Margherita Alessandrini, directrice du programme cyclo-cargologie des Boîtes à Vélo explique tout le potentiel de cette vieille nouveauté qui va devoir relever des défis pour s’imposer comme dernier maillon crédible de livraison.
On connaissait le fameux triporteur, voici le vélo-cargo. Quand le deux-roues se prend pour un engin de livraison qu’il est : passe-partout, non polluant et solution douce pour le fameux dernier kilomètre… Pourquoi en voit-on peu en Occitanie de ces deux-roues qui font rissoler les mollets des jeunes cyclistes-livreurs ? Trop de côtes ; de chaleur…? “Cela dépend des villes. Dans certaines villes comme Paris, ville où ce mode de livraison est le plus développé le France ; Montpellier, ça reste est moins dynamique. Comme Toulouse où il y a quelques opérateurs mais ça reste peu utilisé.” Pourquoi ?
Le vélo-cargo participe du centre-ville apaisé
Pour des courses de moins de 15 kilomètres, certains centres-villes l’ont adopté. Moins de pollution, moins de bruit. C’est vecteur d’apaisement, explique Margherita Alessandrini, directrice du programme cyclo-cargologie Les Boîtes à Vélo, association professionnelle de promotion et de bonnes pratiques qui réunit quelque 350 acteurs de la filière : artisans, commerçants, restaurateurs, etc., et les acteurs de cette logistique.
La spécialiste ajoute : “Il y a plusieurs facteurs qui conduisent ou pas à un développement de la logistique à vélo : la morphologie de la ville joue évidemment un rôle. Les villes avec des centres historiques où les passages sont compliqués, avec des pavés : passer avec une camionnette, c’est compliqué. Et c’est plus propice au développement de la cyclo-logistique. Après, certaines villes, qui ont une volonté politique, mettent en place des politiques dites d’apaisement des centres-villes avec des interdiction de circuler pour les véhicules traditionnels ou à de certains créneaux et c’est là qu’il faut proposer une alternative.”
Entre 2 200 et 2 400 ETP et 200 entreprises spécialisées

Que représente cette filière prometteuse ? “En France, précise Margherita Alessandrini, on considère qu’il y a entre 2 200 et 2 400 équivalents temps-plein (ETP) dont une partie se trouve à Paris. C’est une petite filière par rapport à la “grande” filière du transport. Il y a environ deux cents opérateurs répartis entre 74 villes en France, y compris des villes moyennes. Il faut distinguer les plates-formes ubérisées qui emploient des personnes en statut d’auto-entrepreneur et des entreprises avec des contrats salariés dont la majorité sont en CDI.” Qui sont les clients ? Des entreprises de transports – commanditaires de transports, chargeurs, commissionnaires, transporteurs – qui ont besoin de transporter des marchandises sur quelques kilomètres, les derniers en général. La Stef, Chronopost, Amazon, etc.
“83 % des entreprises de la cyclologistique prévoient une hausse de leur chiffre d’affaire en 2025”
Filière d’avenir, la cyclo-logistique a fait l’objet d’une étude de l’Ademe fin 2023 “dont les chiffres n’ont pas beaucoup bougé depuis” (lire ci-dessous). Quel est son avenir ? La représentante de la Boîte à Vélos cite une étude, selon laquelle “83 % des entreprises de la cyclologistique prévoient une hausse de leur chiffre d’affaire en 2025 selon l’Observatoire des cyclomobilités professionnelles, Boîtes à Vélo, 2024). Et 47 % qui prévoient de recruter des salariés. Plus globalement, la part des marchandises transportées en vélo-cargo sur le dernier kilomètre est aujourd’hui de 2 % à 3 %. A iso-périmètre, si l’on prend tous les flux qui pourraient être transportés à vélo, le potentiel est entre 40 % et 60 % des marchandises !” Elle espère que l’on verra ces nouveaux engins prendre de plus en plus possession du bitume.
Pilier de notre économie, la logistique, elle est un des plus grands challenges de la transition écologique. En ville, la logistique génère 25 % des émissions de gaz à effets de serre (Ademe, 2024). Le vélo-cargo est une solution, jusqu’à 1,6 fois plus plus rapide, huit fois plus économique que la logistique traditionnelle, plus flexible et plus écologique. Certes…
Le vélo-cargo a d”importants défis à relever

