Mémorial de Rivesaltes : trois artistes, trois regards sur la force de la mémoire

L’exposition temporaire Art In Situ, regards contemporains avec les oeuvres des artistes Nicolas Cussac, Philippe Domergue et Nissrine Seffar sur l’ancien camp de Rivesaltes est visible jusqu’au 28 janvier 2024. Et elle est poignante.

“L’art nous est donné pour nous empêcher de mourir de la vérité”. Mieux que quiconque, le philosophe Nietzsche avait formulé cette prise de conscience qui s’éclaire à l’aune d’une actualité dévastatrice. Barbarie au Proche-Orient ; attentat  causant une nouvelle fois la mort d’un enseignant, Dominique Bernard, trois ans presque jour pour jour après l’assassinat de Samuel Paty… Parcourir les allées du camp de Rivesaltes fait résonner passé et présent. Et, espérons-le, raisonner l’humanité. C’est en entretenant cette mémoire que l’on se donne l’espoir qu’il n’y ait plus de répétition mortifère.

Ph. Département des Pyrénées-Orientales.

“Retisser ce lien fragile entre passé et présent”

Allez donc voir Art in Situ, les oeuvres des artistes Nicolas Cussac, Philippe Domergue et Nissrine Seffar ! Qui, justement, comme le dit Carole Delga “ont en commun de retisser ce lien fragile entre passé et présent en nous invitant à regarder ces traces d’un passé révolu comme faisant à nouveau partie intégrante de notre présent”.

Ce sont trois regards contemporains qui, indique-t-on au Mémorial, “permettent à trois artistes contemporains liés à ce territoire de livrer leur regard personnel, intimiste et empreint de sensibilité sur le site de l’ancien camp.” Cette “rencontre des regards” se traduit par un parcours d’exposition ponctué d’œuvres diverses par leur forme et leur nature, mais qui ont en commun d’ouvrir une réflexion sur la perception de ce lieu d’internement, de proposer une narration singulière de l’histoire. Matières, formes et images se mêlent ici en liberté, tout comme se mêlent les visions et techniques spécifiques à chacun des artistes. Un foisonnement salutaire qui donne à ressentir autant qu’à réfléchir.

Bois d’époque des baraquements d’internement et les images ont une force incroyable ensemble

Philippe Domergue. DR.

Il y a Philippe Domergue (Relèvements). Ses marouflages où le bois d’époque des baraquements d’internement et les images ont une force incroyable ensemble, réactualisant un passé au présent. Ses œuvres exposées au Mémorial de Rivesaltes portent un questionnement sur le rôle de l’art dans la perception et la compréhension de l’histoire, en mettant en lumière sa dimension planétaire et ses répétitions (impact des guerres sur les populations civiles, récurrence de l’exil).

Entre photographie, dessin, assemblage et installation, ses œuvres explorent “la matérialité de l’image, ses limites et son rôle dans la sensibilisation aux enjeux environnementaux et la transmission de la mémoire”. Philippe Domergue travaille in situ et dans son atelier au Mas Saint-Jacques, près de Perpignan. Qui est aussi un lieu de sensibilisation à l’art et à l’environnement que l’artiste a écorénové et ouvert au public depuis 2008.

Après sa formation à l’École Supérieure d’Art de Perpignan (diplôme national supérieur d’expression plastique en 1990) et une période de pratique critique du médium photographique (1987-2000), il s’intéresse à l’image historique, son traitement plastique et ses liens justement avec l’actualité. Les questions d’exils forcés et d’accueil de réfugiés a eu lieu pour la première fois au Mediator (Scène nationale de Perpignan) en 1999 pour le 60e anniversaire de la Retirada découvrant alors ce drame historique majeur occulté, non enseigné.

Volumes Nissrine Seffar.

“Elle questionne le vécu, l’exil, l’errance, les cicatrices”

Second regard, celui de Nissirine Seffar (Les indésirables)Nissrine Seffar qui “enquête, recense et questionne le vécu, l’exil, l’errance, les cicatrices”. Née en 1983 au Maroc, Nissrine Seffar a grandi et a commencé sa formation artistique à Casablanca. Fin 2010, elle est encore au Maroc lors de ce que l’on a appelé le Printemps arabe, revendiquant davantage de libertés et de démocratie mais c’est la peur et la répression qui en ont découlé… Nissrine Seffar orientera son travail artistique sur, justement, la mémoire, en donnant un autre éclairage à des faits historiques.

En 2011, Nissrine Seffar s’installe en France et se rend rapidement à Guernica et parallèlement, elle entame un travail sur le camp de Rivesaltes où elle se rend dès 2012. Depuis Sète, elle va régulièrement et fréquemment venir à Rivesaltes. Elle arpente seule cette vaste étendue où subsistent les baraquements en ruine, elle prend des photographies, réalise des dessins qui témoignent de l’érosion de ces habitations sommaires. Elle complète ce travail par des recherches historiques et documentaires.

Jusqu’à ce que l’inspiration, telle une source vive

Troisième regard, celui de l’artiste peintre Nicolas Cussac (Au Mémorial). Artiste libre et singulier originaire de Perpignan, Nicolas Cussac a étudié l’architecture et les beaux-arts, qu’il quitte sans aucun diplôme. Testant son art en réalisant des décors peints pour le compte de restaurants, bars et discothèques, il peint et dessine le monde qui l’entoure en se laissant surprendre par l’inspiration. Fondateur du collectif Rencontres du dessin de montagne, il réunit des artistes et programme un travail sur les chemins de l’exil espagnol dans les cols pyrénéens.

À Rivesaltes, pendant plus de neuf mois, Nicolas Cussac arpente les allées du camp et le bâtiment du Mémorial, se laissant imprégner par le site en prenant le temps de ne rien faire jusqu’à ce que l’inspiration, telle une source vive, surgisse et lui dicte le sens de son trait. Un trait simple, épuré, efficace.

Olivier SCHLAMA

  • Avenue Christian-Bourquin 66 600 Salses-le-Château France. Tarif plein : 9,50 € Tarif réduit : demandeurs d’emploi, étudiants, groupes à partir de 10 personnes, pass patrimoine : 6,50 euros.

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