Chronique Livres : Les secrets de fabrication d’un bon polar…

Chaque mois, le Sétois Alain Rollat propose un rendez-vous littéraire, le Marque-Page. Cet éminent journaliste, qui fut directeur-adjoint du Monde, nous fait découvrir les livres d’auteurs régionaux issus de maisons d’éditions d’Occitanie. C’est au tour du Toulousain Pierre Dabernat, le Montpelliérain Philippe Castelneau et le Perpignanais Gautier Wailly.

Un bon polar

La première règle de l’artisanat littéraire recommande, quand on veut construire une histoire attrayante, d’articuler son œuvre autour d’un personnage principal assez singulier pour retenir d’emblée l’attention. Il n’y a pas de bon polar, par exemple, sans bon policier ou sans bon tueur. Si les deux coexistent on approche de l’idéal. C’est ce que réussit à faire le Toulousain Pierre Dabernat, devenu une référence en la matière, dans L’Assassin de la Retirada, sa nouvelle production. Son héros permanent, le commissaire Visconti, est le prototype basique du flic de littérature. Il cumule même, par autodérision, tous les clichés du genre : il fume ; il boit ; il vit dans un camping-car ; il est divorcé, sa vie sentimentale est compliquée ; il bosse en solo parce qu’il est trop déjanté pour travailler en équipe. Sa singularité tient à la particularité de son adjoint.

Sherlock a besoin d’un Watson, San Antonio a besoin d’un Bérurier…

Connaissant les classiques du polar et les ficelles du métier, Pierre Dabernat savait qu’un bon enquêteur a toujours besoin, pour progresser dans ses investigations, d’un second sagace ou d’un comparse malin. Sherlock a besoin d’un Watson, San Antonio a besoin d’un Bérurier… Dabernat a cassé les codes en fournissant à son personnage principal un adjoint beaucoup moins conventionnel : il lui a offert un adjoint… hallucinatoire ! Son commissaire Visconti, qui a reçu des soins psychiatriques, bénéficie du renfort d’un volatile imaginaire, tantôt moineau, tantôt pie, tantôt faucon ou perruche, avec lequel il dialogue pour se parler à lui-même… La trouvaille est excellente ; elle amuse ; elle injecte de l’humour dans le texte.

Scénario dans toute l’Occitanie

Quant au tueur de l’histoire, dans L’Assassin de la Retirada, dont l’intrigue renvoie aux périodes les plus noires de la guerre civile espagnole, il est des plus anticonformistes : il s’agit d’un tueur à gages hermaphrodite, transformiste, en pleine crise de la quarantaine, qui veille avec un soin jaloux sur son frère autiste et traîne comme un boulet le souvenir de son violeur de père… Son profil ambivalent vaut, à lui seul, le détour.

Pierre Dabernat brode autour de cette triple charpente en s’appuyant sur un solide socle documentaire. Il déroule son scénario dans toute l’Occitanie, et son talent d’écriture fait le reste. Il prend beaucoup de plaisir – cela se sent, cela se voit- à promener ses lecteurs dans le labyrinthe de son imagination déferlante. On adore ça et on en redemande. C’est de la belle ouvrage.

  • L’Assassin de la Retirada, Pierre Dabernat, éditions Cairn, 435 pages, 13€.

Un road trip intérieur

La fabrication d’un road trip semble plus facile que celle d’un polar. Mais cette impression est trompeuse. Il ne suffit pas de se mettre dans la peau d’un globe-trotter et de tenir avec soin le carnet de bord de ses aventures pour copiner, en littérature, avec un Henry Miller ou un Jack Kerouac. Il faut aussi du souffle pour tenir la distance, des sens bien aiguisés pour ne pas se perdre ou tourner en rond, et, surtout, assez de lucidité sur soi-même pour avoir au moins une petite idée de ce que l’on cherche, au bord de la route, ou de ce que l’on fuit. Le reste est affaire de travail.

“Il pose aussitôt ses valises à cet endroit, s’installe au Motel Valparaiso et, hanté par cette vision, recherche cette femme…”

Le Montpelliérain Philippe Castelneau, qui a déjà à son actif plusieurs bourlingues professionnelles, a choisi, pour son premier roman, de s’essayer au road trip. Il s’est mis dans la peau d’un journaliste qui souffre de ne pas être un grand écrivain, part pour le Far West à la suite d’une rupture amoureuse et s’interroge, au fil des kilomètres, sur le sens de son existence. Jusqu’à ce que, dans le désert de Sonora, alors que son bus traverse une ville inconnue plombée par la chaleur, il aperçoive, ou croie apercevoir, à une fenêtre, une femme qui semble lui adresser un signe. Il pose aussitôt ses valises à cet endroit, s’installe au Motel Valparaiso et, hanté par cette vision, recherche cette femme. Le personnage principal est conventionnel, le scénario classique, on croit à un road trip ordinaire.

