute les communes attractives en France. Le poids du tourisme estival modifie le marché de l’immobilier et provoque une cohabitation parfois difficile entre une population de passage et une population présente toute l’année.
“Habiter autrement” : exemples vertueux
François Taulelle et ses élèves de master ont réalisé tout un travail de recherche l’an dernier dans lequel apparaît de nombreuses initiatives intéressantes. Il a servi à expliquer aux élus de Martel que des solutions les plus harmonieuses possibles existent qui ont déjà été mises en œuvre. Lotissements vertueux, greffes sur tissu urbain existant, habitats groupés et petits collectifs, densification douce et démarche bimby (2) ou encore recyclage urbain et revitalisation de centre bourg. Un peu partout en France et notamment en Occitanie. Où les municipalités jouent un rôle primordial.
Gers, Tarn, Haute-Garonne…
À titre d’exemple à suivre, ces géographes ont relevé la réalisation par la commune de Bellevue Saint-Clar, dans le Gers, en 2015 d’un écoquartier “favorisant la mixité sociale et générationnelle”. Il s’agit de 30 lots sur une surface du terrain de 2,4 ha. Type de logement : 25 lots pour 34 logements 1 macro-lot de 6 logements individuels superposés HLM, 3 maisons en accession sociale.
De la même manière, dans le Tarn, ces spécialistes ont mis en exergue “une extension innovante avec la création dans un village en circulade” d’un écolotissement de Sainte-Croix, dans le Tarn, que la commune a fait sortir de terre en 2016. Le programme consistait en 18 lots à bâtir et 6 logements locatifs sociaux sur un terrain de 1,28 hectares. Ce sont des maisons individuelles et du petit collectif.
Sur le petit collectif, ces géographes précisent qu’il s’agit de se situer “à mi-chemin entre la maison individuelle et l’immeuble collectif. Caractérisé principalement par un groupement de logements superposés avec des caractéristiques proches de l’habitat individuel”. Quant à l’habitat groupé, c’est une “démarche solidaire et de développement plus durable (mise en commun…)” Une “solution innovante permettant de faciliter l’accès au logement pour tous en proposant une autre vision de la notion de propriété”.
Projets à l’initiative des habitants
Autre exemple, un projet collectif à l’initiative, cette fois, de ses habitants, à Ramonville-Saint-Agne (Haute-Garonne), réalisé en 1985. Baptisé Mange Pommes, il s’agissait, cette fois, d’un programme de 15 logements individuels groupés et d’une maison commune sur 1,5 hectares. Maître d’ouvrage : Scie Coopérative de Construction et maître d’oeuvre : Christian Helie, architecte.
Toujours à Ramonville-Saint-Agne, autre projet “d’habitat durable, mixte et écologique” : l’habitat groupé du Canal. C’est un programme de huit logements, duplex et simplex, individuels et d’espaces collectifs sur 9 190 m2.
Périgueux, l’une des premières dans l’aventure bimby
On peut aussi citer un projet d’habitat groupé à l’initiative de la coopérative d’habitants Mas Coop, à Beaumont-sur-Lèze, en Haute-Garonne. Achevé en 2019, le projet consistait, sur un hectare, après l’achat du terrain, d’ériger trois bâtiments bioclimatiques et rénovation de deux anciens bâtiments: production de 11 logements (allant du T2 au T4) et de parties communes. Les types de logement ? Individuels superposés et mitoyens.
Périgueux (Dordogne) est l’une des premières villes à se lancer dans l’aventure bimby selon “une démarche d’urbanisme participatif”. “C’est une solution pour les communes en manque de zone à urbaniser. Une opération financière intéressante pour la collectivité et les ménages”. Ce partage de terrain avec d’autres habitants peut “prendre des formes diverses. Cela peut permettre, accessoirement, de se faire un revenu complémentaire ou accueillir des membres de la famille (un salon de coiffure par exemple) ; mais aussi adapter son logement à l’avancer en âge, etc.”
O.SC.
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(2) Il y a, depuis une décennie, une pénurie de terrains à bâtir, renforcée par la crise du logement. En 2009, l’Agence nationale de la recherche lance un appel à projets Villes Durables et sélectionne le projet bimby, conçu par deux architectes urbanistes, Benoît Le Foll et David Miet. Bimby, c’est l’acronyme de Build in My Back Yard, littéralement, “construire dans mon jardin”.
L’idée ? Offrir la possibilité aux propriétaires de vendre une partie de leur terrain pour la construction d’un nouveau logement. L’idée est donc de densifier les zones déjà habitées. Pour les concepteurs, les zones pavillonnaires recèleraient en effet un gisement foncier exceptionnel : il y a actuellement 14 millions de maisons individuelles et une partie des propriétaires pourrait être enclins à céder une partie de leur terrain. Même si ça ne concernerait que 1 % d’entre eux, cela représenterait déjà 140 000 terrains à bâtir.
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