Réfugiés : L’avenir des demandeurs du droit d’asile se joue aussi à Toulouse

Laurin Schmid-SOS MEDITERRANEE

La loi immigration a permis, aux côtés de la Cour nationale du droit d’asile (CNDA), la création de chambres régionales. L’une d’elles vient d’entrer en fonction à Toulouse pour l’Occitanie. Christine Massé-Degois, de la CNDA, décrypte rôle et missions de cette juridiction méconnue. Et qui ne donne satisfaction qu’à un réfugié sur cinq venu défendre sa condition et sa dernière chance de rester en France.

Traverser la Méditerranée au péril de sa vie quand on fuit dare-dare la guerre en Syrie ou affronter tous les dangers des lois liberticides quand on est une femme en Afghanistan… Ce sont souvent de multiples drames humains qui arrivent en Europe et en France. La plupart de ces réfugiés demandent l’asile. Pour cela, ils doivent déposer un dossier à l’Ofpra, l’Office français de protection des réfugiés et apatrides. Mais ce n’est pas simple. En 2023, on y a compté 124 056 demandes, chiffre en hausse de plus de 8 % par rapport à 2022. Mais, attention, 80 % de ces demandes ont été rejetées. Et ce sont ces demandes rejetées qui se retrouvent devant la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) que saisissent les réfugiés.

Risque avéré, ou pas, en cas de retour dans son pays

Présentation de la chambre territoriale du droit d’asile à Toulouse. Ph DR.

Les 80 % de réfugiés déboutés n’ont alors qu’une seule possibilité : défendre leur dossier devant la Cour nationale du droit d’asile (CNDA), une juridiction unique en son genre. Basée à Montreuil (Seine-Saint-Denis), elle vérifie si le refus de l’Ofpra respecte les textes applicables, en particulier la Convention de Genève du 28 juillet 1951, et si la personne présente un risque avéré en cas de retour dans son pays. Et donc, a contrario, seulement 20 % de ces demandes sont acceptées parce que la juridiction aura estimé que la vie de ces réfugiés peut être menacée dans leur pays d’origine. À ce moment-là, le requérant n’est pas – encore – français. Il a un statut de réfugié. Avec des droits, certes, mais pas tous : il lui est impossible de voter, par exemple. Il peut aussi demander la nationalité française à la préfecture.

Persécutions en raison de ses opinions politiques, sa religion, son appartenance à un certain groupe…

Plus généralement, dans le monde, des personnes peuvent être gravement menacées dans leur pays en raison de leur engagement politique, de leur genre, de leur religion, de leur orientation sexuelle ou à cause d’un conflit armé. Elles peuvent demander l’asile en France. La CNDA peut octroyer le statut de réfugié, en cas de risque de persécutions dans son pays d’origine en raison de ses opinions politiques, de sa religion, de son appartenance ethnique ou encore de son appartenance à un certain groupe social (carte de résident de 10 ans).

80 % de demandes rejetées devant la CNDA

Pour juger, en tout cas, la CNDA “tient notamment compte du récit du demandeur d’asile et de la situation dans son pays (guerre, lois discriminatoires, non-respect des droits humains, situation des minorités…) Par les décisions de justice qu’elle rend, la Cour peut confirmer la décision de l’Ofpra ou annuler cette décision en octroyant au demandeur”. Là aussi, les statistiques sont parlantes : la CNDA a été saisie, en 2023, de 64 685 demandes (+ 5 % par rapport à 2022) dont huit sur dix ont été rejetées. Et donc seulement 20,5 % ont été acceptées, toutes nationalités confondues. Une sur cinq. Cela varie bien sûr en fonction des pays : pour la Syrie, 6,9 dossiers sur dix sont acceptés ; pour l’Iran, c’est 5,9 sur dix. “L’augmentation des recours est due à une hausse des demandes devant l’Ofpra ; il y a mécaniquement davantage de rejets et donc de recours devant la CNDA”, confie Christine Massé-Degois.

