Pyrénées-Orientales : Festival antiraciste Nostre Mar : “Un combat au long cours face au RN”

Céline Sala, Jean-Jacques Bedu, Karim Amellal et Nicolas Lebourg au Nostra Mar, en 2023. DR.

La manifestation, organisée par SOS Racisme et soutenue par la Région Occitanie et le département des P.-O., s’ouvre avec une conférence sur l’antisémitisme et se clôt avec l’intervention de Karim Kattan, écrivain palestinien. Le festival dure désormais trois semaines. Philippe Kerauffret, responsable de SOS Racisme 66, et le spécialiste de l’extrême-droite, Nicolas Lebourg, nous décryptent les raisons de la persistance de la montée du RN.

Ce sera une édition particulière du festival Nostra Mar Liberté, égalité, Méditerranée qui débutera au lendemain des élections européennes où le RN est donné large vainqueur en France. Avec quatre députés RN, et Louis Aliot, maire d’une ville de plus de 100 000 habitants, Perpignan, on a l’impression que plus on combat l’extrême droite, plus elle progresse… Âgé de 53 ans, fonctionnaire, Philippe Kerauffret est le responsable de SOS Racisme 66 qui organisme la troisième édition du festival Nostre Mar – du 10 au 27 juin – qui propose 35 événements sur 18 jours, en accès gratuit la plupart du temps.

La Méditerranée est selon le précepte de SOS, organisateur de l’événement, terre de “brassages et de rencontres”. Conférences, expos, projections… Lancement au Mémorial de Rivesaltes ce 10 juin (lire le programme ci-dessous) avec, notamment, une conférence, à 18h30, de la spécialiste Anne Matard-Bonucci sur Fascismes et antisémitismes.

“Démontrer que le RN cela peut être dangereux”

Nicolas Lebourg et Céline Sala au festival en 2023. DR

Avec un paradoxe central : plus on dénonce, plus on explique, plus les thèses racistes, antisémites progressent inexorablement. Pourquoi ? Philippe Kerauffret entame : “Le dernier débat Bardella-Attal pourra peut-être étudié un jour. Il démontre, déjà, la vacuité des propositions du RN alors que ce parti n’a jamais été aussi haut… On essaie de faire différemment. Nous pensons modestement, à notre échelle – j’ai plus de questions que de certitudes sur ce qu’il faut faire – qu’il va falloir montrer et démontrer que le RN, s’il arrive au pouvoir, cela peut être dangereux.” Le festival grossit et pourtant ces idées-là du RN progressent…

“Le fossé n’a jamais été aussi grand entre ceux qui bénéficient de la mondialisation et les classes moyennes

Le festival est soutenu par la Région Occitanie et le département des Pyrénées-Orientales. “Dans le pays, il y a un échec ; on pourrait partir du 21 avril et de Chirac. On a tout essayé, Hollande… Les Français n’ont pas vu leur situation matérielle et leurs perspectives d’avenir ne sont pas améliorer. Il y a beaucoup de doutes, notamment parmi les jeunes. Nous le sentons. Nous le voyons à travers divers phénomène : la montée de l’anxiété dans la jeunesse, etc. Il y a aussi politiquement : nous en sommes au milieu du second quinquennat de Macron. L’offre a pu plaire avec un président de moins de 40 ans qui disait vouloir prendre des idées à gauche et à droite… Le fameux “en même temps”. Et les gens s’aperçoivent qu’il n’y a pas eu “d’en même temps”. Le gouvernement penche surtout à droite. Le chômage a peut-être baissé mais c’est la qualité des emplois qui est en cause, précaires. Le fossé n’a jamais été aussi grand entre ceux qui bénéficient de la mondialisation, notamment dans les métropoles (une personne sur 74 à Paris paie l’impôt sur la fortune) et des classes moyennes ailleurs qui ont peur de l’avenir.”

“Au meeting de Jordan Bardella, le 1er Mai, la moitié de la salle avait moins de 30 ans”

Céline Sala, Dominique Sopo, Alexis Jenni et Nicolas Lebourg en 2023. DR.

