Pyrénées : Le grand bond en avant de la marche en forêt… dans les stations

Sentiers givrés, à Font-Romeu (P.-O.). Photo : Olivier SCHLAMA

Diversification oblige, les stations jadis de ski répondent aux attentes des touristes dont plus de la moitié de skient pas. À Font-Romeu, depuis dix ans, on propose avec succès les Sentiers Givrés et aux Angles des randos thématiques, proches de la station. Plus largement et paradoxalement, le géographe André Suchet, explique pourquoi les accès aux sentiers se raréfient ailleurs en moyenne montagne.

Font-Romeu, col du Gallinera, 2 127 mètres d’altitude. Une famille se lance dans un concours d’échos ; une dame promène son chien à l’envi au-dessus des mares glacées pour comprendre l’environnement qui nous entoure… Un léger saupoudrage de neige vient de coucher les herbes qui ont cru un temps au printemps en cette fin février… Seuls, mais pas isolés, ces piétons d’un nouveau genre sont de plus en plus nombreux à prendre un grand bol d’air à travers les sentiers tracés par les stations de ski, sur leur domaine, histoire de proposer une activité aux non-skieurs qui, parfois, sont plus nombreux que les skieurs.

Une part importante des touristes ne skie pas

Font-Romeu, ph. Olivier SCHLAMA

Ainsi, les stations de sports d’hiver proposent aux piétons marcheurs ou raquettistes sur des itinéraires intéressants. Ludiques, faciles et parfois patrimoniaux. Des randonnées motorisées puisqu’elles s’utilisent à moment donné avec remontées mécaniques. Pas de limite d’âge, pas de matériels très sophistiqués. Une bonne paire de chaussures suffit pour ne pas se tordre la cheville au premier col ; une veste antipluie. Des bâtons, ça peut être utile. À Font-Romeu, cela fait dix ans que l’on a créé, avec succès, les Sentiers Givrés. Une part importante de la clientèle des villages-stations, contemplative, ne skie pas. Mais aime la montagne ! Et il y a même des skieurs parmi ces marcheurs que jadis ils toisaient, ne serait-ce que pour contempler les points de vue sur la chaîne des Pyrénées…!

Forfaits spéciaux pour marcheurs à Font-Romeu

Sentier Givré de Font Romeu. Ph. Olivier SCHLAMA

Le ski n’est plus la mono-activité d’antan. Et la marche est plébiscitée partout, y compris donc dans ce joli entrelacs de sentiers balisés. Et même si aux interconnections, il y a parfois des progrès à faire, on ne se sent jamais perdu. A Font-Romeu, on a même imaginé des forfaits spéciaux comprenant les remontées mécaniques – on monte avec les oeufs, on descend à pied – mais ailleurs, comme aux Angles, c’est gratuit.

À Font-Romeu, pas de pas inutile. D’abord, le Bus-ski, qui, comme son nom l’indique, est une navette gratuite qui vous dépose au pied du nouveau télécabine, spacieux, confortable et sans aucune file d’attente ! Direction, le pied des pistes. Là, quelques pas dans la neige et télésiège pour rejoindre le départ du Sentier Givré N°2. Facile, même pour débutants.

Sacré bol d’air

Sentier givrés de Font-Romeu, Ph. Olivier SCHLAMA

La neige qui est tombée dans la nuit craque sous nos pas. Le sentier est vraiment… givré. On se sent en confiance : de nombreux panneaux de bois jalonnent le parcours qui serpente entre les conifères ; on croit déceler des traces de pas d’animaux ; la piste bleue à quelques dizaines de pas est tout proche ; on se sent à l’abri, à son rythme. On prend un sacré bol d’air ! L’eau de petites rivières ne dévale plus qui s’est fait prendre à son piège du froid, formant çà et là de petites mares glacées comme de petits miroirs ; à côté, les herbes, qui ont déjà poussé en prévision du printemps, se recourbent à nouveau pour quelques semaines sous le poids de cette couche bienvenue.

Lac des Bouillouses, massif du Carlit, Puigmal…

Ces belles balades “givrées” dans le Parc naturel régional des Pyrénées Catalanes en forêt offrent de magnifiques panoramas. Vues sur le Lac des Bouillouses et les nombreux lacs du massif du Carlit ; sur la région de Conflent ; sur le massif du Puigmal, etc. “Nous avons créé ces sentiers givrés il y a dix ans. Nous partions du constat que nous accueillons à font-Romeu un peu plus de un million de nuitées touristiques chaque hiver pour 500 000 journées skieurs : la moitié des touristes ne skient donc pas”, commente Jacques Alvares, directeur chez Altiservice de la station de Font-Romeu.

