L’association Enfance et Familles d’Adoption accueille à Montpellier le 28 octobre une spécialiste de l’adoption internationale, l’étonnante Québécoise Johanne Lemieux. Avec ses exemples colorés, la Nord-Américaine, grande vulgarisatrice d’une méthode empirique qui semble fonctionner, est très suivie en France. “La formation des parents adoptants devrait être obligatoire partout”, affirme celle pour qui un attachement réussi préside à une adoption réussie.
Dans la communauté adoptante, c’est une star. “Certains livres de Johanne Lemieux font partie de ceux que nous vendons le plus au sein de notre association et sur lesquels on se base beaucoup… L’adoption est souvent racontée soit comme une rencontre merveilleuse, soit comme un histoire impossible. La réalité est plus complexe…” Muriel Pirra est porte-parole de l‘association Enfance et Familles d’Adoption de l’Hérault (EFA34) qui accueille à Montpellier, le 28 octobre prochain, à 13h15, justement, “une spécialiste internationale” du sujet, la Québécoise Johanne Lemieux, qui donnera une conférence intitulée Cultiver l’attachement ou l’art d’être un parent-jardinier ! Inscription obligatoire ICI. Le lendemain est aussi consacré à ce thème (1).“Elle a rédigé de nombreux ouvrages, dont des best-sellers, pour accompagner les familles adoptantes et les personnes adoptées”, précise l’association (2).
Spécialisée dans l’adoption internationale
“Travailleuse sociale depuis 40 ans et psychothérapeute, Johanne Lemieux s’est spécialisée dans l’adoption internationale, en traitement des troubles de l’attachement et du syndrome post-traumatique. Johanne Lemieux est une auteure et coauteure de renommée internationale, membre de la commission des 1 000 premiers jours au côté de Boris Cyrulnik. Elle a publié de nombreux ouvrages spécialisés pour accompagner les familles adoptantes et les personnes adoptées, dont le best-seller (écrit avec le pédiatre Jean-François Chicoine) L’enfant adopté dans le Monde en quinze chapitres et demi et la trilogie de référence sur “la normalité adoptive”.
“Faible confiance vis-à-vis de l’adulte, faible estime de soi”
Pourquoi y aurait-il des problèmes avec des enfants adoptés ? “Leur début de vie est souvent assez chahuté, rappelle Muriel Pirra ; ils ont souvent une difficulté au niveau de l’attachement. Qui est non sécure par définition : ils n’ont pas eu une personne de référence, suffisamment sécurisante dans leur début de vie ce qui ne leur a pas permis une certaine confiance envers l’adulte.” Cela peut se traduire par des manifestations diverses comme du mal à s’endormir ; “beaucoup d’enfants ont des particularités au niveau sensoriel ; des troubles de l’attention : une hyperactivité plus importante, etc. Chaque enfant va le ressentir différemment. Il peut y avoir aussi des difficultés scolaires. Surtout une confiance faible vis-à-vis de l’adulte et une faible estime de soi.”
L’enfant sumo, l’enfant solo, l’enfant velcro
Johanne Lemieux, qui a elle-même adopté trois enfants, a développé une méthode “empirique“. “On disait jusqu’alors qu’un enfant adopté est soit entré dans le moule du petit enfant français soit il a des “insécurités” et c’est pathologique. Cette thérapeute développe ce qu’elle appelle une normalité adoptive, c’est-à-dire un entre-deux, ce fut l’objet de son premier livre. L’enfant n’est pas complètement dans un cas ou dans un autre. Il développe des stratégies d’attachement pour s’adapter à la situation. L’enfant sumo, l’enfant solo ou l’enfant velcro, comme Johanne Lemieux les a qualifiés. Ce dernier va s’attacher à ses parents sans arrêt, sans avoir la juste distance. Le sumo, c’est celui qui est dans la colère. Le solo, celui qui s’est fait tout seul. Elle a aussi identifié face à cela des facteurs de protection : c’est-à-dire quelle attitude des parents faut-il mobiliser.”