Écriture, limpide, sobre, directe, dit l’essentiel sans fioritures

Grosse erreur ! Car, en matière de road trip, c’est souvent le style qui fait la différence entre les histoires trop formatées et les jolies découvertes. Le style et la capacité à faire parler les silences entre les mots. Philippe Castelneau ne manque ni de l’un ni de l’autre. Son écriture, limpide, sobre, directe, dit l’essentiel sans fioritures. Ses personnages sont épurés, ses dialogues économes. Le désert n’autorise pas les futilités. L’ambiance est onirique, presque mystique ; l’intrigue minimale, l’envoutement maximal.

“Le roman n’est plus l’écriture d’une aventure mais l’aventure d’une écriture…”

Comme l’endroit porte un nom italien – Cevola- on pense au Désert des Tartares, de Dino Buzzati… Revient aussi à l’esprit cette définition de ce qu’on appelait naguère le nouveau roman : “Le roman n’est plus l’écriture d’une aventure mais l’aventure d’une écriture…” On pose son sac à côté de celui de l’auteur dans cette ville surgie de nulle part qui vous aspire au milieu des dunes et ne vous laisse plus repartir. Est-ce une ville fantôme ? Une ville sorcière hantée par une Circé autochtone ? Un attrape – rêves ? Peu importe. On voudrait en partir mais tout nous y ramène.

Et, comme, en plus de faire parler les silences entre les mots Philippe Castelneau, qui fut disquaire dans une vie antérieure, parsème son récit de notes musicales, on s’allonge avec plaisir sur le sable pour écouter The Righteous Brothers, Bob Dylan ou les Eagles… Libéré de ses propres états d’âme, on n’a plus envie de bouger parce qu’il n’y a rien de plus rafraîchissant pour l’âme, par temps de canicule, qu’un road trip alternant la soul music et le rock’n’roll.

  • Motel Valparaiso, Philippe Castelneau, Asphalte, 120 pages, 15€

Un roman de bistrot

L’artisanat littéraire a aussi ses apprentis capables de produire des œuvres originales composées de bric et de broc. Gautier Wailly fait partie de ces ingénieux. Ce Perpignanais est un homme de verbe. Il aime, depuis toujours, raconter des histoires aux enfants et des blagues aux copains. Les livres, la lecture, ce n’est pas son truc. Mais il adore la musique des mots et la musique sans mots. Il jette parfois sur le papier les paroles de chansons pour lesquelles il rêve, un jour, de trouver un interprète.

Il y a quelques années, son chanteur préféré lui a même envoyé une photo dédicacée pour le remercier de lui avoir soumis un texte : Bravo Gautier ! Il s’est alors mis en tête de mixer sa passion pour les mots et sa passion pour la musique. Cela donne Riton, un livre-cocktail plein de vie qui raconte une histoire comme on en improvise, le soir, au bistrot, entre potes, quand on a l’éternité devant soi, et l’envie de laisser son imagination courir jusqu’au bout de la nuit.

“Un monument de la chanson française qui a fui Paris et le showbiz pour Perpignan afin d’y noyer dans l’alcool son chagrin et son dégoût du monde actuel”

Riton, c’est un has been, “un monument de la chanson française qui a fui Paris et le showbiz pour Perpignan afin d’y noyer dans l’alcool son chagrin et son dégoût du monde actuel”. C’est là, à Perpignan, dans un bistrot du centre-ville – Le Petit Pastis – qu’il est, un jour, reconnu par François et Gabin, deux frères “qui sont fans de lui depuis leur enfance”. Et qui “vont alors essayer d’extirper le chanteur de cette mauvaise passe pour le remettre sur le devant de la scène”.

Objet littéraire spontané, insolite, joyeux

Les trois personnages principaux sont nature ; Le Petit Pastis est un bistrot où l’on cause, au comptoir, à la façon d’Audiard ou de Pagnol ; l’intrigue est amusante ; les dialogues méditerranéens, c’est-à-dire intarissables ; le tout est un objet littéraire spontané, insolite, joyeux. C’est plus du théâtre que du roman mais pourquoi pas ? Gautier Wailly écrit comme il parle et comme il parle fort – comme on parle dans le Sud – on l’écoute en se marrant parce qu’il est un conteur né. Ses paroles écrites seront bues sans modération à Perpignan et à Coustouges, le petit village catalan de son enfance. “Je vous souhaite un excellent moment” dit-il aux lecteurs dans sa préface. Son souhait sera exaucé !

  • Riton, Gautier Wailly, Publishroom Factory, 242 pages, 18 €

Alain ROLLAT
alain.rollat@orange.fr

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