Carole Delga a invité, ce samedi, tous les chefs de file des partis de gauche, hors LFI, dans l’Aude. Tous en ont convenu : la priorité, c’est la lutte contre le RN. Très applaudis, Carole Delga et Raphaël Glucksmann énoncent l’ère possible d’un nouveau contrat social. La candidature à la présidentielle a occupé en partie les esprits.
Dans le parc de Bram, agréable bourgade rurale de l’Aude, planté de tilleuls et de marronniers centenaires, trône un étal de vente de cassoles en terre cuites fabriquées dans le village. Elles servent à préparer et y déguster le fameux cassoulet. Pas besoin de pousser la voix : les jolis contenants attirent le chaland. A côté, lors de la “plénière” où l’arc de gauche républicaine, hors LFI, fait assaut de didactisme sur L’avenir de la gauche et de la France, on aimerait trouver la recette miracle pour se rassembler et redevenir une alternative crédible face au RN.
5e édition des Rencontres de Bram

Les Rencontres de Bram, les 5e du nom, accueillaient les retrouvailles annuelles de la gauche de gouvernement dans un moment où la France apparaît la plus fragile. Un laboratoire des possibles. “Quelque 2 500 personnes venues de 48 départements ont fait le déplacement”, précisait Carole Delga, en maîtresse de cérémonie avant qu’un cassoulet géant soit servi à table : pas moins de 2,4 tonnes ! Bram est, toutes proportions gardées, la Roche de Solutré de Mitterrand ou, plus prosaïquement, l’équivalent de la Fête de l’Huma, sans les concerts. Ni, dans le parc du Château de Presles (Val d’Oise), chez Lutte ouvrière, les appréciés jeux de chamboule-tout où l’on se permettait jadis de dégommer les caricatures des principaux chefs de file politiques…
Tous les ténors, hors LFI, sont présents et pas alignés
Ici, à Bram, on se rassemble, on débat sérieusement et on essaye de s’organiser. Raphaël Glucksmann (Place publique), Marine Tondelier (EELV), Olivier Faure (1er secrétaire du PS, Michaël Delafosse (maire de Montpellier), Patrick Kanner (président du groupe PS au Sénat), Jérôme Guedj (député), Guillaume Lacroix (président du PRG)… Seul manquait à l’appel Fabien Roussel (PCF) retenu par des obsèques dans sa commune et remplacé par le sénateur des Bouches-du-Rhône, Jérémy Bacchi. Mais traduire l’union autour d’un cassoulet en union politique, c’est compliqué : entre les tenants d’une primaire ouverte à gauche à la présidentielle de 2027 (Tondelier) ; ceux inflexibles sur une non-alliance à vie avec Mélenchon (Glucksmann, en tête à l’applaudimètre) ; de celui qui ne dit pas non définitivement à un nouveau Nouveau front populaire avec LFI (Olivier Faure)…
Dans ce moment de l’histoire avec la guerre qui fait rage en Europe et les menaces qui pèsent sur notre République, c’est non, non, non”

Entre les uns et les autres, les visions stratégiques pour la présidentielle ne sont pas (encore) alignées. Faure : “Je ne me soucie pas de ce que fait Jean-Luc Mélenchon. Il a déjà dit qu’il sera candidat (…) Il y aura une seconde candidature, d’union de la gauche.” Pour lui, elle est à trouver entre Ruffin et Glucksmann. Marine Tondelier, la cheffe des écolos, “seule femme sur scène qui, si on était dans mon parti, aurait la moitié du temps de parole”, avait pour mission de défendre une candidature commune avec les Insoumis… “Nous avons su nous réunir pour faire le NFP, dit-elle. Est-ce que le risque de voir Jordan Bardella accéder à Matignon est moins fort aujourd’hui ? Non.” Malgré des huées, elle dit : “On finira par être d’accord ; on n’a pas le choix.” Jusqu’à tacler, en sourire et en direct le président de Place publique assis à côté : “On ne gagnera pas, dit-elle frondeuse, si Glucksmann et Mélenchon sont candidats tous seuls…” Glucksmann a réagi : “Si on fait une primaire et que Mélenchon gagne, cela veut dire que s’il gagne on s’aligne derrière lui. Dans ce moment de l’histoire avec la guerre qui fait rage en Europe et les menaces qui pèsent sur notre République, c’est non, non, non”, ferme-t-il.
Quant à Carole Delga, subtile arbitre, elle avait déjà temporisé sur ce sujet lors de la conférence de presse matinale : “On aura le temps pour l’incarnation d’un candidat. Ce qui compte, c’est le projet.”
“Nous sommes étouffés de gens qui croient absolument avoir raison”