“Les “adoados”, les adolescents adoptés dont les crises “claquent” plus fort et avec des conduites à risques”
Et d’ajouter : “En Belgique et au Luxembourg, où ils ont beaucoup réfléchi sur l’adoption, davantage qu’en France, ils ont beaucoup interagi avec Johanne Lemieux et développé des structures intéressantes.” Dans son second livre, elle a expliqué comment accompagner les trois premières années de son enfant, en modélisant les différentes étapes “le CAAASÉ, le premier c’est le choc de la rencontre où l’on est complètement sonné ; la deuxième étape c’est l’apprivoisement, où l’on se découvre mutuellement ; l’adaptation à l’enfant en instaurant des routines durant trois mois et ensuite l’attachement qui se fait petit à petit. Et le sevrage.”
Quant aux adolescents, leur prise en compte est spécifique : “Les enfants biologiques, selon elle, naissent et l’attachement est immédiat. L’enfant va être amené à sortir peu à peu vers le monde extérieur. Alors que l’enfant adopté, lui, doit s’attacher à ses parents avant de “sortir”. Il faut faire attention et ne pas rendre cet enfant trop vite autonome. Dernière étape, l’équilibre. Tout cela donne des clés. Son dernier ouvrage, c’est ce quelle appelle adoados, les adolescents adoptés qui font une crise en général qui “claque” plus fort et avec des conduites à risques”.
Entretien avec Johanne Lemieux :
De moins en moins d’enfants étant adoptables, l’adoption internationale va-t-elle disparaître ?
Johanne Lemieux : Oui, pour toutes sortes de raisons (3). Cela va être de plus en plus exceptionnel. Et ça devrait encourager des pays comme la France à rendre adoptables des enfants beaucoup plus rapidement. Elle va disparaître pour toutes sortes de raisons, y compris à cause de la Convention de la Haye qui a pris plus de 20 ans pour être ratifiée par de nombreux pays et pour que les mentalités changent dans des pays d’origine où l’adoption est encore très taboue ; des enfants du péché dans certains pays, par exemple. Le principe de subsidiarité est mieux appliqué et d’un sens tant mieux car on ne souhaite pas que certains pays deviennent des supermarchés pour enfants à adopter (lire ci-dessous).
Chez nous, il y a 25 ans ou 30 ans, au Québec, on a créé la Banque mixte : c’est une troisième voie, à côté de l’adoption au Québec ou à l’international. Quand un enfant est retiré parfois il est déclaré à “haut risques d’être adoptable”. On va renverser les facteurs de risques. Jusque-là, c’était à l’enfant de vivre des ruptures jusqu’à ce qu’il soit adoptable. Pour un enfant en plein développement, c’est dommageable. Les familles de la Banque mixte prennent le risque que l’enfant s’en aille. Y compris vers sa famille biologique. Mais son développement n’est dès lors pas compromis.” (Selon la situation, l’enfant placé demeure en relation avec sa famille biologique. Dans l’éventualité où la situation de l’enfant ne permet pas son retour dans sa famille biologique, cette famille de la banque mixte le garde et s’engage à s’impliquer jusqu’à ses 18 ans jusqu’à, parfois l’adoption, Ndlr).
Et les familles d’accueil…?
Pendant longtemps, quand la Protection de la jeunesse retirait un enfant d’une famille négligente, il allait en urgence dans une famille de dépannage. Et, parfois, pendant quelques mois, on les plaçait dans une famille, le temps de s’assurer que les parents biologiques soient en mesure de lui assurer une vie stable et correcte. On s’est aperçu, grâce à nos connaissances sur l’attachement, que l’on causait parfois plus de problèmes que l’on trouvait de solutions. L’enfant passait de famille en famille jusqu’à ce que le juge et les travailleurs sociaux et tout le tralala décident que l’enfant était adoptable. Mais il avait vécu des années de rupture, de familles d’accueil en familles d’accueil. Et souvent l’institution censée protéger les enfants causait plus de traumas.
Est-ce une réussite ?
L’an passé, il y a eu 300 adoptions au Québec (l’équivalent de la région parisienne avec huit millions d’habitants). Parfois, on dit : la preuve qu’il ne faut pas casser le lien de filiation, c’est qu’à 18 ans, les enfants adoptés veulent retrouver leur famille biologique. Ce sont deux choses différentes ! Elever un enfant avec de forts liens d’attachement pour qu’il soit heureux, c’est une chose. Il peut être très bien et avoir ce que j’appelle l’instinct du petit saumon qui remonte la rivière et avoir besoin de connaître son histoire et remplir ce que j’appelle l’OMNI, l’Objet Manquant Non Identifié. 87 % des enfants placés – des milliers – dans la banque mixte sont ensuite adoptés.
