Le sociologue : “Le phénomène répond à une vraie demande”

L’Héraultais François Purseigle est professeur en sociologie à l’Ensat (Institut national polytechnique) de Toulouse et chercheur associé au centre de recherches politiques de Sciences Po Paris. C’est un spécialiste du monde agricole et de ses bouleversements. Il a notamment publié Sociologie des mondes agricoles (2013) et L’Agriculture en famille : travailler, réinventer, transmettre (EDP Sciences, 2014). Pour lui, le phénomène des néo-paysans, même s’ils représentent 30% des installations, est intéressant car il répond à une demande des agriculteurs et des consommateurs. Même s’il n’est pas (encore) une lame de fond. D’autres bouleversements invisibles en cours sont, eux, déjà des révolutions.

Le phénomène néo-paysan recouvre quelle réalité ?

Des “néo” qui s’installent et font de la transformation et de la commercialisation, ce n’est pas complètement nouveau. Mais les nouvelles paysanneries – en plus l’expression n’est pas forcément appropriée pour tous ces gens qui entrent dans le métier- ça donne à voir quoi ? C’est une profession qui est marquée par la mobilité sociale et la mobilité professionnelle.

François Purseigle, sociologue spécialiste des bouleversements dans le monde agricole. Photo : Julie Poncet.

Aujourd’hui, l’agriculture, c’est à peu près 12 000 installations par an et 19 000 départs. Sur ces 19 000 départs, il y a des départs attendus, liés à la retraite, liés à des ventes. Et des départs inattendus appelés les départs précoces. On voit bien qu’il y a plus de départs que d’arrivées. Que ce soit des enfants ou non d’agriculteurs. Sur les 12 000 installations, on pense que 30 % sont “hors cadre” (concernant des néo-paysans, Ndlr). Mais les statistiques ont du mal à appréhender le fait que l’on a des petits-fils ou des arrières-petits-enfants, des neveux, ou des colatéraux qui vont s’installer. Majoritairement, ce sont quand même les fils d’agriculteurs qui reprennent, du fait du prix relativement élevé des terres. Le prix du foncier, c’est déterminant pour entrer dans ces métiers-là, même si on peut, aujourd’hui, pratiquer l’agriculture sur quelques hectares.

François Purseigle : “Ce qui est intéressant dans ce mouvement, c’est que l’agriculture se pense comme une étape dans une carrière professionnelle.”

Une vraie question se pose, celle de la transmission de ces exploitations. On a des gens qui vont s’installer parce qu’ils en ont ras-le-bol de leur vie ; pour autant, qu’elle est la durabilité de ce système-là ? Ce que l’on observe en Occitanie où se sont installés des néo-paysans dès années 1970 et 1980, la question de la reprise se pose aujourd’hui. Ces enfants de “néo” ne reprennent pas forcément… Le truc facile à dire, c’est que c’est génial, durable, etc. Mais qu’en restera-t-il demain ? Après, ce qui est intéressant dans ce mouvement, c’est que l’agriculture se pense comme une étape dans une carrière professionnelle.

Et puis, comment accompagner ces “néo” ?   Ce phénomène de systèmes agroalimentaires alternatifs répond à une vraie demande. Celle des agriculteurs qui sont controversés et qui ont envie de renouer un lien distendu avec le reste de la société et de l’autre côté il y a la société qui réclame des produits locaux et du contact.

Ces “nouveaux” venus semblent se servir souvent de l’agriculture comme un support pour d’autres activités, de transformation notamment ? Est-ce que ce sont des nouveaux commerçants ?

Oui… Mais, attention, tous les néo-paysans n’ont pas une appétence pour le marché, la transformation. Bon nombre de porteurs de projets ne se rendent pas compte de ce que sont les difficultés inhérentes à la transformation, à la commercialisation des produits de la terre. C’est pour cela que les coopératives ont été créées : pour prolonger l’exploitation agricole. Le viticulteur languedocien ne souhaitant pas forcément s’investir dans la commercialisation. Aujourd’hui, oui, il y a des agriculteurs qui se sont investis dans la transformation et la mise en marché parce qu’ils se rendent bien compte que la valeur ajoutée peut se situer là. Et qu’il faut aussi se positionner sur ces différents maillons. Certains font même de la prestation pour amortir leurs matériels : ils proposent de la transformation à des gens qui n’ont pas l’outil et qui ont besoin de récupérer leur produit finalisé sous leur marque.

