Chronique occitane : Coup de gueule d’un défenseur des Langues régionales

Les défenseurs des langues régionales ne désarment pas. Le ministre Jean-Michel Blanquer est dans le viseur... Photo D.-R.

Philippe Martel est historien, spécialiste d’Histoire de l’espace occitan et de la revendication occitane contemporaine. Professeur des universités  émérite (Université Montpellier 3, département d’Occitan) et ancien président de la Felco (Fédération des enseignants de Langue et Culture d’Oc), dont il est encore membre du bureau, il est l’auteur d’une Histoire de l’Occitanie “le point de vue occitan”… Et il n’est pas content ! A lui la parole :

Vous avez peut-être vu ça, si vous avez eu la curiosité de regarder la vidéo des débats du 13 février à l’Assemblée, quand s’y discutait la proposition de loi déposée par Paul Molac. En général les (rares) fois où on parle de langues régionales dans ce lieu, le ministre n’est jamais là, et laisse répondre son collègue de la culture, ou un autre collègue, ou un chien coiffé qui passait justement par là au bon moment.

La discussion, moment de “théâtre parlementaire”

Mais le jour dont je vous parle, le ministre était là (…) il faut dire que l’heure était grave : La proposition de loi déposée par Paul Molac est une des rares (trois, si je ne me trompe, sur une soixantaine déposées) à avoir eu le privilège d’un débat parlementaire en séance publique.

On y trouve quelques imprudences juridiques qui ne pouvaient qu’amener son rejet, mais disons qu’elle avait le mérite d’exister. Le débat nous a permis d’entendre quelques turlupinades d’un certain Lachaud, mais il a surtout permis à Jean-Michel Blanquer de commencer par proclamer son amour des langues régionales, d’assurer que ses “réformes” allaient les mener droit au Paradis, avant de donner un “avis défavorable du gouvernement” à toutes les dispositions concernant l’enseignement.

Avis que sa majorité a naturellement suivi sans se poser de questions, car ce sont là des gens qui savent vivre. Ce qui fait que la PPL Molac, vigoureusement châtrée et réduite à une poignée d’articles sans importance réelle est adoptée. Elle sera peut-être un jour discutée au Sénat avant de revenir devant l’Assemblée pour être définitivement enterrée, probablement.

Je rappelle cet épisode de théâtre parlementaire parce qu’il a été public et officiel. Et il exprime bien la position du gouvernement en général et du fameux ministre Blanquer en particulier sur la question des langues de France. Mais pour bien le comprendre, il faut le relier à d’autres épisodes moins publics qui le confirment…

Où l’on reparle de la réforme du lycée…

La fameuse réforme du lycée et du bac, pour commencer, bel exemple d’usine à gaz
inventée par des calculettes à pattes échappées de l’ENA. Il serait fastidieux de la décortiquer ici et je renvoie à ce que vous trouverez à son sujet sur le site de la FELCO. Il suffit de dire qu’elle ôte tout espace à l’enseignement de l’occitan, comme on l’a vu dès la rentrée, avec une chute du nombre des élèves concernés (un quart en moins, pour faire court), ce qui prépare pour l’année prochaine une chute encore plus forte.

Pour ne donner qu’un exemple, il ne sera désormais plus possible de passer l’épreuve orale optionnelle au bac en candidat libre, comme c’était le cas depuis 1951, ce qui permettait à des élèves qui n’avaient pas pu suivre de cours d’occitan de passer quand même l’épreuve (c’est ce que j’avais fait, il y a de cela 50 ans.) Eh bien, avec la “réforme”, pour la passer il faudra avoir suivi des cours.

Vu qu’il y a de moins en moins d’établissements qui en proposent,il est facile d’imaginer le résultat pour les années à venir. Pour cette année, le virus s’est chargé de régler la question avec celle de tous les oraux…

Les langues régionales, après les arts du cirque

Une précédente manifestation à Toulouse… Photo D.-R.

A tout cela, Jean-Michel Blanquer a sa réponse, qu’il sert toute chaude aux députés qui lui posent les questions écrites que la FELCO et d’autres leur suggèrent : la concession royale et tirée du chapeau d’un “enseignement de spécialité de langue régionale”, qui permet d’avoir plus d’heures de cours et des coefficients plus rentables.

Problème : il faut qu’il y ait des établissements pour proposer cette spécialité : et sur tout l’espace occitan, soit une trentaine de départements, il y en a trois ! Et il faut qu’il y ait des candidats (il y en a vingt, selon les chiffres officiels). Il n’y en a guère plus pour l’ensemble des langues de France, et parmi tous les “enseignements de spécialité”, les langues régionales arrivent après les “arts du cirque.”