En France, pourquoi est-ce si difficile d’adopter ?
En France, règne encore une mentalité assez archaïque selon laquelle les liens du sang seraient encore plus importants que toute la nourriture affective, la sécurité, l’attachement que l’on peut prodiguer à un enfant adopté. Au Québec, on était comme ça il y a 40 ans. Mais on était de pauvres colons à moitié affamés qui avaient pris des bateaux de la Rochelle pour venir s’échouer au Québec… (rires).
L’intitulé de votre conférence à Montpellier, c’est “cultiver” l’attachement ; pourquoi faut-il le cultiver ? Le parent, adoptif ou naturel, s’attache-t-il de la même manière ?
Non. L’attachement, ce n’est pas de l’amour. C’est de la sécurité. De l’engagement. Une capacité à protéger. De mettre en sécurité. Ce lien-là remplace le cordon ombilical pour communiquer aux parents ses besoins. Si tout se passe bien, si on sait apaiser le bébé – tu appelles quand tu es en détresse ; tu te laisses apaiser ; t’es mignon… -, on continue comme ça.
Dans ce cas, on n’aura pas à soigner l’attachement mais seulement à le développer. Et à le parler ensemble. Il y a aussi des cas où la vie va nous avoir donné des blessures d’attachement – c’est le cas souvent des enfants adoptés – des changements brusques de “donneurs de soins” ; des abandons, de la négligence, de la maltraitance ; et le bébé devra apprendre à parler une autre langue pour survivre. Or, les parents adoptants eux ont l’impression que tous les bébés, dont le leur, vont parler “attachement sécurisé ».
Et, quand, finalement, ce n’est pas le cas, ça crée des interférences terribles. Ce sont des bébés à haut risques de traumas complexes, pré-verbaux, des empêchements de se sentir en sécurité. Des instincts de survie très grands qui vont les mener à avoir des comportements étranges. Par exemple, certains vont arrêter totalement de demander ; ils vont sous-utiliser leur comportement d’attachement et n’exprimeront jamais aucun besoin. Autosuffisants, comme s’ils n’avaient pas besoin de l’adulte, c’est ce que j’appelle l’enfant solo. C’est très angoissant pour les parents qui ne savent pas comment s’y prendre. Et cela nuit à cet attachement.
Êtes-vous favorable à une formation des parents ?
Je n’y suis pas favorable. Je suis tellement pour…! Il faut absolument que les parents bénéficient d’une formation qui serait dispensée par des professionnels. La plupart des gens qui entrent dans cet univers de l’adoption pensent qu’ils savent. C’est faux. Et, en plus de leur parcours d’infertilité, de deuil d’enfant naturel, qu’on leur impose une formation, certains pourront trouver cela injuste alors que les parents “modèle de base” eux n’en n’ont pas. Certains peuvent être révoltés de ça comme moi je l’aurais été il y a 20 ans. Pourquoi laisserait-on des parents se sentir incompétents, stressés et mal intervenir ?
Car c’est la jungle pour adopter…
Oui, c’est la jungle. En France, jusqu’à il y a peu autorisait les adoptions par contact privés entre familles s’en en passer par des agences d’adoption, avec toutes les dérives : des gens qui cognent à la porte des orphelinats ; désespérés mais pas malhonnêtes qui finissent par donner des backchich… (3)
Votre dernier livre s’intitule adoados. Pourquoi l’adolescence se passe plus difficilement parfois pour des ados adoptés ?
À l’adolescence, on doit se détacher du camp de base, de ses parents. Or, quand l’attachement ne s’est pas fait ou mal fait, c’est devient compliqué. Il y a de la confusion. Il faut essayer le plus possible de travailler l’attachement. Re-materner. Re-paterner. Faire en sorte d’être proches. Comprendre aussi qu’à l’adolescence il se passe beaucoup de choses physiologiquement et psychologiquement ; ils peuvent être replongés dans des traumas précoces qu’ils ont déjà vécus. Cela les réactive qui n’était pas si présents. Beaucoup de “deuils” de rupture.