Modernisation à Pyrénées 2000

Sentiers givrés, Font-romeu. Ph. Olivier SCHLAMA

Et la nouvelle télécabine embarque davantage de personnes et va vite. “À la même date qu’en 2023, nous en sommes à + 22 % de personnes en plus par rapport à 2023, sans aucune attente, c’est un flux continu.” Et ce n’est pas fini : “Nous allons moderniser les remontées mécaniques pour l’hiver prochain et en matière de diversification puisque nous allons remplacer deux téléskis par un télésiège, à Pyrénées 2000. On va placer un téléski débutant neuf et aux Airelles un tapis neuf et ensuite il y aura une luge sur rail à Pyrénées 2000 l’été prochain. Et une tyrolienne géante à la Calme Sud, hiver-été. Pour un investissement total de 10 M€.”

Quelque 20 000 marcheurs empruntent les oeufs

Directeur chez Altiservice de la station de Font-Romeu, Jacques Alvarez ajoute : “Il nous fallait trouver des idées. Il y a un engouement pour la marche, c’est vrai. Et même pour les skieurs qui pratiquent désormais d’autres activités que le ski pendant leur semaine de vacances. Et nous cela faisait longtemps qu’on voulait créer des sentiers mais il fallait faire modifier les arrêtés municipaux, notamment, pour autoriser les piétons à emprunter les remontées mécaniques et le domaine skiable.”

Sentiers Givrés, à Font-Romeu. Ph. Olivier SCHLAMA

“Ces balades que nous avons créées avec l’ONF, que l’on a voulu très accessibles du plus jeune au plus âgé de la famille, plutôt en descendant, ont connu un très vif succès dès la première année : et du coup, dès la deuxième année, on a ajouté trois sentiers supplémentaires pour en proposer six au total. Cela permet, en outre, aux familles de se retrouver ensemble pour une activité.” Et ça marche ! “Sur une saison de ski, cela représente quelque 12 000 journées piétons qui montent sur le domaine skiable. Et si on compte ceux qui prennent aussi les oeufs, on atteint les 20 000 personnes.”

Vers une nouvelle année-record à Font-Romeu

En 2023, avec 530 000 journées-skieurs et 14,8 M€ de chiffre d’affaires, c’était une saison record pour Font-Romeu, leader des stations des Pyrénées françaises. “Cette année, on sera dans les trois meilleures saisons avec autour des 500 000 journées-skieurs, au-dessus de la moyenne, autour de 450 000. Ici, grâce à la neige de culture et au travail de damage, on garantit du ski, du premier week-end de décembre au dernier de mars, on peut skier.” Cela se traduit par le taux d’occupation : “Les deux semaines passées, nous avons réalisé 78 % à la première et 77 % pour la seconde semaine et la nous en sommes à 70 % de taux d’occupation. après, c’est prévu autour de 55 %.” Sans parler des récentes chutes de neige.

Sentiers thématiques aux Angles

Sentier de l’horizon, Ph. Station des Angles.

Sentier sur l’histoire de la pierre ; un autre voie géologique, Pyrénées Perdues, seule balade sur le domaine de la station, payante si l’on emprunte la télécabine (avec découverte de chaos, plateaux, granite, le Capcir, les glaciers…) ; un troisième sur le pastoralisme (Sentier pastoral de la Gagnade), une balade qui explique ce qu’est une mouillère, en partenariat avec le parc naturel régional des Pyrénées-Catalanes… Aux Angles, cela fait aussi des années que l’on s’appuie sur les sentiers de marche.

Pyrénées catalanes : 80 circuits proposés !

L’Antre des Mystères, par exemple, est un autre sentier de découverte des zones humides où tout un scénario élaboré a été conçu autour de sorcières (lire le document ci-dessous). Notons aussi une “randonnée interactive” avec Les Iglésiettes : découverte prometteuse du village de Vallserra (vallée des ours) ! Aux Angles, “ça cartonne !”, s’enthousiasme Jérôme Meunier, directeur de la station. Et si marcher devient votre passion, n’hésitez pas à emprunter l’un des 80 circuits (un millier de kilomètres au total !) concoctés par la communauté de communes des Pyrénées catalanes, un réseau pour tous niveau. Topoguide téléchargeable. “Il y en a pour tout les goûts, d’un circuit de deux kilomètres à la journée et même des Tours de Pays”, souligne Julien Marec qui a participé à leur élaboration.

