Ex-commissaire de police, Séraphin Parra vient d’être nommé délégué du Défenseur des droits à Sète. L’institution, qui fait peu parler d’elle, dispose de 500 de ces efficaces bénévoles sur l’ensemble de l’Hexagone. Leur action, totalement gratuite, s’avère payante pour résoudre des litiges avec les services publics et ceux liés aux discriminations, notamment. En Midi-Pyrénées, par exemple, le taux de résolution est de 80% ! Plongée au coeur d’une réussite qui ne fait pas de bruit mais qui redonne confiance et espoir à ceux qui se sentent exclus d’une société qui se coupe de plus en plus de ses administrés.
Unanimement apprécié à Sète, Montpellier, Dijon, parfois même presque vénéré, comme à Tahiti où il fut regretté comme “patron” : l’ex-commissaire de police Séraphin Parra ne porte pas son prénom comme un prête-nom. Pas angélique pour deux sous mais d’une riche bienveillance. « C’est quelqu’un qui fait le bien et fait du bien », résume un policier qui l’a côtoyé. « C’est un homme de service public. » Lui-même, 65 ans, dit simplement : « J’ai œuvré toute ma vie pour faire de la protection, de la sécurité, à défendre le droit, tout le droit, au niveau global pour une population. » Délégué du Défenseur des droits lui va donc comme un gant : « Là, je change d’échelle : je vais aider des particuliers notamment dans leurs litiges avec les administrations. Mais je reste dans la même logique de service public. » Une ligne de vie. “C’était un patron très humain qui sait être foncièrement à l’écoute de l’autre”, répète Bruno Bartocetti, délégué du syndicat policier SGP/FO pour le Sud de la France.
Bénévole, comme les quelque 500 autres délégués du Défenseur des droits, autorité indépendante, créée par une loi organique de 2008, qui, sur tout le territoire national, mettent de l’huile dans les rouages d’une machinerie administrative auto-broyante, apaisent les relations qui peuvent vite se bloquer avec les administrations ; font respecter les droits des enfants ; aident à lutter contre les discriminations ; à protéger des lanceurs d’alerte… Ses missions sont innombrables.
Défenseur des droits : en direct avec les usagers
Bonhomie apparente en bandoulière, verbe calme, ton posé, Séraphin Parra est depuis le 1er juillet le couteau suisse local anti-(t)erreur administrative. Nommé par Jacques Toubon, il est basé à Sète. Pour sa première permanence, sa réputation lui est restée collée comme le sparadrap sur le doigt du capitaine Haddock, même deux ans après avoir pris sa retraite, et sans que personne ne sache qu’il avait ouvert cette permanence, il a déjà reçu « deux personnes, dont une avait un problème avec… la police. » Ca ne s’invente pas.
L’ex-commissaire fait preuve d’humilité. « J’ai connaissance des problèmes existants, bien sûr, mais de façon filtrée. Là, je serai en contact direct avec les usagers. » Et ce sera sans doute la cour des miracles. Le cœur de son intervention est de faire « du lien, notamment avec les administrations ». La première démarche est “d’interroger les personnes-clefs dont nous avons les coordonnées dans les administrations”, dit-il. Il faut dire que les services publics ont l’obligation de répondre au Défenseur des droits ; ça facilite. Ceux-ci ont un vrai pouvoir de médiation en matière de litige. Et redonnent confiance et espoir à ceux qui se sentent exclus.
“Et puis nous pouvons aussi nous appuyer sur un réseau de 200 juristes au siège du Défenseur à Paris”, défend celui dont le frère est aussi délégué du Défenseur des droits en Ariège ! Lieutenant-colonel de gendarmerie à la retraite, Jean Parra officie, lui, à Pamiers depuis 2012. Si ce n’est pas de l’atavisme, ça y ressemble ! Rapatrié d’Algérie, leur père à tous deux avait été fait prisonnier pendant la Seconde Guerre mondiale. Polyglotte, juste, respecté, il a notamment été garde-champêtre. « Il incarnait l’honnêteté, et le respect, des valeurs qu’ils nous a inculquées », confie Séraphin Parra qui s’est “toujours battu contre les inégalités”. Déjà, au CM2, il voulait faire l’école de la magistrature !