L’un des facteurs de protection, c’est nous-mêmes à nous préparer à un certain deuil. À l’adolescence, on devient ce que notre biologie a décidé que l’on devienne. Même si l’environnement influence. Les parents doivent savoir qu’un enfant adopté sera différent de nous encore plus qu’un enfant biologique. Il ne fait pas voir cela comme une preuve de non-amour, d’incompétence. Le parent doit bien interpréter certains comportements. Il y a ce que l’on peut attendre d’un comportement normal d’un ado et il y a le comportement d’un ado adopté qui a des “options supplémentaires”. Quand les parents le savent, ils ne paniquent pas. Ils ne s’épuisent pas mais demeurent encadrants et bienveillants.
Pourquoi crises et conduites à risques seraient-elles plus fortes et nombreuses pour un enfant adopté ?
Ces options-là – des particularités que partagent la plupart des enfants adoptés – c’est d’avoir eu des traumatismes précoces qui peuvent être activées de façon post-traumatique. Parmi les enfants “modèles de base”, on compte, par exemple, 7 % à 8 % qui ont des problèmes d’apprentissage ; c’est de 20 % à 25 % chez les enfants adoptés à cause de la malnutrition, le stress, etc. Quand un enfant a des “options supplémentaires”, c’est comme des étages supplémentaires d’une maison, c’est plus lourd à supporter. Il y a plus de travail. Ce sont des enfants plus sophistiqués, comme je l’appelle. Ils ont aussi beaucoup de force. Ce sont des survivants donc ils ont beaucoup de caractère.
Les “options supplémentaires” comme je les appelle, il y en a une douzaine. Dont la peur du rejet, mais surtout celle de décevoir son parent et autres personnes significatives, car selon l’interprétation erronée de la personne adoptée : la blessure d’abandon est survenue après la déception parce que “j’ai dû décevoir ma mère biologique ou famille biologique pour qu’il m’abandonne ou ne choisisse pas de m’aimer me garder où devenir partie de leur vie”. Donc, décevoir est extrêmement dangereux.
Autre exemple : toutes les petites, moyennes ou grandes personnes adoptées portent en elle un “OMNI” : un “objet manquant non identifié” fait des multiples éléments manquants mais douloureux : ne pas connaître son histoire, ne pas avoir une photo de sa mère biologique, avoir souffert de négligence en orphelinat ce qui laisse une impression de vide, de ne pas avoir été précieux et important, sans connexions humaines spéciales, ignorer son bagage génétique, etc. C’est vécu comme un vide, un manque flou mais parfois très pesant et présent.
N’est-ce pas la fameuse résilience dont parle Boris Cyrulnik, le psychanalyste français, depuis 40 ans ?
Boris, avec qui j’ai travaillé, explique qu’être résilient c’est continuer à survivre, à se développer tout en gardant des traces de son passé difficile. Ce n’est pas d’effacer les traumatismes. C’est faire avec ses “options supplémentaires”.
Comment faire avec un ado adopté qui fait des crises très fortes…?
On consulte. On ne panique pas. On essaie de voir ce qui appartient à son tempérament ; à la vie normale d’un ado de base ; et aux “options supplémentaires”. Par exemple, un ado de base se creuse la cervelle pour trouver la petite fragilité de ses parents (ce que j’appelle la mine anti-personnelle). Si je lui parle politique, il va “prendre” les nerfs, par exemple… Un ado de base va lancer : “Tu ne vas pas me dire quoi faire ; tu n’es même pas mon vrai(e) père (mère) !” Là, la pire chose à faire c’est de rétorquer : “Tu me respectes, tatata” et de prendre les nerfs. Là, ce que l’enfant dit c’est une affirmation qui, en réalité, est une question.
Il faut l’entendre comme suit : “Si je te dis que tu n’es pas mon père (ma mère), est-ce que je vais être encore ton fils (ta fille). Et lui dire : “tu peux dire ça mais il n’y a rien de ce que tu vas faire y compris voler, mentir, etc., que tu ne seras plus mon fils (fille).” Il veut entendre ça. J’ai adopté au Québec mais aussi à l’international. J’ai consulté et je me suis fait dire des bêtises par des gens… compétents ! Ils s’y connaissaient en maternité biologique mais pas en parentalité adoptive. Je me suis documentée dans des librairies ; je me suis formée, etc. Et je me suis dit toute l’expérience des parents adoptants, pourquoi tant de souffrance en laissant les familles adoptives dans l’ignorance de ces enjeux-là ?
