L’ancienne ministre de l’Education nationale et actuelle présidente de France Terre d’Asile vient de publier, avec l’économiste Benjamin Michallet Réfugiés : Ce que l’on ne nous dit pas qui traite de la question d’une partie de l’immigration en France et des fake news dont se sont emparés les extrêmes.
La confusion règne sur le sujet des réfugiés et elle profite aux extrêmes qui en font leur miel. “Oui, absolument, valide Najat Vallaud-Belkacem, ancienne ministre et actuelle présidente de France Terre d’Asile. C’est sujet aussi présent dans le débat public, qui charrie avec lui autant de passions négatives, de polémiques permanentes mais c’est un sujet très méconnu. Qui ne fait l’objet que de très peu de transparence, y compris des pouvoirs publics, ce qui n’éclaire pas le citoyen sur la réalité des choses. Les enjeux. Sur le pourquoi, le comment…”
“On est dans la même exigence que la lutte contre les fake news sur le climat”

Les extrêmes jouent sur la désinformation, les peurs. On est “dans une ère où l’info n’est pas un droit mais un champ de bataille”, écrit-elle. On joue dangereusement sur “une orchestration habile”. Or, nous sommes “dans la même exigence que la lutte contre les fake news sur le climat”. Conclusion, les esprits sont à la merci d’une vision simpliste et fausse. Ainsi, mal informés, les Français n’ont-il pas envie naturellement de faire des demandeurs d’asile un bouc-émissaire, solution facile à ce qu’ils ne comprennent pas… ?
“C’est juste, convient Najat Vallaud-Belkacem, à la différence près que les citoyens finissent par percevoir les choses telles qu’un certain nombre de populistes leur présentent. La vérité, l’intérêt des citoyens, et c’est ce que l’on a mis au coeur de cet ouvrage, n’est pas du tout là où on les emmène. Il est plutôt sur la clarté à faire sur ces phénomènes d’immigration. Sur ce que sont les réfugiés. Et, à partir de là, que l’on puisse comprendre pourquoi c’est plutôt dans notre intérêt de bien se comporter ; que l’humanisme ne s’oppose pas à l’efficacité. Bien au contraire”.
Il y a une grande tromperie, celle qui consiste à parler de “migrants”, terme polysémique qui ne veut pas dire grand-chose auquel est apposé l’unique image du demandeur d’asile en haillons”
Que représentent les réfugiés par rapport à l’immigration en général ? “Il faut distinguer ce qui relève de la migration volontaire, ce sont des gens qui ont pour projet de venir s’installer dans notre pays, que ce soient des étudiants internationaux, des travailleurs, les couples mixtes, dit-elle, pédagogique. À côté, il y a cette petite rubrique de déplacés forcés, les demandeurs d’asile qui n’avaient pas pour projet de s’installer dans un autre pays mais qui ont dû fuir en catastrophe une situation de risque imminent pour leur vie.”