Dans la jeunesse particulièrement attirée par le RN, on y trouve beaucoup de jeunes en situation précaire, les moins diplômés, qui habitent un département à tendance rurale ou périurbaine. Ce qui renvoie à la problématique des inégalités sociales. “Il y a deux choses que l’on veut faire comprendre à travers ce festival. Certaines personnes pensent que le problème dans ce pays ce sont les Noirs et les Arabes. Ensuite, et on le voit bien dans les P.-O. Au meeting de Jordan Bardella, le 1er Mai, la jeunesse était très présente : la moitié de la salle avait moins de 30 ans. C’est la jeunesse de la France périphérique. Et si, aujourd’hui, et c’est démontré – notamment par Nicolas Lebourg – dans ces zones pavillonnaires excentrées, il y a des bureaux de vote faits exprès pour ces zones, eh bien le RN dépasse largement 50 % dans ces zones-là. Au second tour de la dernière présidentielle, sur 222 communes du département, près de 160 placent Marine Le Pen au second tour (notamment dans les zones pavillonnaires) et sur la bande littorale, comme à Argelès, c’est encore plus prononcé, atteignant par exemple 65 % au Barcarès. C’est 48 % à Perpignan.”

“Ces personnes ne peuvent pas habiter, notamment sur la bande littorale et sont “en concurrence” notamment avec les néo-retraités qui ont un peu d’argent.” Le fameux sentiment de relégation. Voire de déclassement. “Il y a aussi un phénomène de paupérisation dans les centres-villes, ajoute-t-il. Et ce département est une caricature de l’emploi précaire. Sans oublier l’emploi dissimulé. Des gens qui font 72 heures déclarées 35 h…”

Karim Kattan, écrivain palestinien né à Jérusalem et Jonathan Ayoun parlera de Joseph Kessel

Ce combat contre le RN, “c’est un combat au long cours. C’est pour cela que l’on varie “les plaisirs” en fonction des publics attendus dans un festival pluri-disciplinaire : quand on va parler du conflit israélo-palestinien, avec Karim Kattan, écrivain palestinien, né à Jérusalem, on aura un certain type de public. Idem pour Jonathan Ayoun parlera de Joseph Kessel à la Maternité d’Elne. Montrer aussi que s’il n’y a pas d’étrangers dans ce département on ne sait pas faire tourner un restaurant sur la côte l’été ; ni comment on fait les vendanges sur la côte Vermeille ; comment on récolte les fruits, notamment les abricots, dans la vallée de la Têt… L’idée est de varier et de toucher un maximum de gens. Et de ressortir un peu moins con. Il faut commencer par la bataille culturelle sans occulter les problématiques du moment, violences, trafics, etc. Nous ne sommes pas angéliques sur la situation.”

“L’anti-racisme est quelque chose de normal”

Co-organisateur, Chercheur au Centre d’études politiques de l’Europe latine (CEPEL) à l’université de Montpellier et spécialiste de l’extrême droite, Nicolas Lebourg dit : “La première année le festival a duré une semaine que sur Perpignan ; la deuxième année, on était sur deux semaines dans plusieurs lieux du département. Et cette année, c’est sur trois semaines sur huit villes. Avec pas mal de gens qui nous rejoignent. Dans tous les cas, c’est une belle progression dans un département qui cumule toutes les difficultés.” Il maintient : “L’anti-racisme est quelque chose de normal. Et quand on voit cette extension, ce pari-là, modestement il avance.”

Forte demande d’un état “illibéral”

Visite guidée lors d’une précédente édition de Nostre Mar. DR

Comme l’explique-t-il, que de prôner sans cesse qu’il vaut mieux se rencontrer que s’opposer ; que la lutte contre toute forme de haine peut sembler vaine au regard de la progression, encore une fois, des idées lepénistes ? Chercheur au Centre d’études politiques de l’Europe latine (CEPEL) à l’université de Montpellier, Nicolas Lebourg décrypte : “Tous les facteurs sociaux nous amènent à une demande autoritaire. Et pas qu’en France.” Et d’ajouter : “Il y a une demande de contrôle des corps qui est à l’oeuvre comme les débats sur la restriction sur l’avortement dans 22 états aux USA ; comme les débats sur l’immigration. Cette question du “corps” est devenue hyper-importante. Et qui, partout, nourrit la demande d’un état “illibéral”, à l’échelle internationale. Un état très autoritaire, passant par-dessus l’état de droit. Et l’ensemble est, lui, nourrit par le système de polarisation médiatique où on te demande toujours de choisir ton camp.”

