Mardi, s’est déroulé le premier “Place à l’emploi” de France Travail de la région. Plusieurs centaines de candidats s’y sont présentés. Les employeurs recherchent des profils aux qualités de “savoir être”. Il reste des progrès à faire pour améliorer salaires et conditions de travail. Comme le confirme Cyrine Gardes, sociologue du travail.

(Article révisé à 17h07 avec les propos de la sociologue.) Les grands voiliers d’Escale à Sète sont en approche, marquant le début de la saison touristique. En coulisses, pour les professionnels du tourisme, c’est la course. Pas pour cette grande manifestation. Mais pour les suivantes pour lesquelles ils se sont mobilisés bien avant le week end pascal pour trouver suffisamment de personnels et faire tourner leur boutique. Mais le personnel manque toujours. “Ici, on a besoin d’une personne à l’accueil à des horaires décalés” : directrice d’un centre de vacances Bélambra, Isabelle remercie la candidate d’un sourire poli. Entre concentration et motivation, les candidats défilent, CV en main, d’employeur à employeur. Agents de nettoyage, serveurs, réceptionnistes, animateurs, etc. : les profils demandés sont presque toujours les mêmes. Et ce sont ceux qui manquent le plus.

“Repérer les savoir-être”

Ça tombe bien. Quelque 362 personnes ont ainsi été enjointes, ce mardi, à venir postuler en be to be, comme on dit, à ce forum, baptisé “Place à l’Emploi”. Organisé façon speed dating par France Travail (ex-Pôle Emploi), il met en relation directe employeurs et candidats. Tout se joue en quelques minutes. Souvent, “il s’agit de repérer les savoir-être”, décrypte la directrice de France Travail Sète. D’être en capacité d’apprendre à travailler et à travailler ensemble grâce à ses aptitudes personnelles. Cela compte, ici, infiniment plus que les diplômes. Dans le tourisme, les employeurs recherchent, en effet, des candidats aux compétences comportementales affirmées : savoir travailler en équipe, savoir travailler en autonomie, avoir une capacité d’adaptation, avoir de la rigueur et un sens de la communication.

Test grandeur nature pour se faire remarquer et arriver à postuler au sésame du CDI

Chaque année, pour Isabelle et des milliers d’autres responsables de structures touristiques de la région, c’est la course aux profils intéressants. Comprendre : qui tiennent le choc des conditions de travail et des salaires encore assez peu souvent attrayants. Cette responsable a ainsi besoin, chaque année, d’un volant d’au moins vingt personnes, d’avril à septembre. Des saisonniers, un statut que “certains recherchent aussi parce qu’ils aiment changer de lieu de travail”, dira une responsable de recrutement. Même si la plupart espèrent que cet emploi saisonnier sera un test grandeur nature pour se faire remarquer et arriver à postuler au sésame du CDI. À fin septembre 2023, France Travail Occitanie comptait dans le secteur du tourisme, 16 430 demandeurs d’emploi (cat. A, B, C). A 75 %, ils ont un diplôme au-delà du bac ; ce sont des femmes à 60 % ; 60 % également ont entre 25 ans et 49 ans.

Ateliers de préparation à l’embauche

Isabelle, de Belambra, a conscience que le manque de candidatures a aussi à voir avec la pénibilité de ces métiers-là ciblés justement par France Travail. Le forum de Sète avec ses 362 personnes – de tous âges – incitées à y venir candidater et ses 70 offres émanant de 25 structures – du restaurant au village de vacances en passant par le CLJ (Centre de loisirs des Jeunes) de la police qui fait le plein l’été et même une paillote – qui ont besoin de main-d’oeuvre, avait valeur de test. Une quarantaine de ces forums, sans chichi, mais avec un grand pragmatisme, seront ainsi organisés sur ce modèle dans les prochains mois “dans tous les métiers en tension”, fait savoir France Travail.

“Les employeurs présents étaient contents des profils rencontrés. En amont, nous proposons des ateliers de préparation à l’embauche aux futurs candidats ; à valoriser leur image et entretenir leur savoir-être, leurs qualités relationnelles”, explique Olivier Lefoyer, le responsable de l’équipe entreprise à France Travail de Sète. Certains ont pu ou pourront se rendre aussi aux salons TAF, des salons co-organisés avec la Région Occitanie.”

“Nous, on propose de loger les salariés et l’ambiance de travail est très agréable”

Selon Olivier Lefoyer, certains employeurs font des efforts sur les conditions de travail, proposant parfois “deux équipes en restauration, l’une pour le service du midi, la seconde pour soir…” Il y a aussi des jours de repos consécutifs ou la semaine de quatre jours. “Nous, on propose de loger les salariés et l’ambiance de travail est très agréable”, reprend Isabelle du club Bélambra. C’est sans doute moins important que “l’ambiance générale” pour Ivonny, 47 ans, prof de danse cubaine qui aimerait enrichir son calendrier d’intervention de lieux et d’employeurs. Et elle non seulement ça ne l’ennuie pas mais ça l’intéresse de travailler les week-ends !

“Je suis arrivé sur Sète en janvier… J’ai vraiment besoin de travailler !”

“Je suis arrivé sur Sète en janvier… J’ai vraiment besoin de travailler !” Le jeune homme, énergique, le répètera quatre ou cinq fois comme si le mantra était obligatoire pour décrocher un travail auprès de la directrice-adjointe du centre du Lazaret, à Sète.