L’ex-ministre déroule : “Cela représente, en 2024, 133 000 personnes qui sont venues comme déplacés forcés, soit seulement 12 % de l’ensemble des délivrances de titres de séjour. Et encore, parmi ces 133 000 personnes, seulement 70 000 d’entre-elles l’ont obtenu {comme Dis-Leur vous l’a expliqué ICI}. Il y a donc une grande tromperie dans le débat public : celle qui consiste à parler de “migrants”, terme polysémique qui ne veut pas dire grand-chose auquel est apposé l’unique image du demandeur d’asile en haillons sur une embarcation de fortune et faire croire que, finalement, les chiffres importants que l’on donne laissent croire que les fameux 336 000 titres de séjour que la France accorde chaque année sont destinés aux demandeurs d’asile. Pas du tout. On mélange tout. Cela fait de très grands chiffres et après on explique aux gens que : “Vous vous rendez-compte, on est submergés ; les conventions internationales nous obligent…”
“Ce sujet est pris en tenaille entre le populisme et une forme de technicité qui le rend difficile à traiter”

Comment explique-t-elle que ce contre-récit que personne ne se soit emparé de ce sujet aussi clairement que cela ? “C’est devenu un sujet épineux. D’abord instrumentalisé qui a, pour des populistes, un potentiel de victoires faciles dans le débat public. Et aux yeux des autres qui parait un peu technique. Ce sujet est pris en tenaille entre le populisme et une forme de technicité qui le rend difficile à traiter. C’est cela qu’il faut rompre. L’objet de ce livre et de donner toute sa place au citoyen éclairé. Il ne faut pas le traiter comme un enfant à manipuler.” Le citoyen a à comprendre aussi que le “gros bloc de la migration volontaire est parfaitement régulable”. L’État a “parfaitement le droit légitime à réguler son immigration sur son sol en fonction de ses intérêts, ses besoins ; s’il constate s’il a besoin de plus ou de moins étudiants étrangers ; de plutôt davantage de travailleurs dans tel ou tel secteurs d’activité, etc.”
“Un individu accueilli dans notre pays rapporte plutôt qu’il ne coûte”
Au-delà, ce que démonte, Najat Vallaud-Belkacem, c’est le gloubi boulga qui amalgame régulièrement délinquance et réfugiés. “Une fois que l’on a fait la clarté. On regarde toutes les anxiétés nourries dans le débat public autour de la figure du réfugiés, du demandeur d’asile et, notamment, aussi : est-ce qu’il coûte à la société ? En fait, toutes les recherches qui ont été menées sur le sujet montrent que le coût est nul : un individu accueilli dans un pays génèrera des coûts pour la collectivité, comme l’hébergement, mais il devient très vite consommateur et donc il participe à la richesse nationale. Dès lors qu’on lui permet de travailler, il devient producteur, cotisant au système de protection sociale. Et il rapporte plutôt qu’il ne coûte.”
L’Europe s’est mise à construire des hot spots, en Grèce par exemple, des centres de détention, dans des conditions inhumaines pour y détenir des pauvres hères comme s’ils étaient en prison alors qu’ils juste venus pour demander refuge…”
Et l’Europe dans tout ça…? C’est un sujet d’abord européen ! Najat Vallaud-Belkacem explique : “C’est notamment parce que ce sujet est européen que la technicité s’est installée : tout cela paraît loin, compliqué. Mais l’Europe ça se vulgarise aussi : c’est ce que l’on a essayé de faire dans un chapitre entier pour rappeler que l’Europe au moment de sa construction le fait sur un certain nombre de valeurs et qu’elle va concevoir le système du droit d’asile à son échelle, continentale, pour défendre et promouvoir ses valeurs : convergence des peuples, démocratie qui s’oppose à d’autres pans du monde qui ne les ont pas. On est passés depuis 15 ans de ces valeurs assumées fièrement à quelque chose de complètement rabougri où c’est surtout le rejet, le resserrement. A voir l’externalisation de la politique d’asile : l’Europe s’est mise à construire des hot spots, en Grèce, par exemple, des centres de détention, dans des conditions inhumaines pour y détenir des pauvres hères comme s’ils étaient en prison alors qu’ils juste venus pour demander refuge…”
Le sujet migratoire est devenu en quelques années un excellent trompe-l’oeil pour dédouaner les pouvoirs publics de ce qu’ils devraient faire, y compris pour la sécurité”

Najat Vallaud-Belkacem évoque une initiative adoptée par des médias, la Charte de Marseille, pour une information loyale et de bonne foi. “C’est une prise de conscience que le discours médiatique est loi d’être neutre, qu’il impacte profondément la perception de ce sujet migratoire. Elle en appelle à un traitement plus équilibré, enfin, dit-elle. Ce n’est pas compliqué de comprendre sur la question du caractère criminogène ou pas des nouveaux venus que tous les chiffres objectifs montrent que les réfugiés ne sont pas plus criminogènes que le reste de la population. Mais si dans les médias on ne parle de crimes commis que lorsque leurs auteurs ont un nom à consonance étrangère ou qu’ils sont réfugiés, le grand public finit par croire qu’ils sont davantage criminogènes. C’est cela qu’il faut changer.”