Justement, le but de cette convention : “Concilier pour réconcilier.” Et gagner les prochaines échéances électorales. Cette fois, l’heure n’est plus totalement aux critiques inter-socialistes : Olivier Faure, présent pour la première fois à Bram, en est la preuve tangible ; la réconciliation n’est-elle pas le premier pas du chemin ? Ce n’est pas juste la gauche mais une gauche qui se veut juste. Parce que l’heure est grave et que les Français “attendent du changement”, dixit Delga. Davantage de justice sociale. De justice fiscale. A ce sujet, Carole Delga se dit “déçue” des propositions de Lecornu dans Le Parisien (lire ci-dessous). Empruntant une phrase d’Albert Camus, Carole Delga a dit quelques minutes plus tard, sans nul doute à l’adresse de Macron : “Nous sommes étouffés de gens qui croient absolument avoir raison.”
“J’en ai marre que la gauche se donne en spectacle ; que les uns critiquent les autres, s’étrillent”

Sinon, comment va la France ? DG de la fondation Jean-Jaurès, Jérémie Peltier l’a exprimé : “Pas bien.” “Grande fatigue” générale ; “désir d’apaisement” ; “époque déshumanisée”. “La moitié des Français sont révoltés de la situation économique.” Face à ce constat, la gauche n’en tire pas profit. Elle a du mal à parler aux ouvriers dont la moitié votent RN… Sans oublier la “solitude : un quart des Français se disent seuls ; c’est une épidémie ; c’est comme s’ils fumaient 15 cigarettes par jour, en terme d’impact sur la santé », s’est alarmé Marine Tondelier, secrétaire nationale EELV. Et d’exprimer : “J’en ai marre que la gauche se donne en spectacle ; que les uns critiquent les autres, s’étrillent”. La priorité, c’est, a-t-elle insisté, que le RN n’accède pas au pouvoir. “Le NFP (Nouveau front populaire) en 2024 a-t-il été parfait ? Non. Mais Bardella n’a pas accédé à Matignon…” La secrétaire nationale des Verts n’est “pas d’accord sur tout ; la A 69, la LGV, etc. Mais, a-t-elle dit, en substance, il y a un chemin pour partager le même espoir à gauche.”
“La promesse de conditions de vie meilleures des classes moyennes n’est plus tenue”
Régulièrement applaudi, Raphaël Glucksmann a d’abord qualifié : “Bram, c’est l’événement le plus stimulant de l’année ! Et cette année, c’est une année de bascule historique. Ça donne le vertige” face à une vague RN annoncée. “On n’y arrivera pas juste en levant le poing et en disant no pasaran…” La première raison de cette perte de repères ? “Les années 1980 étaient une période de stabilité avec une promesse : que les conditions de vie des classes moyennes s’améliorent. Cette promesse n’est plus tenue. Si on veut endiguer le RN, il faut remettre les travailleurs au coeur du contrat social ; gagner une élection ne se fera pas avec des incantations”.
“Les gens ont peur pour leur identité. On doit répondre à cette angoisse”

Ensuite, Raphaël Glucksmann a évoqué une “crise de civilisation. Les gens ont peur pour leur identité. On doit répondre à cette angoisse”, valable partout dans le monde. “Le destin de la France est plus grand que celui rabougrie de Retailleau ou poutiniste du RN.” Le député européen a aussi lancé à l’adresse de Marine Tondelier : les critiques entre élus de gauche, ce n’est pas du spectacle ; nous n’avons pas tous la même lecture des moments historiques que nous traversons. Il faut une capacité à être sincère et cohérent. Mon angoisse à moi c’est le plafond de verre de la gauche, à 25 %. Il faut le faire sauter pour gouverner ! Pour des services publics, davantage de justice fiscale et sociale, sans avoir à le quémander…”
Pour Olivier Faure, “il faut trouver les moyens pour que nos enfants vivent mieux ; il faut assumer nos désaccords ; si on n’est pas d’accord avec LFI ? Eh bien, ce n’est pas grave !” Enfin, Marine Tondelier a averti : “S’il n’y a pas de victoire aux municipales de 2026, il n’y aura pas de victoire à la présidentielle de 2027.” Là dessus, toute la gauche est d’accord.
Olivier SCHLAMA
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“Père” de la loi pour l’abolition de la peine de mort, Robert Badinter, auquel Les Rencontres de la Gauche ont rendu un hommage, entrera au Panthéon le 9 octobre. Bernard Cazeneuve y a prononcé un discours.
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“Un projet de société porteur d’espoir”
Une France plus forte pour dépasser “l’illusion du macronisme”. “Aujourd’hui, une majorité de nos concitoyens partagent avec nous cette envie de dépasser le macronisme injuste, de dépasser l’autoritarisme illibéral de l’extrême droite, pour écrire ensemble un nouveau récit français, positif et progressiste.” Et : “C’est à nous, désormais, de leur proposer, avec humilité et responsabilité, un projet crédible et positif, pour redresser le pays.”
“Sortir de la guerre des égos”