Mais il y a d’abord des défis importants à relever : ces engins coûtent cher (4 800 € en moyenne) et il faut penser à les renouveler assez souvent, la filière n’est pas des plus attractives : les “pilotes” ne sont pas bien payés… Margherita Alessandrini valide le constat et ajoute un autre pari à relever, celui des matériels. “Comme c’est une filière industrielle récente – la voiture a mis, elle, des décennies à faire en sorte qu’elles soient standardisées et fiables, par exemple, confie-t-elle encore. La recherche-développement progresse vite avec du matériel de plus en plus résistant et qui s’adapte aux typologies de marchandises. C’est un axe d’amélioration. Autre axe à travailler : arriver à faire de la mutualisation entre plusieurs entreprises pour optimiser un chargement de vélo-cargo ; avoir des clients avec des horaires différents… Nous sommes sur un nouveau paradigme.”
“Il faut du temps pour que se créent des entreprises spécialisées”
Toujours selon les Boîtes à Vélo, d’ici 2050, la livraison à vélo-cargo créera 110 000 emplois d’après le Shift Project (L’emploi, moteur de la transformation bas carbone, 2021). Le secteur du transport traverse une crise depuis maintenant deux ans. La moitié des dirigeants du secteur routier annoncent même des baisses d’activité au cours du dernier trimestre 2024. (Baromètre TRM, janvier 2025).
À Montpellier, le maire est un fervent défenseur du vélo sous toutes ses formes. Qui crée beaucoup d’infrastructures connectées au deux-roues. Pourtant, il y a peu d’entreprises qui se créent dans ce secteur dans la capitale du Languedoc. Comment l’expliquer ? Malgré une volonté politique forte, l’existence d’une ZFE, notamment, “il faut du temps pour que se créent des entreprises spécialisées”, répond Margherita Alessandrini. Car, insiste-t-elle, “si tout se combine bien : les perspectives optimistes de croissance, les restrictions de circuler dans certains centres-villes et l’efficacité reconnue de cette manière de livrer dans une zone de moins de 15 km, quand il y a du foncier suffisant pour des hangars, etc.”
Strasbourg, Lyon, Orléans, Annecy, Reims…

Y a-t-il une ville exemplaire, hors Paris, qui bat toutes ses concurrentes ? “Strasbourg et Lyon”, répond-elle spontanément. Des villes comme Orléans, Annecy et Reims, s’intéressent aussi à cette filière émergente. Pas forcément nos deux capitales régionales, Montpellier et Toulouse ? “Non, au contraire : ce sont des villes qui s’intéressent à ce sujet ; nous avons d’ailleurs organisé un forum à Montpellier et il y en aura un dans la Ville Rose en fin d’année.” C’est, d’ailleurs, parce qu’un terreau écolo y est favorable que, dans la continuité des 150 M€ déployés par la métropole de Montpellier pour développer les mobilités durables, et du développement d’un Réseau express vélo de 235 kilomètres, que la capitale du Languedoc-Roussillon a accueilli le 5 juin un forum sur la cyclo-logistique.
On est tellement habitués à penser qu’une livraison se fait en voiture ou en camion en ville que lorsque l’on parle de vélo on ne l’imagine pas comme un outil pouvant transporter jusqu’à 300 km de marchandises”

En tout cas, il est plus difficile de revenir aux livraisons à vélos alors que cela existe depuis plus d’un siècle, avant que la ville ne s’organise qu’autour de la sacro-sainte voiture et pour elle. Il y a, en effet, un frein, subtil, psychologique : “On est tellement habitués à penser qu’une livraison se fait en voiture ou en camion en ville que lorsque l’on parle de vélo on ne l’imagine pas comme un outil pouvant transporter jusqu’à 300 km de marchandises, prendre en charge directement des palettes, des produits frais sous température dirigée. Or, beaucoup de progrès ont été faits”, pointe Margherita Alessandrini.
La spécialiste ajoute : “L’idée, justement, de nos forums est de mieux faire connaître cette solution de livraison. Parfois, on se retrouve dans des villes, comme Marseille, qui n’a pas de restriction pour les voitures en centre-ville, alors que les opérateurs sont demandeurs de solutions alternatives parce que c’est le bordel : personne n’arrive à respecter les créneaux de livraison à cause du trafic… C’est l’une des villes où notre forum (1) dans cette ville a enregistré le plus de participation.”
Olivier SCHLAMA
(1) Ces forums s’adressent “aux acteurs économiques et aux acteurs publics en priorité, et permet de découvrir une voie d’avenir pour un transport local, parfait pour les circuits courts et dont la pertinence ne cesse de s’élargir : du transport de colis au respect de la chaîne du froid en passant par le transport de déchets”.
De 80 M€ à 85 M€ de chiffre d’affaires généré

