Michel Fize, sociologue : Pourquoi Macron, président a-normal, est “mégalothymiaque”

Ph. Arthur Rausch, unsplash.

Ex-directeur au CNRS, Michel Fize dresse un puissant portrait croisant le psychologique et le politique du personnage. Pour le sociologue, le pataquès que nous vivons était prévisible. Et Macron n’en a pas forcément fini avec la vie politique…

Pour définir Emmanuel Macron, le sociologue Michel Fize a dû emprunter un mot inventé en 1992 par Francis Fukuyama, économiste politique américain, pour un personnage si atypique que personne n’aurait imaginé avant son élection en 2017 : “mégalothymiaque, qu’il définit comme “le désir d’un homme d’être reconnu, non pas égal aux autres, mais supérieur à eux”. Macron-Jupiter décide seul, imagine seul ce qui est “bon” pour les Français. Mégalothymiaque : un mot qui aurait pu être inventé pour lui. Tout-puissant.

Macron “souffre sans doute d’un complexe d’infériorité” et refuse toute filiation

Michel Fize. DR

Michel Fize qui est, dans ce portrait, “le seul à avoir croisé le psychologique et le politique”, n’est pas né de la dernière pluie : directeur de recherche au CNRS pendant des décennies, il est spécialisé dans l’adolescence. Et dans son dernier essai intitulé Macron, Un Président a-normal – qui s’affranchit des normes –, il fait tout pour connaître son objet de recherche, comme le formulait André Malraux : “Connaître un homme, disait-il, c’est connaître ce qu’il cache.” Lui, le spécialiste de l’adolescence s’est donc livré à une psycho-analyse (“Pas une psychanalyse, insiste-t-il, je n’en ai pas les compétences”) de notre président en étudiant “ses discours, ses postures, ses attitudes, ses décisions” ; expliquant que Macron, “souffrant sans doute d’un complexe d’infériorité”, refuse toute filiation…

“Il compense par ses mises en scènes théâtrales, ses poses en boxeur, en footballeur…”

Emmanuel Macron en Polynésie en juillet 2021 aux côtés de Sébastien Lecornu évoqué comme possible futur Premier ministre. Photo : Olivier SCHLAMA

Michel Fize développe : “Il a eu manifestement un rapport compliqué à son père, assez distant et froid ; une mère dont on ne sait pas très bien le rôle qu’elle a joué. Et surtout une relation privilégié avec sa grand-mère. Pour lui, la femme, c’est la mère nourricière. D’où ses difficultés avec toutes les femmes. Et, notamment, celles qui ne sont pas mères nourricières, comme Marine Le Pen. Il s’est défendu d’homosexualité. Je pense qu’il est au moins bisexuel. Il est extrêmement discret. C’est le seul président à qui on ne connaît pas d’aventure.” N’aime-t-il pas les autres parce qu’il ne s’aime pas…? Et vice-versa ? “C’est une hypothèse émise par un psychiatre autrichien, Alfred Adler. Il dit que la volonté de puissance peut cacher un complexe d’infériorité. Son confrère italien parle de mauvaise image de soi. Il y a de l’ordre de la compensation chez Macron. Il compense par ses mises en scènes théâtrales, ses poses en boxeur, en footballeur, etc. Il y aurait quelque chose comme un manque de virilité.” 

“Macron ne démissionnera pas. Jamais.”

Le sociologue affirme que la situation pourrait aller de Charybde en Scylla : “Macron ne démissionnera pas. Jamais. C’est contraire à son état d’esprit. Il va utiliser toutes les circonstances pour se mettre en scène, pour se placer au centre de l’attention, au centre du monde. Pour se donner l’impression qu’il est puissant. Il est dans la com’, il parle beaucoup, avec des phrases creuses. Les gens disent : “Il y aura une dissolution dans six mois” ; je n’en suis pas certain du tout.”

“Reste une solution que personne n’a envisagé : le recours aux pleins pouvoirs, comme de Gaulle, en avril 1961″…

Ph. ev. Unsplash

Michel Fize déroule son raisonnement : “La première fois, il a dissous l’Assemblée parce que c’est lui qui a décidé ; là, il y serait contraint et il n’est pas homme à subir une quelconque contrainte, quelle qu’elle soit. Il ne peut pas être dans la reconnaissance que l’autre peut avoir raison. Macron a aussi dit que le prochain gouvernement sera là pour 30 mois. C’est donc qu’il fait l’impasse sur une dissolution. Plus on lui demandera la dissolution, au fur et à mesure que le temps passera, moins il y consentira. Reste une solution que personne n’a envisagé : le recours aux pleins pouvoirs, comme de Gaulle, en avril 1961, en vertu de l’article 16 de la Constitution, si tout est extrêmement bloqué. Et ce, pour un temps indéfini.” Il ajoute : “Il faudrait qu’il y ait une situation internationale grave qui mettrait la France en danger. On peut penser, évidemment, à une intervention militaire française en Ukraine. C’est de déclenchement facile et sans durée.” 