“C’est un travail de fond. On en a pour vingt ans”

Nicolas Lebourg dézoome : “On est entrés dans un cercle vicieux : ce débat fait une demande aux politiques d’une offre illibérale… En France, il y a aussi une crise du “marché” politique depuis longtemps. C’est aussi pour cela que le combat culturel reprend du sens dans ce contexte ; on est tellement sur des questions très structurelles, ce n’est pas une question d’une émission, d’un débat. C’est un travail de fond. On en a pour vingt ans.”

Cette année, le festival Nostra Mar mettra largement l’accent sur l’antisémitisme. Anti-sionisme et antisémitisme devraient être deux choses différentes. “On voit bien dans le débat public : elles sont amalgamées et l’une sert de véhicule à l’autre. On va essayer du Proche-Orient et de ses répercussions ici. En essayant de déconstruire antisémitisme et racisme.” Sisyphe… Et il y a bien ceux qui baissent les bras et se disent au final, laissons passer le RN, on verra ensuite. “C’est là qu’on en vient à la crise du marché politique. Pour redonner un espoir aux gens, il faut qu’il y ait des partis qui soient capables d’emporter les gens. Ce combat culturel, il faut qu’il y ait des militants politiques qui s’en saisissent. Il peut remettre un peu de hype sur les valeurs humanistes. Il faut rappeler que ces valeurs-là, non ce n’est pas ridicule. Rappeler ça, c’est déjà pas mal.”

“Il y a une vraie appétence pour l’autorité”

Pourquoi cette demande d’autoritarisme ? “Il y a une vraie appétence pour l’autorité. Clairement. C’est aussi ce qui permet l’unité et l’ordre public dans la tête des gens. Il y a un désir très fort comme il y a un désir très fort de militarisme dans la société. Quel est le reproche permanent ? Celui de la division. Et le pays dans lequel ont régné Louis XIV, Napoléon…, c’est l’unité. Aujourd’hui, face à un sentiment de fragmentation aussi fort, face à un sentiment – excessif, on en est tous d’accord – de déliquescence de l’ordre public, les “valeurs” autoritaires représentent une solution.” Attaquer cela par la culture, c’est montrer qu’il y a d’autres valeurs “plus humanistes. Mais l’offre humaniste est faible. C’est devenu ridicule”. Même si quelqu’un comme Glucksmann l’incarne aujourd’hui. Ou comme l’a incarné Benoît Hamon quand il parlait de “futur désirable”.  

“Offrir quelque chose de positif a des effets d’entrainement”

“Offrir quelque chose de positif a des effets d’entrainement. Louis Aliot ne gagne pas les municipales avec un slogan sinistre mais en disant : l’Avenir en Grand. Il y a un potentiel positif mais il est faiblement activé. Sur le dossier calédonien, la méthode Rocard qui consistait à ce que les gens discutent plutôt qu’ils ne s’entretuent, avait bien marché. Dès lors où l’on abandonne cette question autoritaire pour se tourner vers les gens et faire confiance à la démocratie, c’est aussi fonctionnel. La démocratie et l’humanisme, ce n’est pas pour faire joli. Cela peut faire marcher une société. Mais dire ça, tu passes pour un c…” 

“Moins de doctrine, ce n’est pas moins de sectarisme”

Le spécialiste ajoute : “Ce qui est étrange, c’est qu’il y a très peu de doctrine. Le militant de base de LR sait à peine qui est le Général de Gaulle ; celui du PS ne sait pas trop qui est Jean Jaurès et cela va jusqu’au RN comme ça. Quels que soient les camps, il y a beaucoup moins de doctrine. On aurait pu penser que ce serait plus fluide, plus cool, pas du tout. Moins de doctrine, ce n’est pas moins de sectarisme. Ce sont au contraire des positions identitaires très fortes, avec des marques très simples, partisanes.”

Pour que l’antiracisme ne rase plus les murs, l’idée d’un festival culturel s’est fait jour en 2021 du côté de SOS Racisme, comme Dis-Leur vous l’a expliqué ICI. Le déclic faisant suite aux trois jours de commémoration par le Cercle algérianiste des 60 ans de l’exode des pieds-noirs d’Algérie, à Perpignan.

Olivier SCHLAMA

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