Comment travaille-t-on, justement, l’attachement ?
À l’enfant “solo” qui ne demande rien, il faut aller vers lui et lui dire : “Tu as le droit d’être triste, fâché, d’avoir un besoin ; tu ne me dérange pas. Et je vais toujours essayer de répondre le mieux possible ; je ne rirais pas de toi ; je ne t’ignorerais pas comme peut-être tu as été ignoré.” Il faut encourager l’enfant à réactiver son comportement d’attachement et y répondre. L’une des plus grandes détresses les plus mal interprétées, chez les enfants biologiques aussi, c’est la colère.
Un enfant qui fait comme on dit chez nous une crise de bacon (le lard qui cuit dans une poêle saute… Ndlr), pour obtenir des bonbons ou autre chose, il faut voir cela comme de la détresse ; parce que plus petit il n’a pas été assez apaisé. On ne le punit pas. On ne l’engueule pas. On ne l’ignore pas. On l’accompagne pour s’apaiser. On lui dit : “Tu as parfaitement le droit d’être en colère mais tu ne peux pas frapper ton frère ; d’arracher les boîtes de céréales”, par exemple. Il faut prendre soin de la relation. Pas en redonnant la boîte de biscuits…
Il faut aussi regarder dans les yeux parce qu’il ne l’ont pas été assez. Pourquoi ? En thérapie, plusieurs enfants m’ont dit : “Si ma maman me regarde dans les yeux, elle va mieux me connaître et va voir que je suis mauvaise. Elle va faire comme ma maman biologique : elle va m’abandonner…” Les enfants par adoption ont souvent honte d’avoir été abandonnés. Ils sont convaincus qu’ils ont été un mauvais bébé ; un bébé qui ne valait pas la peine que l’on se batte pour lui. Les bébés ont besoin de sentir que leurs parents peuvent traverser mers et monts, de combattre Godzilla pour les protéger. Quand leurs parents biologiques n’ont pas pu ; pas su ou pas eu les conditions pour le faire, ils se disent : cela ne valait pas la peine qu’on me choisisse. Il se dit aussi : “Je suis incompétent à ce que l’on prenne soin de moi. Il a honte de moi-même.” La non-réaction à l’attachement c’est la base de l’estime de soi ou à la non-estime de soi.
Comment expliquez-vous que vous soyez relativement plébiscitée par les associations de parents adoptants ?
Je pense que je réponds à un besoin. D’être capable – peut-être pas parce que je suis Nord-Américaine, mais sans doute un peu – de vulgariser. De dire simplement des choses compliquées. J’utilise des images simples mais pas simplistes. Quand on ne sait pas, on ne sait pas. Et on fait mieux quand on sait mieux. Et j’ai acquis une expérience très large sur l’attachement, les traumas…
Je suis allée me former un peu partout. Je suis de la mouvance attachementiste, trauma informed practice, ATUP. Les parents, les professionnels de terrain apprécient ma façon de présenter ; parfois, mes collègues français qui sont excellents restent un peu dans leur stratosphère… Et quand j’ai des demandes de couples français, je les envoie souvent au Luxembourg, en Belgique ou en Suisse pour trouver quelqu’un qui soit dans le courant Atup qui puisse les accompagner avec ma méthode sur l’attachement, les traumas. Souvent, ce sont des thérapeutes qui pratiquent aussi l’EMDR.
Propos recueillis par Olivier SCHLAMA
Contact : bcaq@videotron.ca
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(1) Le samedi 28 octobre, de 14 heures à 17 heures, dans l’amphithéâtre de Montpellier Business School, une conférence sur le thème Cultiver l’attachement ou l’art d’être un parent-jardinier !, par Johanne Lemieux, sur les conditions pour créer un attachement sécure avec un enfant qui a vécu des ruptures et des traumatismes. Ouvert à tous, tarif : 30 €/personne (20 € pour les adhérents EFA34). L’inscription est obligatoire via Helloasso.