Bien sûr, on pourrait proposer d’associer occitan et cirque, car on le sait bien, les lions et les tigres apprécient particulièrement les sonorités harmonieuses de la langue d’Oc. N’empêche que cette hiérarchie donne une idée de l’avenir promis à nos enseignements. Il ne manquera pas de gens, le moment venu, pour souligner que tout compte fait, ces enseignements n’intéressent pas grand monde (les
élèves auront “choisi librement” dira-t-on) et qu’il n’est donc pas indispensable de consacrer de l’argent et des postes à tout ça.

La FELCO n’accepte pas !

Et on ne peut pas dire que le climat général ne va pas dans le même sens. Il y a la suppression (provisoire, semble-t-il, selon une réponse fournie à notre lettre de protestation par Fabrice Valéry, délégué antennes et programmes) des émissions télévisées en breton et en occitan. Il y a la décision du ministère de la Recherche d’instaurer dans certaines licences et BTS des “certifications obligatoires” en anglais (et en anglais seul) évaluées qui plus est par des officines privées. Pourquoi se gêner !?

Tout cela, la FELCO ne l’accepte pas. Nous avons donc activé les contacts que nous avons, côté députés et sénateurs mais aussi auprès des associations professionnelles, comme l’Association des Professeurs de Langues Vivantes (APLV), ou côté syndicats. Et nous avons écrit, une fois de plus, au ministre, qui nous servira peut-être autre chose que ses ordinaires douceurs automatiques caractérisées par leur rapport lointain avec la réalité.

L’urgence est de mobiliser

Mais nous savons bien qu’il vaut mieux s’adresser au Bon Dieu qu’à ses saints, ou au roi plutôt qu’à ses ministres. De fait, en régime présidentiel, surtout en ce moment, le président décide et les autres exécutent. Nous soutenons donc l’idée du collectif Pour-Que-Vivent-Nos-Langues d’écrire directement au président.

Là aussi nous verrons si nous aurons la grâce et le privilège de recevoir une réponse à peu près cohérente, mais l’important est de nous manifester, en coordination, avec tous les partenaires que nous pourrons trouver. Car il est clair qu’en ce moment, l’urgence est d’être les plus nombreux possible à réagir face aux attaques dont les langues de France sont victimes. Tous ensemble, on y arrivera !

Philippe MARTEL, ancien président de la FELCO, membre du bureau

Et la version en langue occitane :

Mestre Blanquer aima las lengas regionalas. Ben cuechas.

Benlèu l’avètz vist, en aguent la curiositat de gaitar las videòs1 dels debats a l’Assemblaa dau 13 de febrier, quand se discutava la proposicion de lèi despausaa per lo deputat Pau Molac. En generau, quand se parla (rarament) de lengas regionalas aquí, lo ministre l’i es pas jamai, e laissa respondre son collèga de la cultura, o un autre collèga, o un chin coifat que passava juste per aquí au bon moment. Mas lo jorn que vos parlo, lo ministre l’i èra, amb lo morre d’aqueu qu’a tròp quichat
sus l’òli de fetge de merluça. Chau dire que l’ora èra grèva.

La discussion, un moment de teatre parlamentari

La proposicion de lei Molac es una de las pauc (tres, se m’engano pas sus quauque seissanta despausaas despuèi 1951) qu’an agut lo privilègi d’un debat parlamentari en sesilha publica. L’i chabon quauques imprudéncias juridicas que povian menar qu’a un regit, mas digam qu’avia lo meriti d’existar.

Lo debat a permés d’escotar quauques turlupinaas d’un nomenat Lachaud, mas a sobretot permés a Blanquer de començar per proclamar son amor das lengas regionalas, d’assegurar que sas “refòrmas” las – las lengas regionalas, s’entend ! – anavan menar au paradís, drant de contunhar en donant a totes los articles tochant l’ensenhament un aveaire desfavorable dau Govèrn.

Aveaire desfavorable que sa majoritat a naturalament segut sens se pausar mai de questions, car es de monde que sabon viure. Fai que la PPL Molac, vigorosament crestaa e reducha a d’articlòts sens importància reala es “adoptaa”, e serè benlèu un jorn discutaa au Senat, drant de tornar a l’Assemblaa, probablament per un enterrament definitiu.

