Nos côtes au défi : Au Grau-du-Roi, ministres et élus au chevet du littoral français

Vue aérienne du Grau-du-Roi. Photo : Ville du Grau-du-Roi

L’Association nationale des élus du littoral (Anel) a organisé pour la 1er fois son congrès annuel en Occitanie. Au Grau-du-Roi (Gard), plus de 400 personnes, élus, scientifiques s’y sont retrouvés il y a quelques jours. Et quatre ministres ont fait le déplacement, “signe que le gouvernement entend notre cri d’alerte”, souligne Robert Crauste, le maire. Érosion, logement, tourisme, contraintes réglementaires… Le littoral est aussi aux avant-postes du dérèglement climatique. Des pistes de solutions ont été avancées.

Après l’appel de Pornic en 2021, voici la “convocation du Grau-du-Roi”. C’est ainsi que le maire du Grau-du-Roi, Robert Crauste (SE), a caractérisé les journées de l’Anel, les 29 et 30 septembre. Une “convocation” en forme de mobilisation face aux défis de nos littoraux qui vivent puissamment et en accéléré des changements sociétaux et qui sont en première ligne le dérèglement climatique et ses effets mortifères. Érosion ; zones naturelles à protéger ; sur-tourisme (avec 215 millions de nuitées en 2022 en Occitanie) ; avenir des paillotes… Les sujets ne manquent pas. C’est l’une des raisons pour lesquelles quatre ministres ont fait le déplacement (ci-dessous).

Congrès de l’Anel, une première en Occitanie

Robert Crauste et le secrétaire d’Etat à la mer. DR.

Les Journées annuelles de l’Association nationale des élus du littoral ont abordé beaucoup de problématiques pour n’en faire finalement qu’une seule : Vivre le littoral, fil rouge de ce congrès, organisé pour la première fois en Occitanie. Au Grau-du-Roi, précisément. Plus de quatre cents personnes ont participé à des ateliers thématiques tandis que ministres, élus et spécialistes se sont succédé pour dire tout l’engagement à mettre en oeuvre pour mieux vivre, demain, sur notre côte.

Immobilier, résidences secondaires, spéculation…

Il y a aussi, parmi les avanies : la hausse vertigineuse des prix de l’immobilier (entre 7 % et 10 % en un an, selon la Fnaim) sur le littoral méditerranéen ; l’explosion du nombre de résidences secondaires : un logement sur sept est une résidence secondaire en Occitanie qui compte 551 000 pieds-à-terre, dont 113 000 dans l’Hérault. Le phénomène s’accélère avec la crise qui a débuté il y a deux ans. Avec un effet pervers : une tension induite sur le marché du logement. Pour tenter de contrer une spéculation foncière sans précédent, et aider les locaux à se loger, de plus en plus de villes ont décidé de majorer leur taxe d’habitation, à l’image de Sète ou de Montpellier, comme Dis-Leur vous l’a expliqué ICI.

Pour quelles régulations ? Quelles solutions ?

Ce n’est pas tout. Il y a la rareté du foncier ; des contraintes de constructibilité ; de plus en plus de transformation de logements en meublés touristiques (AirBnB)… Ce qui rend de plus en plus difficile l’accès au logement sur le littoral pour les populations locales et les travailleurs à l’année ou saisonniers confrontés à une flambée des prix inédite. Une révolution est en marche qui engendre des déséquilibres économiques et sociaux profonds. Pour quelles régulations ? Quelles solutions ? Cette urgence était au coeur de ces Journées de l’Anel.

Il faut une logique d’ensemble. Pourquoi est-ce que les littoraux devraient gérer seuls les conséquences de la montée du niveau de la mer ?”

Puissance invitante, le maire du Grau-du-Roi, Robert Crauste s’est dit “fier” de recevoir à cette occasion, outre la présidente de Région, Carole Delga, pas moins de quatre ministres, ce qui montre que le gouvernement porte un intérêt certain au littoral : Hervé Berville, secrétaire d’Etat à la Mer ; Dominique Faure (transition écologique) ; Bérengère Couillard (ruralité) et Caroline Cayeux (collectivités territoriales).