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Le dimanche 29 octobre, de 8h à 17h, à l’Hôtel le Méjean (proche du tram ligne 3) un cours à destination des parents adoptants sur le thème : les conditions gagnantes d’un attachement sain tout au long de la vie avec mon enfant adopté à destination des parents adoptants. tarif : 150€/personne (repas et collation inclus). L’inscription là aussi est obligatoire via Helloasso.
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(2) Enfance & Familles d’Adoption (EFA) est une fédération de 92 associations départementales, regroupant près de 6 000 familles adoptives et adoptés majeurs. Les objectifs de l’association sont de préparer et guider les candidats à l’adoption, de soutenir les adoptants dans leur parentalité et les adoptés dans leurs interrogations, de proposer des formations aux professionnels, et de fournir des informations sur l’adoption.
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(3) Une étude révèle l’ampleur des dérives des adoptions internationales en France par les historiens Fabio Macedo et Yves Denéchère en dresse un état des lieux glaçant :
- etude_historique_sur_les_pratiques_illicites_dans_ladoption_internationale_en_france-1 2
“Notre association propose aide et soutien”
Porte-parole d’Enfance et familles d’adoptin 34, Muriel Pirra dit : “Notre association a pour but d’aider les parents adoptants – et ceux qui sont en attente – et les adoptés majeurs en leur proposant pas mal d’activités. Il y a une énorme baisse de l’adoption internationale. Dans les années 2010 autour de 3 000 enfants arrivaient de différents pays.” Plus de 1 500 en 2012. “Et l’année dernière, à peine 232 enfants ont été adoptés en France à l’international.”
Muriel Pirra décrypte : “Il y a eu une loi en 2022 qui a apporté beaucoup de changement, permettant, par exemple, à des couples non mariés d’adopter – avant cela, on pouvait être célibataire mais pas concubin – ; mais aussi aux couples de même sexe. On est, par ailleurs, dans un contexte géopolitique compliqué ; avec la mise en place de la Convention de la Haye en 1993 : beaucoup de pays se sont peu à peu fermés à l’adoption. Et, trente après, à peine plus d’une centaine d’états en sont signataires.
Seulement douze pays “ouverts” à l’adoption
Un déclin qui a plusieurs raisons, à commencer par le principe de subsidiarité : dans certains pays, l’adoption internationale n’est souhaitable que si aucune autre solution n’est possible dans le pays de naissance de l’enfant. Et cela est cohérent avec, dans certains pays, l’émergence d’une classe moyenne souhaitant elle-même adopter sur place. “Actuellement, on est en train de refondre l’Agence française de l’adoption qui va changer de nom et il n’y aura plus que treize pays “ouverts” – dont le Burkina Faso qui vient de fermer… – en passant par les OAA (organismes habilités). Et vingt pays en passant par l’Agence française de l’adoption”, précise Muriel Pirra.
PMA, gestation pour autrui…
Autres raisons, le développement d’autres solutions comme la procréation médicalement assistée (PMA) puis, la gestation pour autrui, comme aux USA ; des procédures infinies qui découragent nombre de postulants ; mais aussi l’obligation d’en passer par des organismes officiels pour adopter, à cause de certains cas médiatiques de l’adoption illicite, comme des chercheurs de l’Université d’Angers l’ont montré. “Pour l’adoption française, on était autour de 700 adoptions il y a quelques années. On en était en 2021 à 613 adoptions” pour tout l’Hexagone. La crise covid, même si cela n’est pas forcément lié, a aussi contribué à cette baisse.
Dans ce contexte, l’association enfance et famille d’adoption amène “du lien” à sa communauté de gens qui sont en cours d’agrément, en proposant des “points rencontres postulants” soit à Montpellier soit à Béziers, animés par des membres de l’association qui, eux, ont déjà adopté.