Fondé au siècle dernier par des protestants, le lieu est magique. Charme un rien désuet. De grands pins. De la place. Bardé de labels touristiques. Ce centre de vacances (en dur), qui emploie 30 salariés en CDI monte jusqu’à 55 fiches de paie en saison. C’est un spot de travail saisonnier envié. Directrice-adjointe, Catherine Prat prend du temps avec ce jeune candidat et recherche encore “cinq ou six personnes en cuisine et trois autres pour le ménage. Ce genre de speed dating est intéressant”, dit-elle. Là aussi pour dénicher des candidats car “chaque année il faut recommencer à trouver des candidats. C’est aussi pour renouveler notre réseau”.

Travailler au pays des vacances, pas facile. Pour réussir dans cet univers du tourisme et des loisirs, c’est, répétons-le, une question de savoir être : positif, flexible, polyvalent… De plus en plus de patrons améliorent les conditions de travail ; les saisonniers, eux, débusquent de plus en plus de CDI. Mais les salaires, le mal-logement, journées harassantes quand elles ne sont pas hachées…

Les employeurs doivent améliorer leur offre

Il y eut un après-covid, où la main-d’oeuvre touristique a commencé à manquer ; les saisonniers ayant cherché et parfois trouvé du travail ailleurs. Il y a des employeurs qui n’hésitent plus à proposer des mesures innovantes : intéressement, rénovation des logements, repas au même buffet que les clients ; du repos deux jours d’affilée même en pleine saison, et même possibilité de travailler – quand c’est un grand groupe – de se faire nommer dans le même centre que des amis ou d’un membre de la famille. Et surtout, surtout, au-delà d’un salaire revalorisé, un management bienveillant. C’est bien l’offre qui n’est pas partout attractive qu’il faut améliorer, disent tous les experts du domaine, à l’image de Nicolas Roux, sociologue du travail à l’université de Reims Champagne-Ardennes. Ce qui est confirmé par les employeurs eux-mêmes avec 53 % des recrutements jugés “difficiles“.

Avec la réforme de l’assurance chômage, ça devient de plus en plus compliqué d’accéder à des droits ; les gens peuvent ainsi se détourner des contrats courts parce que ça ne leur permet pas de recharger leurs droits”

Cyrine Gardes, sociologue

Sociologue au Centre d’études, de l’emploi et du travail, à Paris, rattaché au Cnam, Cyrine Gardes déroule : “Il subsiste un réel problème de conditions d’emploi et de travail dans ce secteur où l’activité est saisonnière avec des contrats courts ; dans ces speed dating, en lien avec la saison d’été, il y a peu de CDI. Quant à dire que les CDD peuvent éventuellement servir de période d’essai rallongée, le CDI, rappelons-le, a déjà une période d’essai !”

“L’autre problème, note la sociologue, c’est qu’avec la réforme de l’assurance chômage, ça devient de plus en plus compliqué d’accéder à des droits ; les gens peuvent ainsi se détourner des contrats courts parce que ça ne leur permet pas de recharger leurs droits, d’autant plus que si les salaires sont faibles, en retour, cela leur donne droit à des indemnités chômage faibles. Et on ne peut pas tenir jusqu’à la prochaine saison. C’est cela l’enjeu dans ce milieu : pouvoir bénéficier d’indemnités décentes. C’est ce qui explique en partie la pénurie.”

Certains vont vers la grande distribution

La sociologue ajoute que : “J’ai l’impression que les employeurs aimeraient que les conditions restent comme quand ils ont commencé eux-mêmes dans le métier, pénible dur, avec des horaires atypiques, décalés ; avec beaucoup d’illégalisme, des heures de travail pas payées ou pas déclarées ; beaucoup de travail au noir… Peut-être que certains se détournent et vont vers des secteurs légèrement plus qualitatifs. Notamment vers la grande distribution, secteur difficile, mais où l’on a un contrat de travail en bonne et due forme, des heures biens cadrées ; on est payé quand on fait des heures en plus, etc.”

“S’ils ne trouvent pas, c’est que aussi ils ont des exigences élevées alors leurs emplois sont peu qualitatifs”

Elle complète : “Ce sont de petites améliorations mais pour des gens qui n’ont pas beaucoup de qualification, ça compte. L’hôtellerie-restauration présente une pénurie mais celle-ci est historique. Il y manque toujours du personnel ; c’est un secteur où il n’y a pas beaucoup de mécanisation. Et, en même temps, il y a une pression des coûts importante. Et ce qui ressort beaucoup dans les entretiens, c’est que les employeurs n’embauchent pas n’importe qui. Ils recherchent parfois des qualifications particulières, la maîtrise de certaines langues étrangères, une bonne présentation, des savoir-être, etc. Cela joue un rôle de filtre. S’ils ne trouvent pas, c’est que aussi ils ont des exigences élevées alors leurs emplois sont peu qualitatifs.”

Selon les tout derniers chiffres de France Travail, entre octobre 2022 et septembre 2023, 7 584 offres concernant les métiers du tourisme en Occitanie ont été enregistrées, dont plus de la moitié (51 %) en Haute-Garonne et dans l’Hérault. Une majorité à temps complet et pour une durée dépassant six mois, avec, évidemment, une “saisonnalité marquée” : 57  % sont des projets de recrutement saisonniers. Les métiers les plus recherchés ? Sans surprise et dans l’ordre : animation auprès d’enfants ou d’ados ; éducation en activités sportives ; accueil touristique et accompagnement de voyages, activités culturelles ou sportives (1).

Olivier SCHLAMA

• Parmi les employeurs présents à Sète : Club Thalassa, Belambra Clubs, Le Lazaret, mairie de Sète, et l’Agglopôle, la Voile Rouge, Tabary’s, Burger King, MC Donalds, la Guinguette, les bar le Saint-Clair et le Passage, le Bistrot du port, The Marcel, la Ola, Centre de loisirs jeunes de la police, Zest prod, Samsic Emploi Occitanie, Gesim, Amarine Immobilier, la Ressource, l’Escale, les Pieds dans le Sable…

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