Avec 5 800 kilomètres de linéaire, les côtes françaises représentent plus de 11 millions de km2 dont 80 % en Outre-mer. “Il faut une logique d’ensemble. Pourquoi est-ce que les littoraux devraient gérer seuls les conséquences de la montée du niveau de la mer ?”, a ainsi lancé Jean-François Rapin, sénateur du Pas-de-Calais et président de l’Anel depuis dix ans. Donnant le ton de ces Journées.

Face au réchauffement climatique, à l’évolution du trait de côte, à la nouvelle consommation touristique, au logement, la planète nous convoque…”

Après l’appel de Pornic l’année dernière, Robert Crauste évoque, lui, ce qu’il appelle donc “la convocation du Grau-du-Roi”. Secrétaire général de l’Anel, il a organisé deux jours de réflexions autour de la préservation du littoral : “Face au réchauffement climatique, à l’évolution du trait de côte, à la nouvelle consommation touristique, au logement, la planète nous convoque, la mer nous convoque. Pendant ces deux jours, nous avons travaillé autour d’ateliers et de tables rondes, pour fonder un nouveau monde”, a expliqué le maire du Grau-du-Roi, conseiller départemental du canton d’Aigues-Mortes et, en l’occurence, secrétaire général de l’Anel.

On demande aux maires d’établir une cartographie, pour désigner, qu’en 2030, un certain nombre de propriétés privées seront menacées. Il va falloir expliquer à ces gens-là qu’ils ont désormais un bail précaire de 30 ans et que leur bien va être déprécié…”

Robert Crauste, maire du Grau-du-Roi
L’érosion ne cesse de gagner du terrain. Comme ici sur la plage de Frontignan ce lundi 22 février 2021. L’érosion gagne à chaque tempête… Photo : Olivier SCHLAMA

Quel message retenir de ces Journées ? Une communauté de vue certaine entre gouvernement et élus de terrain. “Les enjeux sont partagés et identifiés, confirme Robert Crauste. Le gouvernement est attentif à notre cri d’alerte. Sur le trait de côte, par exemple, nous sommes dans une procédure de contentieux : l’Anel a déposé un recours au Conseil d’Etat sur l’ordonnance relative au trait de côte (avec une montée de la mer prévue en 2030, 2050 et 2100 et l’érosion) émanant de la loi Climat et Résilience car nous considérons que les textes ne sont pas assez précis, ce qui va mettre nos communes dans des situation juridiques complexes. On demande aux maires d’établir une cartographie, pour désigner, par exemple, qu’en 2030, un certain nombre de propriétés privées seront menacées. Il va falloir expliquer à ces gens-là qu’ils ont désormais un bail précaire de 30 ans et que leur bien va être déprécié… Il y aussi la question des financements qui ne sont pas acquis…”

Les paillotes, “une offre touristique appréciée”

Pour les paillotes, l’Anel se mobilise aussi face “à la mise à mal de leur installation sur nos littoraux. Cela correspond à une offre touristique appréciée, reprend Robert Crauste, à une économie intéressante. On ne souhaite pas que les paillotes soient envahissantes ou destructrices des milieux naturels mais qu’il y ait un équilibre à trouver”.

“Les maires sont en difficulté par rapport à nos populations résidentes avec le logement, notamment celui des jeunes…”

Frontignan vue du ciel. DR.