Ramento aquel episòdi de teatre parlamentari perqué es estat public e oficiau. E manifesta ben la realitat de la posicion dau Govèrn en generau, e dau Blanquer en particular sus la question de las lengas de França.

E d’autres episòdis mens publics, a començar per la refòrma dau licèu

Mas per lo ben comprene, lo chau reliar a d’autres episòdis mens publics, mas que lo confirman. La famosa refòrma dau licèu e dau bac, per començar, bèl exemple d’usina a gas inventaa per de carculetas a pautas escapaas de l’ENA. Tiraria tròp de long de l’espepissar aquí, e remando a çò que trobaretz aquí-sobre suu sit de la FELCO.

Basta de dire que lèva tot espaci a l’ensenhament de l’occitan, çò que s’es vist tre la rintraa amb una chaüta dau nombre d’escolans concernats (un quart de mens, per far cort) qu’aprepara per l’an que ven una chaüta mai granda encara.

Per donar ren qu’un exemple, serè desenant pus possible de passar l’espròva opcionala au Bac en candidat liure, coma se fasia despuèi 1951, çò que permetia a d’escolans qu’avian pas pogut segre de corses d’occitan de passar totun l’espròva (es çò qu’avio fach cinqanta ans en reire…) Ben, amb la “refòrma” blanqueresca, per passar l’espròva chal aguer segut de corses.

En sabent que l’i a de mens en mens d’establiments que ne’n semondon, poètz imaginar la resulta per los ans que venon (per aquest an, lo virus s’es charjat de reglar la question amb la de totes los oraus).

A tot aquò, lo Blanquer a una respòsta, que sierve tota chauda als deputats que li pausan las questions escrichas que la FELCO e d’autres lor suggeran : la concession reiala e tiraa dau chapèu d’un ensenhament d‘especialitat de lenga regionala, que permet d’aguer mai d’oras e de coeficients mai riches.

Problèma : chau qu’aquela especialitat sieie ufèrta dins d’establiments (sus tot l’espandi occitan, ni a tres : cocanha!). E chau que l’i aie de candidats : n’i a vint, segon las chifras oficialas. Per l’ensems de las lengas de França, n’i a pas gaire mai, e entre totas las especialitats, la de lenga regionala es despassaa per las “arts dau circ”.

Naturalament, un poiria proposar d’associar occitan e circ, car coma se sap los lions e los tigres aprecian particularament las sonoritats armoniosas de l’occitan. Empacha pas qu’aquela ierarquia dona l’idèia de l’avenir promés a nòstres ensenhaments. Mancarè pas de monde, a un moment, per sotalinhar que tot comptat rebatut, interessan pas grand monde (los escolans aurèn “chausit liurament”, nos van dire) e qu’es puèi pas necite de consagrar argent e pòstes a tot aquò.

E poèm pas dire que lo climat generau vai pas dins lo meme sens :

– l’i a la supression (provisòria, aparentament, segon la responsa quasi immediata que donèt Fabrice Valéry, Délégué antennes et programmes, a nòstra letra de protèsta) de las emissions de tele en breton o occitan,
– l’i a la decision dau ministèri de la recèrca d’instaurar dins de licéncias e de BTS una “certificacion” en anglés, e ren qu’en anglés, evaluaa, pas pron d’aquò per d’oficinas privaas : perqué se geinar ?

La FELCO tot aquò l’acceptam pas.

Avèm doncas activat los contactes qu’avèm, costat deputats e senators, coma associacions professionalas coma l’APLV, coma sindicats. E avèm escrich, un còp de mai, au ministre, que benlèu nos respondrè per dire aure que sas ordinàrias doçors automaticas caracterizaas per un rapòrt distant amb la realitat.

Mas coma sabèm que vau mai s’adreiçar au Bon Dieu que non pas a sos sants, sobretot quand de santetat n’an pas gaire, o au rèi puslèu qu’a sos ministres, e en estent que coma sabèm, dins lo regime presidenciau, sobretot d’aquesta passa, lo president decida e los autres executan, sostenèm l’idèia dau collectiu Pour que vivent nos langues d’escriure directament au president.

Aquí tanben, veirem s’aurem la gràcia e lo privilègi de reçaupre una respòsta que tenga drech, mas l’important es de nos manifestar, dins la coordinacion, amb totes los partenaris que poèm trobar. Car es clar que dins lo moment ont siam, l’urgéncia es d’èstre lo mai nombroses possible a reagir de cara a las atacas que las lengas de França ne son las victimas. Entre tots o farem tot

Felip MARTEL, ancian president de la FELCO, membre del burèu

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