Devant cette juridiction, prolonge-t-elle, “le réfugié doit établir ses craintes devant la plupart du temps une formation collégiale de trois juges qui disposent de tout le dossier. La difficulté, c’est qu’il n’y a pas de preuves tangibles dans la majeure partie des cas. Par exemple, comment un demandeur d’asile, qui se prévaut de craintes liées à son orientation sexuelle, au Cameroun ou en Irak, fait-il pour le prouver ? Il n’a pas de certificat qui va établir son orientation sexuelle.” La difficulté du métier de juge d’asile est d’essayer d’approcher la vérité au plus près. De protéger les réfugiés qui doivent l’être. Pas ceux qui ne doivent pas l’être…

“Toute femme qui refuse de se soumettre aux lois talibanes, est protégée au titre de la Convention de Genève”

SOS Méditerranée. Photo : Hannah Wallace Bowman / MSF

La magistrate précise que, depuis la chute du régime syrien de Bachar el Assad, la CNDA a “suspendu toutes les demandes venues de ressortissants Syriens. Les demandes déjà enregistrées le restent. Celles qui vont nous parvenir vont continuer à être instruites mais il n’y aura pas d’audience tant que l’on n’aura pas une meilleure visibilité sur le devenir du nouveau régime ; on ne peut pas savoir si les demandeurs ont ou non des craintes de revenir en Syrie.” Idem pour les talibans, en Afghanistan : “Pour les femmes on est encore très loin du compte : toute femme qui refuse de se soumettre aux lois talibanes, est protégée au titre de la Convention de Genève.”

Malgré tout, 80 % de personnes sont déboutées in fine du droit d’asile par la CNDA. Que deviennent-ils ? “Le rôle et les missions de notre juridiction s’arrêtent là. Nous n’avons pas de visibilité sur ce qui se passe après.” Certains restent sur le territoire. S’ils sont contrôlés, ils sont en situation irrégulière, à moins qu’ils aient demandé un titre de séjour en parallèle ou formé un pourvoi devant le Conseil d’Etat qui ne juge qu’en droit, sur la régularité de la procédure. Normalement, ils risquent, du fait de leur situation devenue irrégulière, une OQTF”, une Obligation de Quitter le Territoire Français, un acronyme qui défraie régulièrement l’actualité, à commencer par l’influenceur algérien Zazou Youcef qui appelait récemment à commettre des attentats en France.

“La majeure partie des réfugiés sont demandeurs d’asile”

Le demandeur d’asile n’est pas un clandestin. “La majeure partie des réfugiés sont demandeurs d’asile dans le mois qui suit leur arrivée en France. Ceux qui font la demande alors qu’ils sont sur le territoire national depuis un, deux ou trois ans, sans avoir de titre de séjour, ça arrive mais c’est à la marge”, souligne Christine Massé-Degois, de la CNDA. Un demandeur d’asile, et ce, jusqu’à la fin de son parcours juridique, se voit accorder une somme par l’État français de quelques centaines d’euros par mois, la somme dépend s’il est ou non célibataire, s’il a ou non un logement, s’il est hébergé dans un Cada, etc. “Ce représente moins de 500 € par personne et par mois.”

Cinq chambre territoriales, Toulouse pour l’Occitanie

La chambre territoriale du droit d’asile à Toulouse qui siège à la Cour administrative d’appel au 3, rue Montoulieu Saint-Jacques. Ph DR.

La CNDA peut aussi accorder une protection dite “subsidiaire”, si le demandeur ne remplit pas les conditions pour prétendre au statut de réfugié, mais présente quand même des risques d’être soumis à la peine de mort ou à une exécution, à la torture ou à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. Ou encore, s’il s’agit d’un civil, soumis à une menace grave contre sa vie en raison d’un conflit armé interne (là, la carte de séjour est d’une durée maximale de quatre ans). La législation est harmonisée par des directives européennes que ce soit en France en Italie ou ailleurs, elles s’appliquent de la même manière en Europe”, précise Christine Massé-Degois.

La CNDA est organisée en 23 chambres. Et, depuis le 1er septembre, en plus des 18 chambres situées au siège de la Cour à Montreuil, cinq chambres territoriales ont été créées à Bordeaux, Lyon, Nancy et Toulouse. De quoi permettre aux requérants de ne pas être obligés de payer le trajet jusqu’en région parisienne, au siège de la CNDA, à Montreuil. En 2023, cette juridiction a jugé 66 358 recours, dans un délai moyen de six mois et trois jours. Le parcours judiciaire tout entier peut durer un an, voire plus.

Rapprocher le demandeur d’asile du juge administratif

La loi du 26 janvier 2024 pour contrôler l’immigration et améliorer l’intégration, complétée par le décret du 8 juillet 2024, a prévu la création de chambres territoriales de la CNDA. Cette réforme vise à rapprocher le demandeur d’asile du juge administratif et ainsi leur éviter des déplacements parfois lourds et coûteux. Et peut-être fluidifier le traitement des demandes.