À propos de la question sensible du logement, le maire du Grau-du-Roi se fait le porte-parole des maires des communes littorales : “Les maires sont en difficulté par rapport à nos populations résidentes avec le logement, notamment celui des jeunes, et  compte tenu du prix du foncier qui flambe ; de la spéculation de plate-formes de locations comme AirBnB nous avons aussi des investisseurs qui soustraient un certains nombre de biens au marché. Du coup, des jeunes qui sont nés ici, qui sont allés à l’école maternelle ici, qui grandissent ici, on les “expulse” en quelque sorte quand ils ont 20 ans. Ce n’est pas acceptable. Il faut que l’on trouve des dispositifs pour y palier. On est dans l’écriture d’une loi sur la transition énergétique et on espère obtenir des dérogations pour pouvoir accéder à certains foncier.” 

Réserves foncières, baux sociaux, pénalisation des spéculateurs

Cela passe, par exemple, par l’achat de réserves foncières, comme l’a déjà fait la municipalité du Grau-du-Roi : “Nous avons acquis 6,5 hectares à travers un éco-quartier, explique le maire, on va pouvoir proposer du logement accessible à nos jeunes et aussi de la primo accession. Mes collègues de Bidart, dans le Pays Basque, ou de Bonifacio qui sont dans de grandes difficultés sur ce sujet. Sans parler des employés saisonniers que l’on n’arrive plus à loger non plus. On a toute une série de pistes de solutions à approfondir de ce type comme les baux sociaux ; des mesures aussi de pénalisation fiscale pour ceux qui spéculent… À nous, en actionnant nos parlementaires et ils sont nombreux à l’Anel, d’être force de proposition de loi, d’entamer un travail de conviction auprès du gouvernement pour faire aboutir ces mesures.”

Robert Crauste, par ailleurs, président de la communauté de communes, donne un exemple : “Nous sommes propriétaires d’un terrain de 25 hectares ; nous voudrions y faire une ferme photovoltaïque. Eh bien, avec Natura 2000, c’est impossible. Ce que l’on demande, c’est que l’Etat ait une observation précise sur le bénéfice que l’on peut tirer et obtenir des dérogations dans ce genre de cas…”

“Il faut abandonner le zéro artificialisation des sols ! Sinon, on va créer des barres d’immeubles dans tous les petits patelins et les villages que l’on aime…”

Jordan Dartier, maire de Vias
On accueille 15 000 nouveaux habitants dans l’Hérault chaque année… Ici, Montpellier. Ph : DR.

Le logement a vraiment été au coeur des débats. “On a aussi abordé, au-delà des concessions de plage, rapporte Jordan Dartier, maire de Vias dans l’Hérault et vice-président de l’Anel, le sujet des résidences principales. Dans l’Hérault, on accueille 15 000 nouveaux habitants par an. La question, c’est comment on répond à ce besoin avec autant de contraintes ? Avec les zones à risques au milieu, les labels comme les Znieff, Natura 2000, le zéro artificalisation nette des sols à 2050 issu de la loi Climat et Résilience ? L’État nous dit : il faut accueillir de nouvelles populations et, en même temps, vous ne pouvez plus vous étaler…! Ce qui fait s’envoler le prix du mètre carré. Pareil pour le logement social.” Les solutions sont claires, pour le maire de Vias : “Il faut abandonner le zéro artificialisation des sols ! Sinon, on va créer des barres d’immeubles dans tous les petits patelins et les villages que l’on aime…”

“Quand on les propose aux ministres et différentes administrations, c’est soumis à… études et réflexions”

Pour le bouillonnant maire de Vias, “les élus locaux n’ont pas forcément la même façon d’appréhender les choses que les ministres qui ont, eux, une vision élitiste et très parisienne”, réplique-t-il. Jordan Dartier ajoute que, “normalement, être ministre, c’est avoir des idées. Nous, les élus locaux nous sommes confrontés à la vie réelle. À portée d’engueulade et même de mains de nos concitoyens. Et nous portons des solutions ; mais quand on les propose aux ministres et différentes administrations, c’est soumis à… études et réflexions. Il y a un décalage”.

