Avec coeur et caractère, le prof de lettres érudit portraitise vingt-cinq Sétois d’aujourd’hui dans un livre à paraître le 20 janvier. De Chantal Morioussef à Michel Brel ; de Demi-Portion à France Gayraud, en passant par Manuel Liberti, Norma Mouret, Eddie Morano, Michel Zambrano…
“Quand on me dit, tu n’es pas Sétois, je réponds tu tac-au-tac : et toi, tu n’es pas lyonnais, non ?!” L’homme a du caractère ; on décèlerait dans son verbe la fameuse révolte des Canut, à Lyon, dont il est originaire. Du caractère pour des millions de caractères écrits et d’autres à venir, Laurent Cachard, l’intello, l’érudit, le forçat de la plume, les met en musiques dans un livre singulier, Figures Singulières (1).
Comprendre son prochain pour mieux se comprendre soi-même
L’homme a du caractère et du coeur : on ne se lance pas dans la jungle des âmes, fussent-elles les plus belles, sans l’amour de l’autre. Sans l’empathie. Sans se colleter avec le réel, fût-il quand il fallut faire la classe dans un lycée agricole ou au Lycée de la Mer, à Sète. Des lieux d’apprentissage qui n’ont rien à voir avec Henri-IV, à Paname, mais qui ont, après coup, le mérite d’une réussite sans doute plus gratifiante à certains égards, avec des élèves qui, souvent, partent de plus loin. Ci-devant président du festival des Automnales, à Sète, qui commence à écrire ses lettres de noblesse, Laurent Cachard se dit “graphomane”, romancier, auteur… Ce prof de lettres “parle” de lui en écrivant sur les autres. Comprendre son prochain pour mieux se comprendre soi-même.
Différents mondes, différentes strates
Les vingt-cinq portraits qu’il a tirés sont issus d’un savant calcul des différents mondes sétois, de “strates” comme le dirait un sociologue : celle de joutes, de la politique, d’un monde qui n’est encore totalement bouffé par la gentrification comme le fut son quartier de naissance de la Croix-Rousse. “J’ai aussi tenu compte des quartiers de Sète pour choisir les portraits, je voulais couvrir la ville ; des âges, il me fallait des jeunes”,confie l’auteur.
“Des portraits distanciés où il y a de l’analyse et une fonction expressive”
L’homme a du caractère et du coeur. Il a aussi tenu compte des “grands noms” de la cosmogonie sétoise : les Combas, Cianni et consorts mais avec plutôt des “seconds rôles”. Et même le surprenant portait de Chantal Morioussef. “Et sur ces vingt-cinq personnes, je n’en connaissais dix-huit pas du tout.” C’est ce qui lui plaît, à Laurent Cachard : découvrir ce qui anime quelqu’un dans ses ressorts. “Aller vers les gens. J’écris des portraits à la Libé, théorise-t-il, des portraits distanciés (…) où il y a de l’analyse et une fonction expressive. Cela fait vingt ans que j’en fais ; j’en ai même cent chez moi…” Pour cet opus, Laurent Cachard a bossé comme un sociologue. “J’ai voulu aussi éviter les monstres sacrés”, dit-il. Même si on y trouve Fidji Simo, l’ex-N°2 de Facebook est qui, à nos yeux, n’a jamais été très “incarnable”.
Chantal Morioussef qui “vit sa vie comme un roman et qui travaille au roman de sa vie”
On y lit surtout de “beaux portraits d’aujourd’hui”. Comme Chantal Morioussef qui “vit sa vie comme un roman et qui travaille au roman de sa vie”. Passionnant. C’est la soeur du charismatique et extravagant Patrick qui finit sa vie en rabbin, et dont le père, Roger, fonda la communauté juive de l’Ile Singulière en 1962. On y lit également le douloureux portrait de Mélissa Bernezier ; celui, érudit, du philosophe Jean-Louis Cianni – et pas pour parler tielles ! – qui passa de feue Air Littoral, à la com de l’agglo en passant par l’agence de presse Jam et Midi Libre, en gardant sa primale candeur. Il y a Fabienne Combas – à gauche – Michel Brel à droite, ou du moins, à la Pointe-Courte.
Il ne faut jamais lâcher l’affaire, ne pas se laisser embrouiller par tout ce qui se passe dans le monde et transformer les choses négatives et positives”
Demi-Portion ? pas facile avec lui. Le portraitiser alors que de nombreux journalistes s’y sont mis et pas des moindres, un peu la gageure. Mais Laurent Cachard, sorte de psyché de la littérature, en réalise une rythmique ciselée : “(…) Il ne faut jamais lâcher l’affaire, ne pas se laisser embrouiller par tout ce qui se passe dans le monde et transformer les choses négatives et positives.” Wesh, continue, pour le paraphraser.
Vous lirez également le très joli portrait, tout en nuances, de France Gayraud : “Elle qui, curieusement, se régalait des joutes dans son enfance, dans le Cadre Royal, va trouver sur la tintaine le moyen le plus absolu de se confronter à elle-même, en même temps qu’à l’autre (…) Elle retrouve l’estime d’elle-même dans l’équilibre précaire, dans l’inclinaison de la plateforme, la sensation brutale du dépassement de soi”, écrit Laurent Cachard, l’intelligible intello. On y trouve Bruno Granier, de la famille de Brassens ; Pierre Grassi ; la gouaille de Nicolas Grosso ; Christophe Lalia (Hissé des Haubans Publics) ; Jean-Louis Lambert…
Norma Mouret, Christy Puertolas…
Laurent Cachard a même troussé dans une belle oeuvre la figure du jeune retraité de la pêche, Manuel Liberti. Fils de son ex-maire de papa. Belle tranche de vie, façon possibilité d’une île… L’artiste et attachant Eddie Morano précède la même pas trentenaire Norma Mouret, chef costumière, issue de la tribu du même nom, entre Gaeta, DNA et Candice Renoir. Séquence de vie après séquence… La suite d’une légende. On tombe sur Christy Puertolas, chantre des Journées de l’Amour. Pas seulement celui qu’elle vite avec l’artiste modeste à la peinture colorée, à nulle autre pareille, Christophe Cosentino. Il y a aussi du cousu-main, avec Cissou, Marie-Cécile Winling. Que suit Michel Zambrano.
Michel Zambrano, l’incarnation du sauvetage en mer
Michel Zambrano, c’est l’homme aux cent vies. Aux cent vies sauvées ou presque. L’incarnation du sauvetage en mer, à Sète, qui comme ses hommes est réquisitionnable à tout moment pour aller sauver des vies en Méditerranée jusqu’à 40 miles au Sud (80 km). Un sacerdoce. Avec “une statistique qu’il faudra actualiser : l’année dernière, c’était cent vies sauvées en cent cinquante ans ou plus…” Une maille “du filet qu’il contribue à tisser”, rapporte Laurent Cachard. Une mémoire, une humilité, une destinée.
Le philosophe Vladimir Jankélévitch disait, dans le Je-ne-sais-quoi et le Presque-Rien, “le paraître ne rend pas juste la justice, ni raisonnable la raison, ni vraie la vérité, il fait seulement qu’elles en aient l’air et la réputation, et que tout le monde les reconnaisse pour telles”. Laurent Cachard, lui, a du caractère et du coeur.
Olivier SCHLAMA
(1) Figures Singulières aux Éditions l’An Demain, 19 € sort ce 20 janvier dans les librairies et points presse de Sète.
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