Réconcilier pour réconcilier. Sur tous les plans, c’est possible, dit-elle. Sur la cohésion sociale comme pour le mix énergétique qui permet de concilier production durable et écologie, prenant exemple sur le champ d’éoliennes en mer qui produiront bientôt de l’électricité pour 120 000 habitants. Alors certes, une addition de projets locaux ne fait pas un projet de société mais cela montre que le “changement est possible. Il faut aussi sortir de la guerre des égos. Il faut réinventer un projet de société porteur d’espoir”.
Nouveau projet pour l’école, la santé, la sécurité
Carole Delga a surtout évoqué sa volonté d’un “nouveau contrat social avec quatre axes majeurs : la non marchandisation de la vie, de la crèche à la maison de retraite. Tous les services aux plus vulnérables a besoin d’un financement juste avec une gestion à but non lucratif, pour nos aînés et nos bébés”. L’école, c’est le deuxième axe avec, s’appuyant sur “un service public de la petite enfance, de meilleures formations pour les assistantes maternelles et une semaine de quatre jours et demi pour lutter contre le déterminisme social, avoir un horizon plus grand et des étoiles au fond des yeux… Il faut aussi revoir les formations des enseignants, créer des passerelles : est-ce encore possible d’être enseignant pendant 40 ans…? »
Nouvel acte fort de décentralisation
La santé est le 3e axe. Face à l’embolie du système, les collectivités doivent pouvoir recruter des médecins. “En Occitanie, dans les maisons de santé, j’ai signé 110 contrats de médecins…” Enfin, la sécurité. Dans tous les domaines en renforçant les compétences de la police.
Pour parachever le tout et mettre ces priorités, qui pourront bien sûr être complétées, Carole Delga veut un nouvel acte fort de décentralisation : “Il faut un état fort avec des pouvoirs régaliens et des régions, des communes et de départements qui aient davantage de pouvoir.”
O.SC.
Delga “déçue” par le Premier ministre
“Oui, je suis déçue des premières pistes avancées par Sébastien Lecornu.” Carole Delga réagissait aux premières annonces du nouveau Premier ministre dans le Parisien. “Elles ne correspondent pas aux attentes des Français. Il y a un vrai problème de justice sociale et fiscale ; des bas salaires… La taxe Zucman sur les très hauts revenus ? Un épouvantail.” Attend-elle encore beaucoup du rendez-vous vendredi prochain entre le Premier ministre et les responsables socialistes ? “On attend autre chose. J’espère une prise de conscience. Je m’étonne à quel point il y a cette surdité face aux attentes des Français. Soyons constructifs jusqu’au bout…”
“Travailler sur le fond”

La gauche, en tout cas, semble réunie. Même Olivier Faure était présent. Qu’est-ce qui a joué ? “Ma ligne, en tout cas, n’a pas changé, souligne Carole Delga. Ni macroniste ni mélenchoniste.” La présidente de la Région Occitanie a aussi un bilan prouvant que tout le “travail que l’on mène apporte des solutions à la population. Il faut cette reconnexion avec le peuple”.
Les Rencontres de Bram sont-elles des prémices à une possible primaire à gauche ? Fidèle à sa ligne, Carole Delga le redit : “Il faut arrêter de se focaliser sur une question de personnes ; il faut travailler sur le fond ; créer une nouvelle relation avec les gens qui demandent un changement.”
O.SC.
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