“Sur l’érosion, Il faut une solidarité financière nationale”

Sur l’érosion du trait de côte, Jordan Dartier, maire de Vias, dans l’Hérault, et vice-président de l’Anel, confie : “L’Anel a attaqué la loi climat et résilience. On n’a pas les moyens financiers pour assumer les responsabilités qui vont avec. Il faut qu’il y ait une solidarité financière nationale sur ce sujet ; car il n’y a pas que les habitants du littoral qui en profitent. C’est tout le pays et même les touristes européens.”

Dans le fond, y a-t-il sur les enjeux, convergence entre Etat et élus locaux ? Là aussi Jordan Dartier fustige le manque de réactivité : “Tout le monde dit il faut faire des choses mais la façon de faire et l’échelle temporelle sont différentes. Les élus locaux veulent que ça aille vite ; on a des solutions ; et l’Etat, lui, n’est pas pressé. D’autant que “les politiques passent et l’administration reste”, comme disait De Gaulle. C’est ça le problème.”

Paillotes : vers une “solution bâtarde” ?

érosion des plages
Avenir de nos plages : l’État avait lancé une grande consultation inédite auprès de la population… Photo : Olivier SCHLAMA

Sur les paillotes, sur lesquelles Dis-Leur a publié un dossier ICI, Jordan Dartier dit : “Je suis intervenu sur ce sujet au congrès et j’ai bien senti que les ministres sont bien emmerdés avec cette histoire. Ils ne comprennent pas que leurs administrations soient intervenues alors que tout allait bien”. En cause, un texte de l’administration interdisant toute installation, même provisoire, sur des “espaces naturels remarquables” que l’administration définit… elle-même. Elle imagine même des foodtrucks pour remplacer les paillotes supprimées ! Face à la fronde des élus, un préfet, nommé par Macron, n’a toujours pas rendu ses conclusions. Le maire de Vias pense qu’une “solution bâtarde” sera trouvée in fine pour satisfaire tout le monde.

Résidences secondaires : solution en vue pour la taxe

Sur ces Journées de l’Anel, Jordan Dartier analyse enfin : “Elles servent à confronter des points de vue, à se faire rencontrer les élus qui ne se rencontrent pas nécessairement. Personnellement, j’ai rencontré la maire d’un village de 150 habitants que je n’aurais jamais rencontrée. L’Anel c’est donc un lieu où l’on peut partager les expériences, les problématiques et les solutions. C’est le parti de la mer. Et aussi de rencontrer ministres, parlementaires et administrations. Cela a vocation à faciliter les rapports.”

Quant aux résidences secondaires dans les villes du littoral, “l’Etat a créé, confie-t-il, une solidarité fiscale entre taxe d’habitation entre résidences secondaires et taxe foncière. Si une ville veut augmenter la taxe sur les résidences secondaires, sachant que l’on enrichit la valeur de leurs biens, elle ne peut pas le faire sans augmenter dans le même temps la taxe foncière dans les mêmes proportions ! On a demandé une réforme là dessus à l’Etat. Ça, ils l’ont entendu ; cela devrait être effectif pour 2023.”

Olivier SCHLAMA

Grau-du-Roi : Plus grands ports de plaisance et de pêche, phares classés…

Ce n’est pas un hasard si ces Journées se sont déroulées au Grau-du-Roi – l’une des premières communes à avoir participé au plan Littoral 21, qui réunit une belle flotte de pêche professionnelle, avec “le plus grand port de pêche chalutière de Méditerranée française ; le plus grand port de plaisance ; des espaces naturels remarquables comme la fameuse grande plage de l’Espiguette”, site emblématique du grand site de France de la Camargue gardoise. “Nous détenons aussi un patrimoine bâti très intéressant : le phare de l’Espiguette inscrit aux Monuments historiques – qui sera après travaux ouvert au public – comme l’ancien phare à l’entrée du port de pêche qui accueillera bientôt une muséographie autour de la pêche et des pêcheurs avant d’ouvrir au public. Nous sommes la seule ville littorale dans ce cas…”

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