Olivier SCHLAMA

André Suchet : “Les sentiers de randonnée sont souvent remis en cause”

Géographe, maître de conférences à l’Université de Bordeaux et membre du Conseil scientifique du Parc naturel régional des Pyrénées Catalanes, André Suchet connaît bien les enjeux autour des sentiers de randonnée, dont certains ont “plusieurs centaines d’années d’existence” et qui “sont depuis quelques années extrêmement remis en cause. Il y a beaucoup d’enjeux autour des sentiers de randonnées”.

Les chemins de randonnée, de chasse ou même ceux multicentenaires classés chemins ruraux sont de plus en plus remis en cause. Ici un chemin de chasseur en Vallée du Mondony, Pyrénées-Orientales. Ph. André Suchet

Culturellement, ces passages, même privés étaient traditionnellement ouverts au public. Ce n’est plus le cas forcément depuis que ces voies ont été acquises par de nouveaux propriétaires. Ces derniersmettent un grillage disant, à juste titre, que ce sont des propriétés privées mais elles faisaient l’objet jusque-là d’une certaine liberté de circulation.”

Les chemins ruraux existent depuis 1881, mais il s’agit de les “faire respecter”. Certains députés se battent pour empêcher la privatisation de ces itinéraires et la protection autour de cette notion de sentiers ruraux qui existe depuis la IIIe République : même dans une propriété privée, lorsque un sentier est ainsi classé, il est considéré de “circulation publique”.

“Au niveau local, il y a une tendance soit des propriétaires privés soit des maires – qui défendent leurs propriétaires – de fermer ces sentiers”

Dans le Massif des Salines, un mas qui s’attribue le titre de “Réserve naturelle” annonce refuser l’accès “aux excursionnistes, aux pêcheurs et aux chiens”. Ce chemin mène vers une cascade autrefois présentée dans les guides. Pyrénées-Orientales. Ph. André Suchet

André Suchet ajoute : “Au contraire, au niveau local, il y a une tendance soit des propriétaires privés soit des maires – qui défendent leurs propriétaires – de fermer ces sentiers, de les grillager pour empêcher le public de les emprunter. Aujourd’hui, ce sont des mouvements soit citoyens soit alternatifs et nationaux qui essaient d’aller contre cette tendance locale de fermeture les espaces. C’est très fortement le cas dans les Pyrénées catalanes. Il y a une perte de sentiers considérable même dans les villages. De plus, il y a un effet boule de neige dans la mesure où ces sentiers, au-delà d’être des sentiers de randonnée, ils étaient aussi des voies d’accès ou d’approche pour d’autres activités : parapente, escalade, descente de canyons, etc. La fermeture de certains de ces sentiers diminuent ce genre d’activités qui sont des dommages collatéraux.”

Renouvellement des propriétaires, réserves de chasse et procédurisation de la vie sociale

Comment en est-on arrivés là ? “Il y a trois raisons. La première c’est le renouvellement des propriétaires qui n’ont plus les mêmes, visions et traditions ni les mêmes objectifs ; les nouveaux disent : “c’est une propriété comme une autre. Un jardin ou une forêt, c’est pareil. Je mets un grillage et c’est chez moi”. Ensuite, il y a de plus en plus la volonté d’exploiter commercialement ces espaces naturels notamment pour de la chasse. Certains espaces deviennent ainsi des réserves de chasse particulièrement commercialisés avec une professionnalisation et une intensification de la pratique. Notamment c’est tout le scandale des Hauts de Chartreuse dans les des Préalpes du Nord, au dessus de Grenoble.”

“De nouvelles évolutions législatives”

Dernier effet, “la crainte chez certains de responsabilités juridiques sous l’effet de certaines évolutions législatives soit plus globalement d’une procédurisation de la vie sociale.” Il y a eu des procès retentissants. “Cela a constitué un virage sécuritaire avec désormais l’installation de protections et de grillages. Et de plus en plus il y a une tendance à porter plainte. Quelqu’un qui se casse la jambe sur un sentier de randonnée risque sous différents effets – il y a des assurances low cost et qui n’ont plus l’envie d’honorer comme le faisaient les grandes compagnies – de se retourner juridiquement contre les propriétaires.” Mais, conclut-il, “de nouvelles évolutions législatives tentent des lors de limiter ce risque, notamment la loi du 21 février 2022, dite loi Falaise, qui modifie dans le bon sens le régime de responsabilité.”

Olivier SCHLAMA

 

brochure des randos_compressed

À lire également sur Dis-Leur !

Chemins de Compostelle : On a percé le moteur secret des marcheurs !

Secrets Chemins de Compostelle : “Marcher répond à une demande de la société”