“On leur décrypte ce qu’ils vont chercher. Qu’est-ce qu’il faut démontrer quand on est parents”
“C’est une aide psychologique. On accompagne ce chemin, parfois très long. Nous ne sommes pas un organisme habilité pour l’adoption. On est là pour de l’aide et du soutien. On leur donne de l’information sur les pays qui sont “ouverts” ; sur les opportunités ; sur la période d’agrément qui se déroule en plusieurs étapes durant neuf mois avec psychologues et travailleurs sociaux, des rendez-vous que certains ressentent de manière intrusive et on leur explique pourquoi. On leur décrypte ce qu’ils vont chercher. Qu’est-ce qu’il faut démontrer quand on est parents. Il y a aussi surtout des rencontres avec des parents qui veulent adopter, une dizaine, une vingtaine, autour d’une table et chacun partage là où il en est en expliquant ce qui réussi, ce qui a échoué… On y partage les coups de mou. Et aussi les bonnes nouvelles comme l’attribution d’un enfant. ”
“Très libre” groupe de parole entre parents
Conférences, jeux, sorties… L’association propose également un groupe de parole entre parents “très large, très libre, pour les parents tous les deux mois. Car, une fois que l’on a l’agrément, on est lâché dans la nature. On ne sait pas du tout où aller, comment s’y prendre. Faire un point comme cela tous les deux mois de faire le point, de se relancer. Personnellement, on était assez fier d’avoir déposé un dossier en Colombie qui avait été accepté et deux mois après ce pays “fermait”. On n’a jamais pu adopter en Colombie”, dit celle qui a adopté deux enfants, l’un en France, le second au Burkina Faso.
Quand on accompagne les postulants à l’adoption, c’est vraiment quelque chose sur lequel on insiste beaucoup : le respect de son projet”
Reste que chaque démarche d’adoption est singulière. Exemple : vous avez un agrément pour adopter un enfant de zéro à trois ans et le département vous propose un enfant de six ans. Ce qui ne correspond pas à votre projet d’adoption. Que faire ? Refuser ? En craignant que l’on ne soit plus jamais en haut de la pile…? “Quand on accompagne les postulants à l’adoption, c’est vraiment quelque chose sur lequel on insiste beaucoup : le respect de son projet. Effectivement, jusqu’où est-on prêt à accepter ce que l’on nous propose ; jusqu’à quelle particularité de l’enfant ? Les 232 adoptions à l’international, c’est avec dans 70 % des cas, des particularismes : de plus de cinq ou six ans, problématiques de santé ou obligation d’adopter la fratrie. Ce sont des profils que l’on doit être capables d’accueillir. Notre accompagnement vise à aider les postulants à bien identifier leur projet.”
Prouver par écrit qu’ils sont des parents aimants…
Certains enfants entrent, autre exemple, à l’école sans avoir le nom de leurs parents d’adoption parce que le tribunal n’a pas encore statué ; d’autres parents, qui ont une délégation d’autorité parentale pendant deux ans, doivent ensuite prouver par écrit qu’ils sont des parents aimants et apporter la preuve de ce qu’ils disent par des dessins, etc. Et ne pas seulement rendre un dossier en cochant simplement les cases. Mais personne ne le leur explique, sauf quand on a la chance qu’une greffière empathique vous donne le tuyau ! Souvent, les parents concernés se sont vus dans l’obligation de motiver leur demande d’adoption en couchant tout cela par écrit dans le dossier, dans un coin de la salle des pas perdus du tribunal pour le déposer l’après-midi même… “Il existe aussi des groupes Whatsapp pour aider les parents.”
O.SC.
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Selon Observatoire national de la protection de l’enfance, au 31 décembre 2021, 310 500 mineurs (+ 1 % par rapport à 2020, + 12,9% entre 2011 et 2021) et plus de 35 100 jeunes majeurs (+ 9 % par rapport à 2020, + 67% entre 2011 et 2021) sont suivis en protection de l’enfance. Les dépenses départementales pour l’aide sociale à l’enfance continuent d’augmenter et s’élèvent à plus de 9,1 milliards d’euros (+ 2,9 % par rapport à 2020, + 29 % entre 2011 et 2021).
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En 2021, 390 naissances sous le secret ont été enregistrées (- 25 % par rapport à 2020) et 613 pupilles de l’État ont quitté ce statut à la suite d’un jugement d’adoption au cours de l’année 2021. Enfin, au 31 décembre 2021, le nombre d’agréments pour l’adoption en cours de validité est estimé à 9 350 (- 2 % par rapport à 2020).
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