“C’est valorisant, on résout des problèmes”
Le monde est devenu complexe. Les injustices de plus en plus nombreuses, notamment à cause des relations désincarnées et donc difficiles avec les administrations toutes subordonnées au tout-numérique. Un gravillon et la machine s’emballe comme dans le film Brazil. Certes, les dispositifs d’aide se multiplient dans les collectivités. Ecrivain public, conciliateur de justice, etc. Certes, on n’a jamais compté autant de médiateurs. Pas une administration qui n’en ait pas un voire deux ! Mais, finalement, ils ne sont pas si nombreux les administrés à y recourir. En revanche ils sont de plus en plus nombreux à se tourner vers le Défenseur des droits. Y a-t-il une raison à cela ?
« Peut-être que les gens s’imaginent que ces médiateurs-là implantés dans chaque administration ne sont pas forcément indépendants puisqu’ils sont payés par cette même administration », avance comme explication Myriam Dumas-Galant. Juriste au centre d’information des droits des femmes et des familles, elle est la référente, à Montpellier, des 20 délégués héraultais du Défenseur du droit depuis sa création en 2011 et depuis 2000 quand elle était déléguée du médiateur de la République, autorité qui, comme d’autres, a été absorbée par le Défenseur des droits. Il n’y a pas de crise des vocations. Au contraire ! « Je n’arrête pas de recevoir des courriers de gens, souvent retraités, qui veulent être désignés délégué du Défenseur. Ça s’explique : c’est valorisant, on est en lien direct avec les gens et on résout des problèmes. » Pourtant, les dossiers s’empilent : une centaine en 2016 et déjà 46 en 2017 rien que sur son bureau. « On travaille main dans la main avec la CPAM, le RSI, MSA, Carsat, France télécom, etc. » Myriam Dumas-Galant pointe des dossiers où il « suffit d’être en lien avec les bonnes personnes et éviter ainsi un litige ou une discrimination. C’est le cas, récent, d’un enfant handicapé qu’avait besoin de davantage d’heures de son aide de vie scolaire (AVS) ». Ou encore ce couple qui a vendu sa maison pour aller vivre en Aveyron et auquel les impôts réclamaient toujours le paiement des impôts locaux. Ils ont même été ponctionnés sur leur salaires. » Ils ont envoyé des tonnes de lettres. En vain. Il a suffi de 15 jours et d’une lettre de la déléguée montpelliéraine avec la copie de l’acte de notaire pour débloquer la situation.
Du côté de l’ex-Midi-Pyrénées, Colette Gayraud décrit des dénouements nombreux avec finalement peu de moyens. L’animatrice des 25 délégués du Défenseur des droits dans cette partie de l’Occitanie explique qu’en 2016 quelque 1 700 dossiers y ont été traités.
« Parfois, il suffit de pas grand-chose », dit cette ex-gérante dune société de canards et de foies gras et qui s’est investie contre la maltraitance des enfants. « Nous traitons souvent des difficultés d’auxiliaires de vie scolaire », confie-t-elle justement. Et d’ajouter : « Nous recevons souvent des gens paumés qui accumulent une multitude de problèmes. Avec Pôle emploi, cela peut être un problème de radiation infondée par exemple ; idem pour les impôts ou des situations d’allocations indues, comme avec la Caf qui en Midi Pyrénées multiplie les contrôles. » Et qui dans le lot ouvre statistiquement la voie à des erreurs de majorations, d’indus qui n’en sont pas. Comment explique-t-elle qu’avec l’informatisation des fichiers de tous les services publics, on en arrive à des situation ubuesques qu’eux seuls arrivent à débloquer ? Elle dit : « Les institutions ont l’obligation de nous répondre. » Ce qui explique aussi les 80% de résolution des dossiers, un score soviétique ! A la veille de sa seconde permanence, Séraphin Parra ne s’en étonne pas. Et espère faire aussi bien. “On peut y arriver !” dit-il.
Olivier SCHLAMA