Elle évoque “des expériences qui ont été menées comment en Allemagne on s’est mis à systématiquement dire quel était le profil des criminels, avec sa nationalité de base, etc. On s’est rendu compte que c’était complètement équilibré. Malheureusement, quelque part, ce serait plus facile ! Eh non, il n’y a pas une population plus criminogène qu’une autre.” Et d’ajouter : “Le sujet migratoire est devenu en quelques années un excellent trompe-l’oeil pour dédouaner les pouvoirs publics de ce qu’ils devraient faire, y compris pour la sécurité.”
“Je les vois, les réfugiés ; je vois comment ils sont loin de la caricature que l’on en fait”
D’où lui vient cette envie d’écrire ce bouquin ? “À titre personnel, depuis que je suis engagée dans la vie publique, j’ai toujours mis un point d’honneur à partager ce que je comprends des sujets, confie Najat Vallaud-Belkacem. J’ai la chance d’accéder à un certain nombre d’information, de recherches, que ce soit en matière d’éducation, de droit des femmes, etc., quand j’ai cette possibilité, je le fais. Pour les réfugiés, comme je préside France Terre d’Asile, je suis une praticienne de ce sujet-là. Je les vois ; je vois comment ils sont loin de la caricature que l’on en fait. En parlant avec avec Benjamin Michallet, économiste spécialisé sur ce sujet, les recherches qui ont été faites dans le monde entier, nous avions un matériau extraordinaire qui permet de répondre à toutes les réponses angoissées. Ces recherches sont peu connues, peu utilisées, même volontairement occultées du débat public. On a fait se rencontrer la pratique, avec mon expérience, et la recherche avec Benjamin Michallet.”
“Il faut vraiment davantage réguler les réseaux sociaux. On ne devrait plus du tout accepter ce niveau de violence”

À propos de l’homicide d’Hichem, tué par à Puget-sur-Argens (Var), par Christophe B. qui a revendiqué son attentat, réaffirmant son racisme et appelant à voter RN. C’est le même auteur présumé qui avait déversé sa haine envers Najat Vallaud-Belkacem en 2016 sur les réseaux sociaux sans être le moins du monde inquiété. L’ex-ministre réagit aujourd’hui après que l’on eut exhumé un post particulièrement abject : “De tout temps, j’ai été extrêmement attaquée sur les réseaux sociaux mais ce que je voulais dire sur Instagram, mardi dernier, c’est que la violence de ses propos qui circulent sur les réseaux sociaux et qui restent complètement impunis, précèdent toujours un passage à l’acte. Il faut vraiment davantage réguler les réseaux sociaux. On ne devrait plus du tout accepter ce niveau de violence.”
L’ex-ministre dit encore : “Faisons une analogie : c’est un peu comme pour la lutte contre la violence faite aux femmes. Une société qui se détourne, est indifférente ou ne réagit pas assez aux violences intra-conjugales, aux violences familiales, c’est une société qui ne se rend pas compte qu’elle se met en risque. Les auteurs de ces violences sont très souvent des gens que l’on retrouve auteurs de crimes de masse. Il y a plein d’exemples comme cela. C’est le cas du tueur de Nice, le 14 juillet 2016. C’est quasiment toujours le même profil : ils ont presque toujours commencé leur “carrière” de bourreau, d’assassin dans la vie intra-familiale. Ils s’en sont souvent pris à leur femme, à leur mère, leur fille. Et on n’a pas su les arrêter à temps. On avait pourtant des signaux… Il faut prendre très au sérieux la violence qui se déverse sur les réseaux.”
Olivier SCHLAMA
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