“Les néo-agriculteurs sont-ils une lame de fond ? Non.”

Est-ce à dire que les néo-agriculteurs sont une lame de fond ? Non. En plus, tout ça est lié au positionnement sur les territoires. Si vous n’avez pas d’avantages comparatifs pour mettre le marché, si vous ne vous situez pas dans une zone propice, malgré toutes les bonne volontés du monde, la vente directe sera difficile ou la transformation sera très difficile.

Le vrai chamboulement n’est-ce pas l’arrivée possible, en agriculture, bientôt, de grands groupes, façon Intermarché dans la pêche, qui est devenu le premier armateur français ?

Il y a un phénomène de réappropriation des différents maillons de la filière par des acteurs de très petite taille mais ce dont on parle moins – comme ça s’est passé dans la pêche – il y a des processus d’investissement qui sont portés par des acteurs qui n’ont rien à voir avec les petits paysans-boulangers, par exemple. Ce sont des acteurs qui, eux, vont mettre l’essentiel de la production française sur le marché. On parle très rarement de ces nouveaux paysans qui sont avant tout de nouveaux investisseurs considérant que l’agriculture est un secteur d’activité comme un autre où ils vont pouvoir investir. Et qui eux ont la capacité de proposer des produits à des industriels plus facilement ; de proposer des contrats à des agriculteurs plus petits, etc.

Il peut donc bien y avoir émergence d’acteurs importants dans l’agriculture ?

On a même des acteurs du monde maritime qui ont développé des formes d’investissement dans le monde agricole. On n’a pas pour l’instant les équivalents de Carrefour ou d’Auchan qui veulent investir directement. En revanche, il y a des partenariats qui se sont noués avec des acteurs du monde agricole via leur coopérative, leur groupement de producteurs. Mais ce n’est pas forcément la grande distribution qui va investir directement dans l’outil de production. Les investisseurs peuvent venir du monde ferroviaire, du monde industriel, du bâtiment qui vont considérer qu’il y a des enjeux forts en agriculture. Ils savent pertinemment que les Français sont attachés à la question alimentaire,  à la question territoriale… Les enjeux en terme de retour sur investissement ne sont pas forcément “bankable” mais, malgré tout, investir dans la terre, c’est, certes, pas simple mais ça peut rassurer dans un porte-feuille d’actifs.

Quelles sont les grandes transformations à venir ?

Ce que l’on a essayé de montrer dans les travaux que l’on a menés avec Bertrand Hervieu, c’est de dire que l’on n’a pas une trajectoire fixée pour un type ou des types d’agricultures. On a un monde paysan qui s’est transformé après guerre et qui était appelé à se moderniser. Pendant 30 ans ou 40 ans on était persuadés que les paysans allaient devenir agriculteurs sinon ils allaient disparaître. Et il y avait un horizon atteignable avec une organisation pour les aider. Aujourd’hui, on voit bien que les agriculteurs ne sont plus forcément appelés à devenir la même chose.

Plusieurs autres mouvements de fond

Par exemple, le devenir des agriculteurs d’Occitanie ne sera pas le même pour tous. Certains seront en situation de grande précarité, pour lesquels aucun avenir n’est possible pour eux. Et d’autres qui vont souhaiter se diversifier, accéder au marché directement, promouvoir un modèle familial tout comme il y aura des acteurs qui ne sont pas encore là mais qui seront là, en Occitanie, demain parce qu’ils auront fait le choix d’investir. Tout comme le secteur de la pêche. Il y a aussi des défis à gérer de coexistence entre différentes formes d’agriculture qui n’ont rien  à voir entre elles.

Ce que les gens ne voient pas c’est le mouvement de fond qui va affecter les agriculteurs en très grande détresse et en très grande précarité. Tout comme un autre mouvement de fond très fort, celui du rachat d’exploitation par des acteurs qui ne sont pas issus du milieu ; ou alors toutes ces familles agricoles qui délèguent leur activité à des entreprises de prestation. Il y a une vraie commercialisation de l’acte de production.

Propos recueillis par Olivier SCHLAMA

François Purseigle : http://www.francoispurseigle.info