“Regardez l’inauguration de Notre-Dame : Macron avait dé-ci-dé qu’il parlerait à l’intérieur de la cathédrale Notre-Dame. Il avait décidé. Il l’a fait, aidé certes par la météo. Ce qui ne s’était jamais fait depuis Louis XIV. Brisant du coup le principe de laïcité… En plus se permettant d’avoir un discours d’une tonalité assez politique.”

“Après roi de France, roi d’Europe, tous les scénarios sont possibles. Et quelque part, se rêvant roi du monde”

Va-t-on arriver à se débarrasser de Macron honni par une majorité de Français…? Ne trouvera-t-il pas un moyen de garder les rennes du pouvoir ? Du côté de l’Europe, par exemple…? “Bien sûr, tout est possible ! J’ai retrouvé trace dans la mythologie grecque, l’histoire de la fille du roi de Phénicie, Europe, qui avait été enlevée par… Jupiter. Ça ne s’invente pas ! Après roi de France, roi d’Europe, tous les scénarios sont possibles. Et quelque part, se rêvant roi du monde…L’égal de Trump… Sa stratégie, je crois, va être de continuer à faire ce qu’il veut. Evidemment qu’il ne nommera pas un Premier ministre de gauche. Mais un centre-droit ou suprême provocation quelqu’un de son propre camp, comme Lecornu. Il est aussi dans la transgression. Notre-Dame, c’est la transgression et la jouissance qui va avec. Il veut toujours être maître des horloges : c’est moi qui décide. Et quand j’en aurais envie.

Un enfant-roi “qui n’a pas de limites”

Ph. Unsplash

Finalement, Macron n’est-il pas resté un ado…? Michel Fize en bon spécialiste de cet âge “ingrat” répond : “Il y a chez lui un sentiment de toute-puissance.” Comme un enfant-roi. “C’est un personnage qui ne se reconnaît pas de limites. Un psychiatre italien, Rodrigo, Segatori, qui a fait beaucoup parler de lui en 2017. Il en conclu que Macron est un psychopathe. Sa thèse c’est qu’il aurait vécu un traumatisme dans l’enfance et dans l’adolescence. Lui va très loin, le qualifiant “d’ordre sexuel”. Qui tient à sa relation avec Brigitte Macron. Sans le prouver. De ce traumatisme serait né ce sentiment de toute-puissance, le laissant à l’état infantile de celui qui veut tout, à qui on ne doit rien refuser. Et qui n’aurait pas dépasser ce stade.

La cérémonie à Notre-Dame illustre “la conduite infantile de Macron”

Michel Fize va plus loin : “Il y a, d’ailleurs, un exemple, qui s’est déroulé sous nos yeux qui illustre parfaitement cette conduite infantile ; c’est la réception des 50 chefs d’Etat sur le parvis de Notre-Dame. Là, il était comme un enfant à qui on apporte un cadeau. Et, pour multiplier le plaisir, il a reçu personnellement chacun des chefs d’Etat – ce qu’il avait déjà fait lors de la commémoration de l’anniversaire du Débarquement.” Avec Elon Musk comme Père Noël ou comme Père fouettard…

Ph. Compte X d’Emmanuel Macron.

“Il est bon d’être narcissique mais jusqu’à un certain point. C’est même la condition de l’amour des autres.” S’aimer d’abord soi-même pour aimer l’autre. “On tombe dans la pathologie quand le narcissisme efface complètement l’autre.” Et : “La conduite infantile de Macron a pour effet de prendre l’autre pour un objet. L’autre est chosifié. Pris comme l’instrument du plaisir. Sur le parvis, c’étai la synthèse parfaite de ce qu’est Macron. Il y avait le Macron dans toutes ses dimensions. Il y a incontestablement quelque chose qui fait qu’il est mi-adulte mi enfant.”

Tout ce pataquès politique que nous vivons de plus en plus compliqué de jour en jour était-il prévisible ? “Oui ! Complètement ! J’en parle à des amis politologues ; je leur dis : arrêtez d’imaginer des stratégies politiques de Macron : il n’a pas cette capacité. Il est déterminé par sa psychologie. C’est elle qui parle : pour lui, il est le plus fort, il a toujours raison. En remettant systématiquement la faute sur les autres ses propres échecs ; cela a été prodigieux avec la dernière dissolution…”

Olivier SCHLAMA

👉 Un Président a-normal Essai sur la mégalothymia d’Emmanuel Macron. Perspectives Libres, en vente sur le Cercle Aristote 22 €.

 

 

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