Humeur / Mobilités : ZFE, ou l’art de “mettre la charrue avant les boeufs”

Trouver une alternative au "tout bagnole" ne veut pas dire faire n'importe quoi ! Photo DR

Cela fait partie des sujets qui mettent en exergue cette “France à deux vitesses” que certains voudraient bien glisser sous le tapis. Pourtant, les ZFE (zones à faibles émissions) pourraient bien être la prochaine bombe sociale, après les Gilets Jaunes et les manifestations contre la réforme des retraites. Sans doute concoctée par quelques technocrates pouvant se permettre de circuler à trotinette (électrique, sinon c’est fatiguant) dans une métropole verdissante (en pots), ces ZFE irritent de plus en plus, sur toutes les cases de l’échiquier politique…

Le premier constat est simple. Il était mis en avant dans le “baromètre des Zones à Faibles Emissions” réalisé par CSA pour l’Association Eco Entretien en 2022 (1) : “C’est une réalité sociale de pouvoir d’achat (…) 36% des détenteurs de véhicules qui seront exclus des ZFE déclarent qu’ils n’ont pas un euro à consacrer à un nouveau véhicule. C’est-à-dire qu’ils n’ont tout simplement pas les moyens. Cette incapacité financière augmente avec le Crit’Air du véhicule. Ils sont 38% lorsqu’ils possèdent un véhicule Crit’Air 3 et 42% lorsqu’ils possèdent un véhicule Crit’4 ou 5.”

“Dix millions d’automobilistes interdits de se déplacer”

“Les zones à faibles émissions sont une véritable bombe sociale qui pénalise les plus pauvres”, estimait récemment sur France-Info le secrétaire national du Parti communiste français Fabien Roussel qui  demande à “revenir en arrière” sur leur instauration partout en France en rappelant que “dix millions d’automobilistes qui ont des véhicules Crit’Air 3, 4 ou 5 vont être interdits de se déplacer.”

Plus étonnant, c’est la secrétaire nationale d’Europe Ecologie Les Verts (EELV), Marine Tondellier, qui soulignait récemment que  “les mesures écologiques, ça ne marche pas quand c’est imposé d’en haut, quand ce n’est pas concerté avec la population” et jugeant que les ZFE est une mesure “injuste socialement.”

Elle regrettait par ailleurs que le gouvernement n’ait “rien anticipé”, citant l’exemple de la métropole de Lyon, qui a décidé d’un report.

ZFE, “zone à faibles émissions” ou… zone à forte exclusion ?

Zone d’exclusion… Photo DR

Petit rappel pour ceux qui auraient raté un épisode : Une Zone à Faibles Émissions est une zone urbaine dont l’accès et la circulation sont réservés aux véhicules les moins polluants. Les critères d’entrée dans ces périmètres dépendent des caractéristiques techniques et de l’âge des voitures : en général, les moteurs les plus anciens ou les voitures n’étant pas équipées de filtres antipollution en sont bannis.

247 ZFE sont dénombrées dans 13 pays européens : https://www.eplaque.fr/infos/carte-lez-france-europe

Onze métropoles françaises ont déjà instauré des ZFE, dont Toulouse et Montpellier. Et ce sont 45 métropoles et agglomérations de l’héxagone qui seront à terme concernées. En cas de contrôle, le non-respect de l’accès fixé par la vignette Crit’Air est sanctionné d’une amende de 68€ (135€ pour les véhicules lourds).

La loi Climat et Résilience (2021) impose en effet la création d’une ZFE-m au 1er janvier 2025 dans les agglomérations de plus de 150 000 habitants. Directement concernée, Perpignan Méditerranée Métropole soulignait dès novembre dernier que “Perpignan centralise plusieurs infrastructures et services à la population essentiels : aéroport, gare routière, hôpital, université… Même réduite à la surface de Perpignan, la ZFE sera donc excluante. Dans ces conditions, la création d’une ZFE créera de l’inégalité générée par l’interdiction de se rendre dans la principale zone d’attractivité du département…”

Une application sans discernement, défavorable aux ruraux et péri-urbains

Différentes aides pour l’achat ou la location de véhicules plus “verts” ont été promises par le gouvernement. Mais que sont ces milliers d’euros pour des véhicules qui dépassent encore largement les 20 000 € ? Pas sûr que les ménages apprécient de devoir changer de véhicue dans une période où les Français (en particulier les plus modestes) sont contraints de se “serrer la ceinture” face à la flambée des prix, notamment de l’énergie et des produits alimentaires…

Les observateurs soulignent que ce sont les habitants des communes rurales et périurbaines (tous ceux que l’on a convaincus d’aller vivre hors des villes et de rouler au diesel) qui vont une fois de plus être exclus, étant donné que ce sont eux qui possèdent le plus fréquemment des véhicules les plus polluants. Or, ces territoires sont aussi ceux où la dépendance automobile est la plus forte.

Que faire lorsqu’il faut se rendre dans la ZFE pour aller visiter un proche à l’hôpital, amener des enfants à l’école, réaliser des courses importantes et lourdes ? Notre technocrate à trotinette n’y a pas trop pensé (il se fait livrer). Comme le souligne l’expert des mobilités Franck Cazenave (in AutoInfo – Distribution) : “Les Français utilisent leur voiture pour les trajets domicile-travail, parfois longs. Ils ont besoin de plusieurs places pour déposer leurs enfants à l’école, les conduire à leurs loisirs, etc. Le vélo va se développer, mais ce n’est pas une stricte alternative à la voiture.”

Et le vélo nécessite aussi de créer de véritables pistes cyclables et non des voies signalées à la va-vite pour s’offrir à peu de frais une “identité verte”, ou de laisser les vélos devenir des dangers publics dans les espaces dévolus aux piétons !

Alors ces ZFE ? Une fausse bonne idée. Financiérement injuste, écologiquement punitif, politiquement décalé… Certes le sujet est sérieux : Selon les estimations de Santé publique France les particules fines et les oxydes d’azote “ont causé la mort de 40 000 français.”

Mais il serait judicieux de penser d’abord à développer les transports publics et les véritables alternatives au “tout bagnole.” Et ce n’est qu’après, lorsque les politiques auront (vraiment) fait leur travail, que l’on pourra repenser les modes de mobilité à long terme. C’est essentiel, mais pour utiliser une vieille métaphore : “Il ne faut pas mettre la charrue avant les boeufs !”

Philippe MOURET

(1)  Enquête online menée du 8 au 22 février 2022 auprès d’un échantillon représentatif de 1 587 français âgés de 18 ans et plus dont 968 français directement impactés par les ZFE avec au moins un de leurs véhicules. Méthode des quotas sur des variables de sexe, âge, profession, région et taille d’agglomération d’après les données de recensement INSEE et sur les Crit’Air des véhicules possédés dans le foyer.

Et que ça roule !

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