Depuis le 1er septembre dernier, la chambre territoriale de Toulouse est compétente pour examiner les recours des demandeurs d’asile d’Occitanie, qui ont la possibilité de bénéficier de l’aide juridictionnelle sans conditions de ressources et dont la demande de protection a été refusée par l’Ofpra, résidant en Occitanie (Ariège, Aude, Aveyron, Hautes-Pyrénées, Haute-Garonne, Hérault, Lozère, Pyrénées-Orientales, Gers, Lot, Tarn, Tarn-et-Garonne). Tout ce la se fait à effectifs constants : ce sont les magistrats du siège, à Montreuil, qui se déplacent, notamment à Toulouse, au cours d’audiences déconcentrées. Attention, il faut toujours saisir le siège de la CNDA qui répartit ensuite les demandes dans ses chambres territoriales.

L’activité de la chambre toulousaine s’intensifie

Au Cada de Millau. DR

L’activité de la chambre toulousaine s’intensifie : une première audience s’est tenue le 26 novembre 2024 et deux audiences ont été organisées les 13 et 20 décembre 2024. Ensuite, il est prévu 14 audiences au cours du mois de janvier 2025, puis 16 audiences en février 2025. La chambre toulousaine est composée de 17 juges : outre le président permanent, huit présidentes et présidents vacataires, trois assesseures et assesseurs nommés par le vice-président du Conseil d’Etat et six assesseures et assesseurs nommés de même mais sur proposition du représentant en France du haut-commissaire des Nations-Unies pour les réfugiés.

À ce jour, une cinquantaine d’affaires ont été jugées ou ont été convoquées à une audience prochaine et un peu plus de 350 recours relevant de la compétence de la chambre territoriale de Toulouse ont d’ores et déjà été enregistrés. D’autres chambres seront créées à Marseille et à Nantes en septembre 2025.

Olivier SCHLAMA

Loi immigration, gage à l’extrême droite

L’immigration est une rengaine sensible. Le gouvernement Barnier avait annoncé, en octobre 2024, comme gage non dit à l’extrême droite, une énième loi immigration pour 2025. avec un durcissement de la rétention administrative, de 90 à 210 jours pour les étrangers jugés “dangereux“. Une mesure réservée jusque-là aux infractions terroristes.

Déjà, le 25 janvier 2024, “le Conseil constitutionnel avait censuré les mesures de fermeté les plus approuvées par les Français”, avait déploré le président du RN, Jordan Bardella dénonçant un “coup de force des juges, avec le soutien du président de la République” et plaidant pour un “référendum” sur la question. L’exécutif avait estimé, pour sa part, que le texte initialement promu par la la majorité présidentielle a bien été validé. Macron le promulguera le 26 janvier.

Durcissement comme jamais

Photo Hara Kaminara / SOS Méditerranée

Mais, même amputé, le texte d’origine du gouvernement se voit durci comme jamais avaient dénoncé les signataires d’un collectif dont la Cimade, la Ligue des droits de l’Homme ou encore le Syndicat de la magistrature : “condition de respect des principes de la République” pour l’obtention ou le renouvellement d’un titre de séjour ; renforcement de la double peine ; levée de protection contre les obligations à quitter le territoire français, y compris pour les conjoints ou les parents de Français, instrumentalisation de la menace à l’ordre public ; allongement des délais pour accéder au juge des libertés en zone d’attente et en centre de rétention ; création d’un fichier de mineurs étrangers délinquants ; exclusion de l’aide sociale à l’enfance pour les jeune sous OQTF, etc.

201 personnalités avaient appelé à manifester

Le Conseil constitutionnel avait retoqué totalement ou partiellement trente-cinq mesures de la loi immigration, votée, elle, au Parlement à la mi-décembre 2023. L’institution avait censuré de nombreuses mesures plébiscitées par l’extrême-droite et la droite (durcissement du regroupement familial, restriction du droit du sol, conditionnement à cinq ans de résidence pour accéder aux prestations familiales et aux APL, l’aide personnalisée au logement. Mais aussi quota migratoire…

Quelque jours auparavant, le 21 janvier, 201 personnalités avaient lancé un appel à manifester contre la promulgation de la loi immigration. Des manifestations avaient réuni quelque 75 000 personnes en France selon le ministère de l’Intérieur, 150 000 selon la CGT.

O.SC.

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