Poids socio-économique, en retenant uniquement les impacts directs. Ces résultats ne prennent pas en compte l’activite de livraison de courrier postal de La Poste ainsi que les plateformes de livraison de repas (Uber Eats, Deliveroo, etc.).
- 80 M€ à 85 M€ de chiffre d’affaires généré en France. Cela correspond à 5 % du chiffre d’affaires total de la logistique à vélo (incluant comptes propres, plateformes, etc.)
- 2 200 à 2 400 ETP (dont 400 – 450 ETP en fonction support) en France. Cela correspond à une intensité d’emploi moyenne de 28 ETP/M€.
- Quelque 200 entreprises recensées mixtes et spécialisées en France (6 entreprises génèrent près de 50 % du chiffre d’affaires total de la filière)
- Entre 2 500 et 3 000 vélos cargo en circulation. La durée de vie moyenne d’un vélo cargo est de 3 ans à 5 ans soit un renouvellement moyen de 600 engins chaque année.
Premiers vélos-cargos de James Starley
Extraits éclairants de l’étude de 2023 de l’Ademe sur le vélo cargo.
“Lorsque l’on recherche l’origine du vélo-cargo, il faut remonter à 1877, date à laquelle un certain James Starle Royaume-Uni) dessine un modèle de tricycle principalement pour le transport de personnes49. À l’époque cadres en bois sont remplacés par des exemplaires en fer massif avec des roulements à billes. Ils sont lourds, engrenage et avec une faible capacité de charge.
“Malgré cela, ces anciens modèles de porteurs restent attrayants pendant un certain temps après l’invention Safety Bike, la première bicyclette telle que nous la connaissons, en 1888. La technique de ce vélo moc est en fait assez coûteuse et pourtant, ces développements techniques se sont avérés indispensables à l’évol du vélo-cargo. La chaîne rend superflue la transmission directe aux roues et donne de la liberté da positionnement du cycliste et de la charge. Les roues peuvent être plus petites. Le transport de marchan devient alors intéressant pour ces véhicules, même si les vélos ne peuvent transporter au départ qu’un panier ou une caisse…”
L’arrivée des Hirondelle de Manufrance…

(…) La cyclologistique continue de se développer durant le 20e siècle, notamment en conséquence des guerres qui ont poussé la population et les professionnels à innover et chercher de nouvelles solutions de livraison viables partir des années 1920, la Manufacture Française d’Armes et Cycles de Saint-Etienne, plus connue sous le nom de Manufrance, augmente sa fabrication de triporteurs et développe même des modèles professionnels de dont le modèle “Hirondelle” pouvant transporter une charge utile de 80 kg et qui connaîtra un grand succès suite. En 1930, le catalogue Manufrance dédie alors une double page à la promotion de bicyclette et triporteur livraison, en promettant aux commerçants de doubler leur clientèle en livrant à domicile, Ainsi, l’une premières enseignes à avoir adopté des triporteurs pour la livraison à domicile est la marque Casino qui utilise le modèle “Hirondelle” dont un exemplaire est encore disponible aujourd’hui au Musée des Arts et de l’Industrie…”
Déclin face au développement de l’automobile
À partir des années 1950, face à l’essor de l’automobile et des véhicules motorisés, les vélos et triport classiques perdent rapidement de leur attractivité. Ces nouveaux véhicules permetter transporter des charges plus importantes de manière plus rapide. Ils ne demandent pas d’effort physique et alors vu comme un progrès considérable à l’époque. La campagne publicitaire de Solex en 1949 disait “bicyclette qui roule toute seule”, la Mobylette “une bicyclette munie d’un bon petit vent arrière permanent”. Parmiles véhicules utilisés à cette époque pour remplacer les vélos et triporteurs ordinaires, on retrouve notamment le modèle de triporteur APE lancé par Piaggio en 1948, et toujours commercialisé aujourd’hui. Avec l’avènemer
‘automobile, ce sont aussi les habitudes de consommation qui changent : les clients repartent directement magasins avec leurs achats.
La Poste résiste…
Cependant, malgré cette période de déclin, certaines entreprises comme La Poste n’ont pas abandonné la cyclologistique, et même si son utilisation par les professionnels devient marginale, le vélo reste ancré dal chaîne de distribution de la messagerie. En 1965, 37 000 des 60 000 tournées en France se font encore à bicyclette. En 1996, La Poste introduit un changement de politique et distribue elle-même les vélos utilisés pa facteurs, et ceux-ci seront changés tous les cinq ans. Auparavant, ces derniers appartenaient aux facteurs.
Les familles ont fait réémerger le vélo-cargo

“La fin du 20e siècle, on assiste à une contre-culture avec des mouvements de sensibilisation écologique énonçant l’utilisation de l’automobile et les nouvelles formes de capitalisme. Au Danemark, le transport d’enfant et de marchandises à l’aide de remorques devient de plus en plus populaire dans les années 1970. Comme l’entreprise Christiania Bikes qui fabrique des remorques à partir d’anciens cadres de lits, pour ensuite les attacher l’arrière d’anciens vélos de la Seconde Guerre mondiale. En 1984, Lans Egstrom, cofondateur de l’entreprise décide de moderniser ce véhicule et de le rendre plus adapté au transport d’enfants et produit ainsi le triport hristiania. Un bac, semblable à une remorque, à l’avant d’un tricycle, permet d’augmenter la sécurité et de pour surveiller les enfants en conduisant. Ce modèle devient alors très populaire et l’entreprise continue aujourd’hui à produire. Toujours au Danemark, à Copenhague, la marque danoise Larry vs Bullitt qui produit le vélo-cargo Bust à l’origine de la relance de la course Svajerlob en 2009. Cette fois-ci, à la différence des courses du 20e ècle, les participants sont majoritairement des familles.”